Bonnie Crombie, nouvelle leader du Parti libéral de l'Ontario, sur les marches de l'Assemblée législative, à Toronto, en mai dernier. Crédit image : La Presse canadienne/Chris Young

TORONTO – Devenue cheffe du Parti libéral de l’Ontario samedi dernier, Bonnie Crombie intègre l’échiquier politique provincial. Mais qui est vraiment l’actuelle mairesse de Mississauga et à quels enjeux se confronte-t-elle? Portrait atypique de celle qui brigue le poste de premier ministre de l’Ontario en 2026 et décryptage avec une politologue de ses atouts et défis.

Mairesse de Mississauga depuis 2014, réélue pour trois mandats, Bonnie Crombie a également été conseillère municipale du nord-est de la ville de Mississauga (2011-2014) et ancienne députée fédérale de Mississauga-Streetsville (2008-2011), soit une expérience notable à deux niveaux gouvernementaux.

« Certains d’entre vous me connaissent, d’autres un peu, d’autres pas du tout. J’aimerais donc prendre le temps de me présenter. Bonjour, je m’appelle Bonnie Crombie », avait-t-elle débuté avec humour son discours de victoire, sous un tonnerre d’applaudissements au Metro Toronto Convention Centre.

Ses principaux arguments de campagne consistaient en la crise du logement et le retour du contrôle des loyers, le coût de la vie, la construction de plus d’infrastructures, la protection et le renforcement du système de santé publique et d’éducation et la priorisation de la crise climatique.

Son programme francophone s’est avéré le plus élaboré et ambitieux, évoquant les droits linguistiques avec plus de services en français, promettant notamment plus de main-d’œuvre francophone dans le secteur de la santé et de l’éducation, le rétablissement de l’indépendance du commissaire aux services en français, entre autres.

Bonnie Crombie (au centre) tenait mardi sa première conférence de presse à Queen’s Park avec le caucus libéral, après avoir été élue à la tête du Parti libéral de l’Ontario. Crédit image : Sandra Padovani

Interrogée mardi en conférence de presse par les journalistes sur les attaques du Parti progressiste-conservateur sur « sa maison dans les Hamptons », lui prêtant un style de vie luxueux, elle s’en est défendue. Il ne s’agit pour elle que de tentatives désespérées pour détourner l’attention des scandales et enquêtes dont fait l’objet le gouvernement Ford.

Bonnie Crombie a répété à plusieurs reprises vouloir changer la façon erronée dont les gens la perçoivent, après s’être livrée ouvertement sur les origines modestes de sa famille d’immigrés polonais dans un discours post-élection poignant.

« J’ai trois enfants, ici avec moi ce soir, Alex, Jonathan et Natasha, qui sont le centre de mon univers et j’ai la chance d’avoir ma mère qui a 87 ans, Veronica », introduisant sa famille.

« Ma mère est née en Pologne, mais mes grands-parents ont déménagé en France juste avant que la guerre n’éclate en Europe. Mon grand-père s’est battu contre les nazis, a été capturé et envoyé dans un camp de travail. »

« Vers la fin de la guerre, il a été libéré par un soldat américain et mes grands-parents et ma mère sont venus en Ontario. Ils m’ont donné une enfance extraordinaire, mais cela n’a pas toujours été facile. Mon père souffrait d’addiction et, à cause de cela, mes parents se sont séparés quand j’avais 3 ans. Nous vivions dans une maison de chambres. Et je veux que vous sachiez cela parce que cela a façonné la personne que je suis aujourd’hui », a-t-elle raconté.

« Ma mère m’a appris la résilience, elle m’a inculqué des valeurs : l’éducation, le travail acharné, faire des économies, ne jamais rien prendre pour acquis. Et j’ai toujours travaillé (…) Et finalement, j’ai trouvé un travail qui m’appelait. Je me suis engagée politiquement », a-t-elle conclu.

Atouts et défis de Bonnie Crombie

« Le fait que la course à la chefferie ait suscité un intérêt des membres libéraux a démontré leur capacité à aller chercher des candidatures intéressantes, comme celles de Bonnie Crombie, ce qui est un signe de vitalité », analyse la politologue Geneviève Tellier.

Si celle-ci questionne un taux de participation bas à l’élection (22 827 sur les 103 000 membres), elle nuance : « Cette élection est plutôt excellente pour le Parti libéral en termes de visibilité. Mme Crombie aimerait se faire élire rapidement pour un siège un Queen’s Park, donc il va être important pour elle de se faire connaitre dans la province. »

« On sent un changement, par rapport à la dernière course avec Steven Del Duca. Le fait d’avoir augmenté le nombre de membres est déjà significatif. Le Parti libéral sera plus dans les consciences pour les élections provinciales de 2026 », soulève la professeure d’études politiques à l’Université d’Ottawa.  

À la question de savoir comment Bonnie Crombie peut s’y prendre pour défaire Doug Ford, elle répond : « L’avenir dira si elle est capable d’unir le parti et d’éviter ses divisions entre le clivage centre droit et centre gauche. Chaque chef a son style, mais, au vu des résultats serrés de la course, son travail d’unité et de recentrage va être plus important que ce qu’on pouvait penser, pour s’assurer que les troupes marchent au même pas. »

« Le premier ministre sait que Bonnie Crombie et le recentrage des libéraux constituent une menace pour lui »
— Geneviève Tellier, politologue

D’ajouter : « Elle a tout de même de l’expérience en politique fédérale. La stratégie et le discours communs seront de « défaire Doug Ford », ce qui fait l’unanimité au sein du Parti libéral. Or, le premier ministre sait que Bonnie Crombie et le recentrage des libéraux constituent une menace pour lui et son parti, d’où une certaine nervosité de leur part. »

« C’est un prisme très intéressant de voir que les anciens deux premiers ministres libéraux Dalton McGuinty, centre droit et Kathleen Wynne, centre gauche, incarnant ces deux différentes visions, aient été tous deux invités au congrès libéral », observe la politologue, qui y voit une volonté fédératrice d’unité.

« J’ai bien l’impression que Bonnie Crombie veut plus ramener le parti là où il était à l’époque de McGuinty, notamment en rétablissant un équilibre financier par une certaine rigueur budgétaire. »

Selon Geneviève Tellier, les deux prochaines années restantes devraient suffire aux libéraux pour se préparer à 2026 : « Et si ça ne l’est pas, c’est qu’il y a un problème. Il leur faut se mettre au travail rapidement. Des questions doivent être abordées, notamment le financement du membership et la tournée de la province pour aller écouter les Ontariens. Si Mme Crombie n’est pas à Queen’s Park, elle aura en fait plus de temps pour se concentrer sur la reconstruction du parti, pour travailler sur sa plateforme, un programme qui campe bien le parti et qui intéresse la population. Deux ans, ça devrait être suffisant pour y parvenir », conclut-elle.