Acadiens d’Ottawa : s’engager sans oublier ses racines
OTTAWA – Ils sont nombreux les Acadiens à devoir quitter leur province d’origine pour des raisons professionnelles. Et pour bon nombre d’entre eux, la destination de prédilection est l’Ontario, et plus précisément Ottawa. À l’occasion de la Fête nationale des Acadiens le 15 août, #ONfr est allé à la rencontre de plusieurs de ces « expatriés ».
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
Une fois n’est pas coutume, le 15 août, elle sera de retour dans son Nouveau-Brunswick natal. Mais si elle était restée dans son nouveau chez elle, Sylvie Poirier n’aurait pas manqué de se joindre à ses concitoyens acadiens pour le tintamarre qui débutera à 18h30 sur la colline parlementaire.
Installée depuis près d’un an et demi dans la région de la capitale nationale, Sylvie a suivi les pas de nombreux Acadiens qui se déracinent en quête de nouvelles opportunités professionnelles. Pourtant, elle n’en oublie pas son attachement à l’identité acadienne.
« J’ai pas mal bougé dans ma vie et j’ai l’impression que c’est un trait commun de beaucoup d’Acadiens. Je suis très contente de vivre ici, mais je reste très attachée à ma culture acadienne. C’est quelque chose d’unique qui dépasse un territoire, quelque chose de profond, difficile à expliquer. »
Dans la région de la capitale nationale, ils sont nombreux à avoir fait le même choix.
« Rien que sur ma rue, je connais quatre Acadiens! », sourit Sylvie.
Preuve de cet engouement, depuis 2001, les Acadiens disposent de leur propre association, l’Association acadienne de la région de la capitale nationale (AARCN), qui leur offre des occasions de se rassembler.
« La région de la capitale nationale regroupe la plus grande communauté acadienne à l’extérieur des Maritimes, c’est donc normal d’avoir une telle association. Ça nous permet de faire connaître la culture acadienne et de promouvoir la francophonie, tout en se retrouvant », explique le secrétaire de l’association, Basile Roussel.
Selon ses chiffres, ils seraient entre 300 et 400 personnes à faire partie de l’AARCN. Et pour partager sa fierté, l’association ouvre ses portes à tous les amateurs de la culture acadienne.
La concurrence d’Ottawa
Originaire de Caraquet, M. Roussel a choisi de s’établir dans la région d’Ottawa il y a trois ans, afin de compléter un doctorat en linguistique à l’Université d’Ottawa. Jumelées aux opportunités d’emploi, les études font aussi partie de ce qui motive plusieurs Acadiens à venir s’établir dans la capitale nationale.
Car bien que le Nouveau-Brunswick puisse compter sur l’Université de Moncton, l’institution des pères oblats lui mène une rude concurrence, selon la professeure de sociologie de l’Université de Moncton, Michelle Landry.
« C’est un défi pour les provinces de l’Atlantique et pour la communauté acadienne, car ce sont autant de pertes de jeunes diplômés. Pourtant, si on leur offrait les mêmes opportunités dans leur province d’origine, je suis sûr que beaucoup préféraient rester. »
Doctorant en sociologie à l’Université d’Ottawa, Luc Léger reconnaît qu’il se verrait bien rentrer à Moncton, même s’il sait que son sort dépendra de ses perspectives professionnelles.
« Je pense que c’est le rêve de beaucoup d’Acadiens de pouvoir revenir un jour », juge-t-il.
Ancien président de l’AARCN, Jean-Luc Thomas est installé dans la région depuis 8 ans. Aujourd’hui, il vit dans l’Est ontarien et n’envisage pas un retour à Tracadie. Mais cela ne l’empêche pas de garder un lien très fort avec sa culture d’origine.
« La technologie me permet de me tenir informer de tout ce qui se passe au Nouveau-Brunswick. Tous les jours, je lis L’Acadie Nouvelle sur ma tablette. Même si je ne vis plus sur place, je conserve mon identité et ma fierté acadiennes. Il y a un sentiment d’appartenance et des racines très fortes, ce qui est sans doute dû à notre histoire. »
Selon le professeur d’histoire à l’Université de Moncton, Julien Massicotte, la mobilité des Acadiens fait partie de leur histoire et a forgé leur identité.
« Depuis le Grand Dérangement, les Acadiens ont appris à évoluer dans un contexte sans ancrage territorial. Cela a contribué à l’imaginaire et à construire leur identité. »
Fierté intacte
Alors, même loin de chez eux, les Acadiens continuent à se rassembler, à s’afficher et à revendiquer fièrement leur appartenance à une histoire et une culture communes.
