Alex Tétreault, appelé à commenter les enjeux de l'élection fédérale de 2021 dans une vidéo de ONFR. Archives ONFR

Alex Tétreault fait partie d’une nouvelle génération d’artistes qui pousse la culture franco-ontarienne à se dépasser. Avec une présentation éclair de 10 minutes, il a remporté deux prix à Contact ontarois (CO), qui lui permettront d’organiser une tournée pour la pièce Nickel City Fifs, une épopée queer sudburoise sur fond de trous, coproduite par le Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO). Rencontre avec celui qui fait carrière depuis 2017, mais dont la feuille de route est particulièrement dense.

« Vous êtes une personne de théâtre, de politique et de communauté. Comment vous définiriez-vous en quelques mots?

Je dirais que je suis un créateur de théâtre, un brasseur de marde et un membre de conseils d’administration (C. A.) par excellence.

Quel a été votre parcours de vie pour avoir envie de vous impliquer autant dans votre communauté?

Je suis né en 1994 à Sudbury. En grandissant, j’étais un petit nerd. J’étais le jeune de huit ans qui regardait les nouvelles. Je regardais aussi des émissions satiriques comme Royal Canadian Air Farce.

On ne va pas se le cacher, j’ai toujours été un peu flamboyant. Mais je voulais aller en médecine. J’étais bon en sciences et j’aimais ça. C’était un peu difficile pour moi de décider de ce que je voulais faire de ma vie. Tout m’intéressait.

Quand je suis arrivé au secondaire, mon enseignante d’art dramatique m’a dit que je devrais m’essayer avec les Draveurs. Tout a un peu dégringolé de là. T’sais, j’avais un crédit à l’école pour faire des niaiseries en salle de classe!

Je me suis dit qu’en médecine, je pourrais travailler toute ma vie pour essayer de guérir le cancer et ne pas y arriver. Peut-être un peu naïvement, je me disais que c’était plus facile de me démarquer et d’avoir un impact dans la société en faisant de l’art. À l’université, j’ai étudié en théâtre et en sciences politiques, deux sujets que j’adore. Je n’avais pas de plan de carrière, mais tout est tombé en place.

En 2017, Alex Tétreault incarnait le sous-chef du Bloc Québécois au Parlement simulé de l’Université Laurentienne. Gracieuseté

Vous étiez bien impliqué dans la vie étudiante à l’Université Laurentienne. Comment avez-vous réagi aux coupes de 2021, qui ont éliminé 29 programmes en français, dont les vôtres?

Ce n’était pas surprenant. Au programme en théâtre, ma cohorte était la plus grande et on était quatre. Donc, j’étais déjà un peu surpris de le finir. C’est un peu pour ça que je voulais m’impliquer en politique étudiante, pour m’assurer que mes programmes ne se fassent pas couper.

Quand c’est arrivé, je travaillais au TNO et on était à deux semaines des représentations d’une production avec les étudiants en théâtre. Même si on avait des doutes, c’était lourd. Dans un milieu où tout le monde se connait, où les profs sont vraiment impliqués dans la communauté, ça a fait mal.

Sudbury est le berceau de la (jeune) culture franco-ontarienne. Comment la nouvelle génération peut-elle faire sa place?

J’ai rencontré tous les vétérans du milieu culturel franco-ontarien. T’sais, Jean Marc Dalpé, nous autres, on l’appelle Mononcle. Il y a cette proximité-là qu’un petit milieu permet, qui est vraiment le fun.

C’est un couteau à double tranchant. Parce que la communauté est tellement petite, c’est difficile de critiquer. Tu prends ton mal en patience, quand tu es jeune. Il y a bien du monde qui abandonne. Ça arrive que les vétérans prennent beaucoup de place, ce qui est plutôt juste, car ils ont contribué au développement de notre communauté. Sans eux, je ne serais pas en train de faire ce que je fais. Mais il y a une tension entre vouloir respecter le travail des vétérans et vouloir faire notre propre place.

Quand on parle des arts à Sudbury, on parle souvent des 50 dernières années. Quelle serait votre vision pour les 50 prochaines?

