Attirer les travailleurs en santé en Ontario : entre espoir et scepticisme

La récente reforme du gouvernement dans le secteur de la santé fait craindre le pire aux francophones.
La récente reforme du gouvernement dans le secteur de la santé fait craindre le pire aux francophones. Source: archives ONFR+

De récentes mesures annoncées traduisent la volonté du gouvernement d’accroitre une main-d’œuvre médicale dont l’Ontario a besoin. Certains changements inédits incluront des transferts facilités inter-provinces et territoires canadiens pour les infirmières, médecins et paramédicaux non-inscrits en Ontario, et un nouveau programme permettant la gratuité des frais de scolarité aux étudiants de certaines de ces filières. Mais dans un contexte de pénurie du personnel médical francophone, entre espoir et scepticisme, la communauté franco-ontarienne s’interroge sur l’application de ces décisions quant à résoudre une répartition inégale linguistique des soins en Ontario.

Les changements du programme « De plein droit », si adoptés, permettront aux travailleurs en santé, déjà inscrits ou titulaires d’un permis, d’exercer immédiatement en Ontario sans devoir attendre leur inscription officielle auprès des ordres de réglementation des professionnels de la santé de l’Ontario. « Une première pour le Canada », soulignait dans un précédent communiqué le premier ministre de l’Ontario Doug Ford. Cette reconnaissance des titres de compétences doit faciliter les transferts des travailleurs en santé.

« Cela signifie que les infirmières, médecins et autres professionnels de la santé réglementés francophones du Québec, de la Colombie-Britannique ou de toute autre juridiction canadienne ne seraient pas confrontés à des délais bureaucratiques inutiles lorsqu’ils choisiraient de pratiquer en Ontario », assure la députée Natalia Kusendova, adjointe parlementaire du ministère des Affaires francophones.

Natalia Kusendova, adjointe parlementaire du ministère des Affaires francophones. Source : Assemblée législative de l’Ontario

Interrogé sur la place des francophones dans ce programme d’extension de la main-d’œuvre médicale, le ministère de la Santé précise que « les francophones tout comme les anglophones sont les bienvenus pour travailler en Ontario, dans la langue de leur choix ».

« Cette initiative est directement liée à notre stratégie de main-d’œuvre visant à accroître l’offre de travailleurs francophones et bilingues dans des secteurs clés comme les soins de santé », ajoute Mme Kusendova, infirmière de profession.

Infirmière et francophone : la double peine?

La députée néo-démocrate de Nickel Belt et porte-parole en matière de santé, France Gélinas, exprime son scepticisme : « Il n’y a pas de volet francophone. On ne s’attend donc pas à ce que ça ait un impact, si ce n’est à Ottawa. Les infirmières francophones faisant des heures anormales, ça ne va pas les attirer. Les francophones ont tout à perdre en venant. »

« Le gouvernement envoie un message à l’opposé qui ne reflète pas cette réalité » – France Gélinas

La solution selon elle, c’est un programme à part entière pour le personnel médical francophone : « Le projet de loi 124 (qui plafonne les salaires du secteur) est un manque de respect envers les infirmières francophones et le gouvernement doit faire un effort pour restaurer la confiance entamée depuis et nous mettre à l’avant-plan. Il est évident qu’il est plus difficile d’attirer la francophonie dans une situation minoritaire, mais c’est faisable. Cela requiert une intention et des efforts ciblés envers la francophonie. »

« La francophonie est vibrante en Ontario. Mon comté compte 40 % de francophones. Le gouvernement envoie un message à l’opposé qui ne reflète pas cette réalité », conclut-elle.

France Gélinas, porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé. Archives ONFR+

Suzanne Lemieux, doyenne à l’École des sciences de la santé au Collège Boréal, évoque l’iniquité quant aux populations francophones. « À Toronto, il y a 63 055 francophones (10,1 % de tous les francophones de l’Ontario). Un rapport publié par le Réseau local d’intégration des services de santé (2016) indique que seulement 2,6 %, soit 244 des infirmières et infirmiers de l’Ontario offrent des services bilingues. »

« C’est insuffisant pour répondre aux besoins des francophones de la région de Toronto. Un certain nombre d’établissements de soins de santé de Toronto et des environs sont désignés en vertu de la Loi sur les services en français. Ils sont tenus de fournir des services de santé en français. »

Les étudiants en santé invités à « apprendre et rester » en Ontario

Le programme « Apprendre et rester » sera lancé au printemps 2023 et garantira des frais de scolarité et manuels gratuits pour les étudiants en soins infirmiers, paramédicaux et en technologie de laboratoire médical qui s’engagent dans un stage de travail dans des zones mal desservies, éloignées ou rurales du nord, de l’Est, et le Sud de l’Ontario.

« Les Ontariens francophones peuvent accéder à des programmes de français dans quatre établissements répartis dans deux régions : le Collège Boréal, l’Université Laurentienne, La Cité et l’Université d’Ottawa », indique le ministère des Collèges et Universités.

Estelle Éthier, doyenne en enseignement des sciences de la santé à La Cité se réjouit de cette « opportunité en or pour les étudiants. Ce financement permettra au Collège de former une relève francophone compétente plus importante en santé, laquelle pourra ainsi mieux répondre aux besoins de la communauté locale. »

Suzanne Lemieux, doyenne à l’École des sciences de la santé au Collège Boréal. Source : Collège Boréal

Suzanne Lemieux envisage quant à elle une augmentation des inscriptions dans les programmes de Soins infirmiers auxiliaires et de Soins paramédicaux des six campus du Collège Boréal (Hearst, Kapuskasing, Nippissing, Windsor, Sudbury et Timmins).

« Davantage d’efforts seront nécessaires pour pallier la pénurie du secteur à moyen et à long terme » – Suzanne Lemieux

« Les deux secteurs soins infirmiers auxiliaires et soins paramédicaux constituent la majorité du personnel de santé de première ligne. Étant donné la grande pénurie dans ces deux domaines, qui a même entraîné la fermeture des salles d’urgence, ce programme apportera certainement des solutions à court terme en fournissant un appui important aux communautés dans une optique d’équité et de réduction des barrières quant à l’accès aux soins dans une langue minoritaire. »

« Nonobstant les efforts considérables du gouvernement avec cette initiative, davantage d’efforts seront nécessaires pour pallier la pénurie du secteur à moyen et à long terme », conclut en demi-teinte Mme Lemieux.