Doctorante à l’Université d’Ottawa, Marie Hélène Eddie garde bien précieuse cette fierté, même si elle a quitté Dieppe pour Ottawa depuis maintenant huit ans.
« Le fait de connaître des Acadiens avant d’arriver ici a facilité mon intégration. Ça allait de soi, quand je suis arrivée, de rejoindre l’AARCN. »
D’autant que les premiers pas à Ottawa ont été un peu déstabilisants, raconte-t-elle.
« Je pensais qu’Ottawa était beaucoup plus bilingue. Aujourd’hui, j’hésite à demander mes services en français alors qu’à Moncton, je ne me posais même pas la question. »
La forte présence acadienne a quelque chose de réconfortant, témoigne pour sa part, Luc.
« Quand je croise une voiture avec un drapeau acadien, ça me fait toujours chaud au cœur. »
Si les Acadiens aiment se retrouver entre eux, ce phénomène ne leur est toutefois pas propre, nuance Mme Landry.
« La majorité des adultes, quand ils déménagent, ont besoin de conserver un lien fort avec leurs pays d’origine. On le voit dans beaucoup de communautés immigrantes, même si on le remarque peut-être davantage avec les Acadiens car ils s’affichent fièrement. Mais ce sentiment a ensuite tendance à s’étioler avec les générations suivantes qui vont davantage s’identifier au lieu où elles ont grandi. »
Cette dernière partage toutefois l’exemple de sa tante, installée dans le nord de l’Ontario depuis trente ans et qui conserve un lien très fort avec la culture acadienne. À l’âge adulte, ses deux enfants, Franco-Ontariens d’origine, ont pourtant choisi d’aller s’établir… à Moncton.
Militantisme exporté
Si l’identité acadienne reste donc très forte chez les Acadiens rencontrés par #ONfr, beaucoup s’intéressent de près à ce qui se passe en Ontario français.
« Je suis de très près ce qui se passe avec l’Université franco-ontarienne », témoigne Sylvie. « S’il y a des particularités entre les enjeux franco-ontariens et acadiens, il y a aussi des similitudes, comme la défense de la langue ou le fait de réclamer plus de services en français, par exemple. »
Beaucoup ont importé leur militantisme en Ontario et participent activement à la vie communautaire franco-ontarienne. Pour Sylvie, c’était au sein de Contact ontarois, pour Luc, comme coordonnateur des États généraux de la francophonie d’Ottawa et au sein de l’Association des communautés francophones d’Ottawa (ACFO).
« C’est en quittant le Nouveau-Brunswick, quand j’ai étudié à Québec, que j’ai réellement réalisé l’importance de se battre. J’ai apporté ça avec moi à Ottawa », explique Luc.
Chez les Acadiens que nous avons rencontrés, le militantisme est fièrement revendiqué.
« Notre côté militant vient sans doute du fait que nous sommes proportionnellement suffisamment importants au Nouveau-Brunswick pour que notre voix compte et qu’on puisse se faire entendre. Même si les Franco-Ontariens sont plus nombreux que nous en chiffres absolus, ils sont dispersés et ne représentent qu’un faible pourcentage de la population ontarienne. Ça peut expliquer pourquoi ils sont plus discrets et hésitent davantage à s’afficher, même s’il me semble que cela commence à changer », explique Jean-Luc.
Un avis que partage Marie Hélène.
« Je pense que c’est plus facile de lutter en Acadie car nous sommes moins minoritaires. »
Pour M. Massicotte, le militantisme et la fierté de ces Acadiens peuvent avoir des effets bénéfiques sur la communauté franco-ontarienne.
« Parce qu’ils s’affirment fièrement et sans hésitation, les Acadiens peuvent encourager les communautés francophones où ils s’installent à faire la même chose. »
Identité acadienne dominante
S’ils n’hésitent pas à s’engager dans les affaires franco-ontariennes, l’identité acadienne prédomine toutefois chez les Acadiens interrogés par #ONfr. Et pour garder le lien avec leur culture d’origine, certains continuent de s’y investir.
« Aujourd’hui, je dois même reconnaître que je suis plus actif au Nouveau-Brunswick qu’en Ontario, car je contribue, avec d’autres personnes, au webzine Astheure », juge Luc.
Selon M. Massicotte, cet engagement dans les affaires acadiennes de la part de la diaspora n’a pas toujours été bien vu.
« Mais cela n’a pas empêché certains d’entre eux d’être très influents et de faire avancer la cause, comme notamment le sénateur Pascal Poirier, dans le temps, ou aujourd’hui, avec les artistes acadiens qui rayonnent à l’extérieur comme Radio Radio ou Lisa Leblanc qui contribuent à faire connaître la culture acadienne. »