Je veux juste qu’il y ait de l’art qui se fasse et que les artistes aillent bien. On travaille dans un métier où la pauvreté est tenue pour acquise. Il faut qu’on arrête de penser comme ça. C’est difficile, car les gouvernements ne nous donnent pas plus de financement. Alors, comment réussir à faire quoi que ce soit dans des conditions adéquates, sans se brûler?

Je veux qu’il y ait un milieu vibrant. Et s’il y a des institutions qui prennent le bord, c’est correct. Ce sont les gens qui font vibrer le milieu, pas les structures.

Alex Tétreault et Sophie Ducharme dans la pièce Mambo Italiano, création communautaire du TNO, en 2018. Crédit image : Brian Côté

Vous avez gagné le prix Audace de CO, remis à un artiste franco-ontarien dont la proposition peut aller chercher de nouveaux publics. Était-ce l’un de vos buts avec Nickel City Fifs?

Je voulais miser sur un processus de création plus humain. J’ai beaucoup investi dans mes artistes. Les taux horaires étaient les mêmes pour tout le monde. Je voulais que tout le monde ait son mot à dire et qu’on essaie de nouvelles choses. Par exemple, ma scénographe et éclairagiste vient du milieu de l’architecture.

J’ai écrit ce projet avec le public franco-ontarien typique en tête, dans le but de le sensibiliser davantage aux réalités queers. J’ai intégré beaucoup d’éléments de la culture franco-ontarienne, pour dire : voici quelque chose que tu comprends, maintenant je vais te glisser un petit quelque chose de plus subversif. Dans mon prochain projet, je pourrai aller plus loin, parce que j’ai fait mon travail de développement de public.

Quels parallèles peut-on faire entre les communautés franco-ontariennes et queer?

La communauté queer ressemble énormément à ce que la communauté franco-ontarienne était à son départ. Aux racines du théâtre franco-ontarien, on faisait avec les moyens du bord. C’était politique, revendicateur. On s’assumait, on prenait notre place. C’est ce que les personnes queers revendiquent en ce moment. Là où la culture franco-ontarienne a eu le temps de se professionnaliser et de s’institutionnaliser, le queer est resté assez marginal. Je voulais dire à ceux qui étaient là à l’époque de Moé, j’viens du Nord s’tie : vous aussi, vous étiez juste des petits culs qui ne savaient rien. Donnez-nous aussi cette chance de prendre la parole comme on veut.

L’équipe de Nickel City Fifs en 2023. Crédit image : Isak Vaillancourt

Vous avez redonné les profits de la pièce au Zigs et au Réseau Access Network, qui soutient les services d’affirmation de genre. Pourquoi?

J’avais déjà un cachet, ce n’est pas comme si je ne me faisais pas payer. C’était encore une fois dans l’optique de redonner à la communauté. On a répété au Zigs gratuitement pendant un mois. Et c’est le seul bar queer du Nord de l’Ontario. C’est pour ça que l’histoire se passe là, c’est comme un rite de passage. Je voulais les soutenir.

Et pour Réseau, c’est à la lumière des enjeux politiques actuels. Je voulais envoyer un message. Si jamais un membre du public était dubitatif à l’égard des personnes trans, son argent les appuyait directement.

Quelle est l’histoire?

Tristan débarque au Zigs pour la première fois, en se disant que ce sera aussi la dernière. Il a l’impression qu’on ne peut pas vivre pleinement sa queerness à Sudbury. C’est un enjeu même pour les Sudburois en général. Mais pour les personnes queers en particulier, il y a un exode assez prononcé.

Donc, quand il arrive là, l’esprit protecteur du cratère de Sudbury enjôle les employés pour essayer de convaincre le jeune que c’est possible de vivre ici et qu’on a besoin de lui. Ça ressemble plus à un cabaret qu’à un spectacle de théâtre typique.

En 2018, Alex Tétreault participe pour la première fois au défilé de la Fierté. Gracieuseté

Vous avez parlé d’exode. Pourquoi restez-vous à Sudbury?

Parce que c’est mon chez-moi. Il y a tellement une belle communauté, dynamique, et je veux y contribuer. Il y a des liens familiaux, mais j’ai aussi de bons amis qui m’appuient depuis longtemps. Je n’ai pas envie de partir. Voilà pourquoi je suis membre de C. A. par excellence. Je veux redonner à cette communauté, m’impliquer, l’améliorer. J’aime ma ville, même si je la déteste parfois.

