Image générique d'une Cour de justice de l'Ontario. Crédit image: Steven Kriemadis/ IStock

TORONTO – Un homme arrêté avec près de quatre kilos d’héroïne en sa possession à l’aéroport international Pearson n’aura pas eu à se rendre à son procès et à faire face à la justice, car son droit à avoir des procédures judiciaires en français a été violé.

Dans une décision rendue le mois dernier, la juge Cynthia Petersen de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a décrété la fin complète des procédures judiciaires envers un citoyen français qui encourait plus de 14 ans de prison, lui évitant du même coup une seule minute de procès.

Maxime Langlet est arrêté par la GRC en mai 2022 à l’aéroport international Pearson, car il aurait été en possession dans son bagage de 3,87 kilos d’héroïne. Il est par la suite accusé d’importation d’héroïne, de complot pour importer de l’héroïne au Canada et d’avoir de l’héroïne en sa possession en vue d’en faire le trafic.

Son dossier est ensuite dirigé devant un tribunal de Brampton en banlieue de Toronto où l’accusé fait le choix d’avoir des procédures judiciaires en français comme le permet le Code criminel. Il demande alors d’être jugé devant un juge et un jury avec une enquête préliminaire au préalable, pour présenter les preuves amassées.

Mais la défense et la Couronne sont incapables de trouver des dates, car l’enquête préliminaire, qui ne dure en principe que deux à trois jours, nécessitera dix jours d’audiences en raison du besoin de recourir à la traduction en français pour les témoins. Une date est finalement prévue un peu moins de 20 mois plus tard, en janvier et février 2024, pour l’audience préliminaire.

Comme l’accusé doit subir un procès à l’intérieur des 30 mois maximum en vertu de l’arrêt Jordan, il ne resterait alors que près de dix mois pour mener un procès. La Couronne propose donc, entre autres, de faire déplacer le procès à Ottawa, qui serait plus apte à traiter plus rapidement un dossier en français ou encore la tenue d’une enquête préalable, qui est plus courte et remplacerait celle préliminaire.

Quelques jours plus tard, la Couronne opte alors pour une mise en accusation directe, allant ainsi directement au procès en évitant l’enquête préliminaire pour éviter de dépasser le plafond de 30 mois. La tenue du procès est alors prévue pour avril 2024. Cet horaire respecte ainsi le délai de 30 mois en vertu de l’arrêt Jordan, mais c’est à ce moment que l’accusé Maxime Langlet demande un arrêt des procédures.

Ce dernier ne conteste pas la décision d’aller directement au procès, mais avance que, s’il était anglophone, il aurait pu jouir d’une enquête préliminaire. Il estime alors que le dépôt de l’acte d’accusation directe dans les circonstances constitue une violation de ses droits linguistiques.

L’accusé estime qu’il est dans une situation « désavantageuse précisément parce qu’il a choisi d’être jugé en français », convenant toutefois que le tout « s’apparente davantage à une allégation de discrimination indirecte et non intentionnelle de la part de la Couronne ».

La juge Petersen écrit toutefois que « cela ne change pas la réalité que le délai en l’espèce est directement lié à la décision du requérant d’exercer son droit d’être jugé en français ». Cette décision d’aller avec la mise en accusation directe, « quoiqu’elle soit motivée par un désir légitime d’éviter un délai déraisonnable, a abouti au même effet préjudiciable en ce qui concerne M. Langlet » et constitue donc une violation des droits linguistiques, tranche-t-elle.

« Un accusé anglophone aurait probablement obtenu des dates d’audience avant janvier 2024, écrit la magistrate. La Cour provinciale n’était tout simplement pas en mesure d’offrir des dates pour la tenue d’une audience en français. Une situation semblable serait inimaginable pour des parties cherchant à fixer des dates pour une audience en anglais », constate-t-elle.

La juge Petersen conclut alors que la violation des droits linguistiques de Maxime Langlet « engendre un abus de procédure en raison de son caractère systémique ». Elle statue que l’arrêt des procédures judiciaires serait la seule avenue « susceptible de corriger l’atteinte aux droits linguistiques du requérant » de M. Langlet, soulignant qu’un tel dénouement est de nature évidente.

« L’intégrité du système de justice compromise »

Le Code criminel canadien garantit des procédures judiciaires dans les deux langues officielles, et ce, peu importe le tribunal judiciaire, la province et le territoire. Idem pour la Loi sur les tribunaux judiciaires en Ontario. Or, dans ce jugement, le ministère de la Justice admet lui-même ne pas être capable de respecter ses obligations à Brampton.

« Selon la preuve déposée, la principale raison pour laquelle les parties ne se sont pas vues offrir des dates d’audience plus rapprochées en l’instance est que la Cour provinciale à Brampton ne dispose pas de l’infrastructure institutionnelle nécessaire pour traiter les affaires en français de manière efficace », peut-on lire dans le jugement.

La juge Petersen signale à plusieurs reprises dans son raisonnement que « l’intégrité du système de justice est compromise » lorsque le système manque de ressources pour traiter les dossiers en français comme dans ce cas-ci.

« Le manque de ressources institutionnelles françaises au sein de la Cour provinciale à Brampton crée une situation qui contrevient au principe de justice fondamentale selon lequel les membres de la minorité francophone ont droit à un accès égal à la justice », note la magistrate.

« Une personne raisonnable, qui valorise les droits linguistiques, serait choquée par ce résultat, poursuit-elle. Les membres de la minorité francophone, qui constituent un segment important du public, seraient consternés, voire accablés. »

La Couronne n’a pas encore fait savoir si elle porterait la décision en appel nous a indiqué l’avocate de la défense, Alina Sklar.

« C’est une décision importante pour les justiciables francophones, les droits linguistiques et l’accès à la justice en français », a-t-elle commenté dans un échange de courriels avec ONFR.