L'ancien premier ministre Brian Mulroney est mort à 84 ans. Sa fille Caroline a annoncé jeudi soir que l'ancien chef conservateur était décédé paisiblement, entouré de ses proches. Crédit image: THE CANADIAN PRESS/Kevin Frayer

Nous sommes au début de l’année 1984. Brian Mulroney vient fraîchement d’arriver dans l’opposition comme chef progressiste-conservateur à Ottawa. Au même moment, au Manitoba, le gouvernement néo-démocrate propose d’accorder des droits constitutionnels aux Franco-Manitobains, ce qui provoque un tollé chez les anglophones et une crise linguistique dans la province.

L’opposition progressiste-conservatrice au Manitoba monte aux barricades et refuse même de se présenter en chambre durant deux semaines. Elle refuse de se présenter le jour du vote sur ce projet de loi, ce qui a pour effet de proroger la chambre. Le vote n’aura ainsi jamais lieu.

À Ottawa, Brian Mulroney et son parti contrastent avec leurs collèges manitobains et appuient, avec l’ensemble de la Chambre des communes, une motion en soutien à la cause des Franco-Manitobains. Brian Mulroney se met ainsi à dos les conservateurs provinciaux du Manitoba, à quelques mois des élections fédérales.

Il rentre aussi dans le rang, ses propres députés anti-bilinguisme, un mouvement social avec une certaine popularité à l’époque, et ses députés manitobains en accord avec leurs collègues provinciaux. Brian Mulroney « ne tolérera pas de dissidence parmi ses députés sur la question du français au Manitoba », selon les archives du journal La Presse.

« C’était un conservateur et progressiste qui avait une sensibilité, à la fois de la situation des Québécois comme telle, et du point de vue des minorités francophones. Il y croyait sincèrement. C’était plus que des paroles, il y avait des mesures qui suivaient », relate l’historien Serge Dupuis.

Né à Baie-Comeau, Brian Mulroney avait une certaine affinité naturelle avec les minorités francophones du pays, ayant grandi comme un anglophone du Québec, explique Serge Dupuis.

« Il avait connu la communauté acadienne. Il avait étudié à l’université Saint-Francis-Xavier en Nouvelle-Écosse. Ces grands amis, c’étaient des Doucet du Cap-Breton. Alors, ce n’était pas quelqu’un qui était étranger aux minorités francophones. La réalité de la francophonie canadienne, il la connaissait », raconte Yvon Fontaine, qui a été président de la Fédération des francophones hors Québec, de 1986 à 1988, sous le premier mandat de Brian Mulroney.

En 1988, c’est justement sous le gouvernement Mulroney qu’a lieu la première modernisation de la Loi sur les langues officielles, qui vient donner de nouveaux pouvoirs pour travailler et être servi en français au niveau fédéral, notamment dans des régions francophones du pays.

Cette législation confère aussi de nouveaux droits aux francophones dans le système judiciaire, comme d’imposer que les juges fédéraux soient en mesure de comprendre, dans les deux langues officielles, des causes, ainsi que le droit aux accusés de pouvoir subir un procès en français partout au pays.

« Il croyait en la dualité linguistique et il croyait qu’il fallait qu’il fasse quelque chose », soutient le juriste Pierre Foucher, qui précise que cela survenait à un moment où il y avait une revalorisation du français au Canada.

« Le caucus conservateur n’était pas toujours d’accord, mais il avait réussi à mettre tout le monde en ligne. Globalement, c’est positif, évalue M. Foucher. Il accordait une importance élevée aux droits linguistiques. Le seul hic que je vois est qu’il a aboli le Programme de contestation judiciaire. »

Au début de son règne, le gouvernement Mulroney fait aussi un renvoi à la Cour suprême pour forcer celle-ci à rendre inéligibles les lois du Manitoba, car elles ne sont pas traduites en français. La plus haute Cour du pays donne ainsi raison au gouvernement fédéral dans cette cause et force la province de l’Ouest à réécrire ses lois en français et à les adopter à nouveau.

« En 1985, c’est son gouvernement qui a initié ce renvoi-là et cela a permis de régler la crise linguistique au Manitoba… Cette initiative a incité d’autres provinces, comme l’Ontario, à lâcher du lousse et à adopter leurs lois dans les deux langues », explique M. Foucher.

Les francophones hors Québec ont aussi été impliqués dans l’Accord de Charlottetown en 1992. Sur la photo, l’ancien président de la FCFA Raymond Bisson en compagnie de Brian Mulroney lors des négociations. Gracieuseté FCFA.

En 1987, l’Accord du lac Meech est initié par Brian Mulroney, qui veut ainsi réconcilier le Québec et le reste du Canada unanimement autour d’un accord constitutionnel, qui échouera finalement trois ans plus tard.

« Le gouvernement fédéral voulait absolument avoir l’appui de la Fédération des francophones hors du Québec. Ils ont tout fait pour avoir notre appui et ce n’était pas gagné au départ, on était assez opposés. Il y avait beaucoup de pression, mais on a finalement décidé d’appuyer », se remémore Guy Matte, qui était président de la fédération de 1989 à 1992.

« M. Mulroney et Lucien Bouchard (alors secrétaire d’État) voulaient vraiment qu’il y ait une place importante pour les communautés francophones et acadiennes dans le paysage canadien » ajoute-t-il.

La Cité collégiale et les écoles francophones

Pour l’historien Serge Dupuis, les organismes francophones hors Québec et les institutions francophones d’aujourd’hui peuvent remercier l’ancien gouvernement Mulroney pour les nombreuses enveloppes financières dont ils bénéficient.

C’est justement via un fonds initié par le gouvernement Mulroney qu’Ottawa donne 100 millions de dollars au gouvernement de l’Ontario pour fonder La Cité en 1989. C’est aussi grâce à cet argent que l’on finance la création du Collège des Grands Lacs et du Collège Boréal, au milieu des années 1990. Serge Dupuis rappelle aussi que ce fonds de développement a aidé à la création des conseils scolaires de langue française en Ontario en 1998.

« Ce sont des institutions provinciales, les conseils et collèges communautaires, mais le fédéral était là pour pousser et encourager leur développement », développe Serge Dupuis.

Capture d’écran du journal Le Droit portant sur le financement des collèges francophones par le gouvernement Mulroney . Gracieuseté Association communautaire franco-ontarienne (ACFO-Ottawa).

« Il n’y a jamais eu autant de francophones au sein d’un gouvernement que dans le gouvernement Mulroney, car c’était avant la création du Bloc Québécois, alors il y avait des sensibilités aux francophones hors Québec. C’était vu comme une cause de justice sociale », indique-t-il.

La FCFA a d’ailleurs salué le legs politico-linguistique de ce dernier, déclarant qu’il a « élargi la place faite aux communautés francophones et acadiennes dans la politique linguistique canadienne ».

L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) a parlé, de son côté, de « l’impact indéniable et durable de M. Mulroney sur la francophonie, ainsi que sur le paysage politique canadien ».

Brian Mulroney avait aussi été un acteur important pour ramener le Canada au-devant de la scène francophone mondiale. C’est d’ailleurs lors du premier Sommet de la francophonie, en 1986, à Paris, qu’il fait adopter à l’unanimité une résolution qui condamne le régime raciste de l’apartheid en Afrique du Sud. Cette prise de position est d’ailleurs vue comme l’un de ses grands coups en carrière.

Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé jeudi qu’il y aura des funérailles d’État pour l’ancien premier ministre canadien, qui a dirigé le pays de 1984 à 1993.