Comment ça se passe, de grandir comme personne queer à Sudbury?

Ce n’est pas évident. C’est une ville minière, qui a encore cette mentalité, même si les mines ne jouent plus le même rôle. On n’a pas une assez grande concentration de personnes queers pour pouvoir vivre aussi ouvertement que l’on voudrait. Il y a quand même eu énormément de progrès dans les dernières années. Il y a aussi eu un recul récemment. Et ça, ça fait peur, on le voit partout, pas juste à Sudbury.

Mais il y a quand même une proximité entre la communauté queer et la communauté artistique franco-ontarienne. Pour moi, faire du théâtre n’a jamais posé problème. C’est juste qu’il y a très rarement des projets de théâtre queers. On a rarement la chance de se voir sur scène, de participer à un processus queer.

En 2019, à l’occasion d’un match d’improvisation queers VS alliés lors de la Semaine de la Fierté. Gracieuseté

Vous avez aussi gagné le prix Alliance Acadie donné par le réseau RADARTS à CO. Et vous êtes le nouveau directeur général du Rendez-vous de la fierté Acadie Love. Quel est le lien entre Alex Tétreault et l’Acadie?

C’est une excellente question. J’ai toujours trouvé qu’il y a énormément d’atomes crochus entre les gens de Sudbury et ceux du Nouveau-Brunswick. J’ai toujours eu un intérêt pour leur culture particulière. J’ai gardé un bon souvenir d’un séjour de théâtre à Caraquet, il y a un peu plus de deux ans.

Quand j’ai vu passer l’affichage de poste à Acadie Love, la première fois, je n’ai pas posé ma candidature. Quand ils l’ont réaffiché, je me suis dit que c’était peut-être un signe.

C’est tout un apprentissage de comprendre les réalités, de m’intégrer dans la communauté. Ma première journée était lundi, c’est très nouveau. J’ai passé deux ans à la présidence de Fierté Sudbury, où je faisais sensiblement le même travail, mais bénévolement. Le développement communautaire engagé politiquement et queer-centré me manquait.

C’est un contrat à temps partiel. Je travaille surtout à distance, donc je peux garder mes liens avec l’Ontario français en développant mes nouveaux liens avec l’Acadie. On est déjà en train de parler de collaborations entre Acadie Love et Fierté Sudbury.

Alex Tétreault dans une vidéo de ONFR en 2021. Archives ONFR

Quelles sont vos ambitions pour Nickel City Fifs?

Pendant le processus de création, je voulais juste arriver à produire le spectacle. Mais après les représentations, les gens voulaient en savoir plus. Les comédiens me disaient qu’ils n’avaient pas fini de raconter cette histoire. De là est venue l’idée de s’essayer pour une tournée. Peut-être que d’autres publics ont besoin de cette représentation. Alors maintenant, je veux qu’il y ait autant de gens que possible qui voient cette affaire-là à laquelle j’ai dévoué cinq ans de ma vie.

Comment allez-vous l’adapter pour l’exporter?

Je suis encore en réflexion. L’idée serait d’offrir un spectacle clé en main. Ce que j’aimais du Zigs, c’était l’aspect intime. Tant qu’on peut récréer cette proximité, on peut le faire à peu près n’importe où. Mais ce serait le fun de continuer à jouer dans des bars. C’est aussi une occasion pour les diffuseurs de tisser des liens avec leur communauté locale.

C’était la même chose quand j’avais fait une présentation semblable aux Zones théâtrales. Les gens disent qu’ils savent exactement où je pourrais présenter mon spectacle. Je pense que si on offre aux diffuseurs plus de propositions qui sortent de l’ordinaire, il y a un appétit pour ça.

Alex Tétreault pendant les présentations éclair de Contact ontarois 2024. Crédit image : Rachel Crustin.

La pièce est pour un public averti, mais vous avez eu un petit mot pour les diffuseurs scolaires lors de votre présentation à Contact ontarois. Que pouvez-vous leur offrir?

C’est clair que je ne vais pas aller jouer dans des cafétérias d’écoles secondaires. Mais les sujets et les thèmes n’ont pas d’âge. Les conseils scolaires réalisent que ce sont des enjeux d’actualité et qu’ils n’ont pas nécessairement les connaissances à l’interne pour les aborder. Donc, si je peux aller parler aux élèves, les sensibiliser et offrir aux jeunes queers un peu de représentativité, ça va avoir valu le coup.

Comment avez-vous réagi au fait de gagner deux prix à Contact ontarois?

Je suis encore un peu sous le choc. Je ne m’attendais pas à grand-chose. Je n’avais pas de billet pour le gala. Mais après la présentation, j’ai vu que les gens avaient peut-être aimé ça plus que ce que je pensais. Je me suis dit que je devrais peut-être y aller. Finalement, il y a quelqu’un qui était malade et qui m’a donné son billet. Autrement, j’aurais juste appris la nouvelle dans ma chambre d’hôtel.

De gauche à droite : Marie-Pierre Proulx du TNO, Alex Tétreault, Marie-Claude Sabourin (présidente du conseil d’administration de Réseau Ontario) et Marie-Ève Chassé (directrice générale de Réseau Ontario), lors du gala de clôture de Contact Ontarois 2024. Crédit image : Stéphane Bédard

Vous avez gagné plusieurs prix artistiques dans votre carrière, mais aussi des prix communautaires. Qu’est-ce que le Good Neighbor Award?

C’est un prix du bureau du député provincial de Sudbury, Jamie West, remis à quelqu’un d’engagé dans la communauté. Pour moi, c’était pour le travail que j’avais fait avec Fierté Sudbury pendant la pandémie.

Quel est votre rapport avec la langue française?

C’est ma langue maternelle, donc c’est certain que j’ai un point faible pour le français. C’est la langue dans laquelle je m’exprime le plus aisément. Mais je vais m’appeler bilingue avant de me considérer francophone. Car ici, la langue anglaise fait tellement partie de notre quotidien. Je ne le vois pas comme une menace, au contraire. Je peux aller piger dans deux langues au lieu d’une. Je ne vois pas la langue française comme quelque chose qu’on doit à tout prix défendre contre l’assimilation. C’est une langue comme les autres, qui évolue, qui est dynamique.

En 2018, lors de la Fête des bénévoles du Regroupement des organismes culturels de Sudbury. Gracieuseté

Il y a deux ans, à l’émission Jonction 11-17 de Radio-Canada Sudbury, vous disiez vouloir être plus optimiste. Avez-vous réussi à voir le verre à moitié plein?

Oui, quand même. C’est certain qu’il y a des déceptions. On n’a pas fait autant de progrès comme société que ce que j’aurais aimé. Mais si j’arrête d’y croire, j’irai travailler au gouvernement, j’arrêterai de m’impliquer. Je préfère rester optimiste et croire qu’on peut être plus doux, plus conscients, plus empathiques.

Votre site web affiche clairement les mots : création, culture, communauté. Quelle est leur importance?

Création : Je veux contribuer avec quelque chose de différent, de concret.

Culture : C’est ce qui fait en sorte que la vie vaut la peine. Ce n’est pas essentiel à notre survie, on nous l’a rappelé énormément pendant la pandémie. Mais c’est ce qui nous unit. Communauté : Je veux juste que tout le monde aille bien. C’est certain que, des fois, je prends des contrats pour payer mon hypothèque. Mais ce qui m’allume vraiment, ce sont ceux qui me permettent de travailler à l’amélioration de ma communauté. »


1994 : Naissance à Sudbury

2014 :  Il est élu président de l’Association des étudiant·es francophones (AEF) de l’Université Laurentienne

2018 : Il incarne le personnage principal dans son premier projet théâtral queer, Mambo Italiano, le spectacle communautaire du TNO. Il est aussi un des parrains de la campagne communautaire de la Place des Arts du Grand Sudbury.

2019 : Il est le premier lauréat de la Bourse de création Geneviève Pineault du TNO et devient le président de Fierté Sudbury.

2022 : Il devient le président de Théâtre Action.

2023 : Première de Nickel City Fifs au bar Zigs de Sudbury

2024 : Devient directeur général des Rendez-vous de la fierté Acadie Love

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.