Brian St-Pierre, tout faire… en français
[LA RENCONTRE D’ONFR]
Entre les albums solos, l’enseignement, les spectacles à grand déploiement et les performances dans les Club Med, Brian St-Pierre semble avoir trouvé la façon de travailler tout en s’amusant. Rencontre avec l’hyperactif compositeur de Mon beau drapeau, chanson incontournable en Ontario francophone.
« Comment la musique est-elle arrivée dans votre vie?
Je viens d’une famille de musiciens. Ça a toujours été un rêve de faire quelque chose en lien avec la musique.
Pourquoi prononce-t-on Brian (comme brillant, en français) et non Bryan?
Beaucoup de gens pensent que c’est un nom d’artiste, mais pas du tout. J’ai l’impression que ma mère a vu passer ce prénom irlandais et qu’elle s’est dit que ça se prononçait bien en français.
Plus jeune, on m’agaçait, me disant que je ne portais pas bien mon nom… Au secondaire, j’ai dit que je m’appelais Bryan. Ça a été ça pendant des années, jusqu’à ce que je rencontre un certain Brian Faucher. Je n’étais plus seul au monde!
Vous avez participé au concours Ontario Pop, qui a été formateur pour plusieurs artistes. Qu’est-ce que ça a changé pour vous?
La première fois, je suis arrivé deuxième. Souvent, on dit que ce sont ceux qui n’arrivent pas premiers dont on entend le plus parler ensuite. Alors, j’ai toujours continué.
J’ai participé une deuxième fois une dizaine d’années plus tard et j’ai gagné le prix du public.
Vous avez aussi gagné des prix dans le milieu universitaire…
À l’Université d’Ottawa, ils construisaient le nouvel édifice pour le département de musique. J’ai lancé l’idée qu’il faudrait un thème musical. Ils ont alors lancé un concours, et nous sommes deux à l’avoir remporté. L’Orchestre du Centre national des arts a utilisé ma pièce pour des tournées dans les écoles, alors elle a été jouée par des grands musiciens.
Vous avez été fait membre de l’Ordre de la francophonie, une reconnaissance décernée par l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) de Prescott et Russell, en 2006. Et en 2023, vous avez reçu le prix Hommage au Gala Trille Or. Qu’est-ce que ces récompenses signifient pour vous?
Ce sont celles dont je suis le plus fier. L’Ordre de la francophonie, c’est le premier prix qui m’a fait sentir que j’ai fait une différence. Pour le prix Hommage, j’ai pleuré quand ils me l’ont annoncé. Que ma contribution soit reconnue, c’est une bonne tape dans le dos.
Les membres de Vice Versa vous ont surpris pendant le gala…
Je m’attendais à voir arriver Improtéine, que j’accompagne souvent sur scène. Vice versa était mon premier groupe. On a eu la chance de faire les premières parties de plusieurs grands noms. C’était une belle surprise de les revoir.
Vous avez lancé votre premier album solo en 2003. Que retenez-vous de cette époque?
L’album Libre représentait la paix avec mes démons intérieurs. Je venais de finir d’écrire la musique de l’écho d’un peuple. Félix St-Denis m’a encouragé à sortir un album solo.
Il y a beaucoup d’autodérision dans les textes. Charles Fairfield, du studio nCode à Ottawa, m’a amené à un autre niveau.
Après, j’ai approché le Conseil scolaire de district catholique de l’Est ontarien (CSDCEO) parce qu’on commençait à parler de construction identitaire. Je leur ai promis un album et un concept de spectacle avec des activités sur la francophonie. C’est comme ça qu’est arrivé Réveille. Les autres conseils ont embarqué. Je me suis retrouvé à faire une tournée partout en Ontario, et même en Saskatchewan. Ça aussi, j’en suis très fier.
Comme plusieurs autres, vous avez aussi eu une carrière d’enseignant. Est-ce trop difficile de vivre de la musique en Ontario français?
C’est très difficile. Il y en a qui peuvent le faire, mais ils font beaucoup de choses à côté, comme des conférences ou des formations. Moi, j’enseignais la musique. J’ai pu vivre ma passion.
Quitter l’enseignement a été une décision difficile. J’ai beaucoup aimé ce que j’ai fait. Tu sais, quand des élèves te disent que tu leur as redonné le goût de vivre… Je leur donnais confiance. Je leur disais, tu es capable de monter sur scène, imagine ce que tu peux faire si tu mets tous ces efforts sur ta passion à toi. J’ai eu la chance d’enseigner à des élèves comme Véronic Dicaire, Michel Bénac et le baryton Yanik Gosselin.
J’enseignais toute la journée et, le soir, quand mes enfants étaient couchés, je retournais à l’école, car j’y avais bâti un studio. J’y restais régulièrement jusqu’à 3 h du matin.
C’est là qu’on a enregistré Mon beau drapeau, qui est devenu l’hymne au drapeau franco-ontarien.
Quelle est la genèse de Mon beau drapeau?
C’était une commande. Le CSDCEO voulait inviter Jean-Marc Lalonde, le député qui venait de faire reconnaître officiellement le drapeau à Queen’s Park. Ils m’ont donné une semaine. J’ai appelé Jean-Pierre Perreault, j’avais un plan : la première journée, il écrirait le texte. La deuxième, je composerais la musique. La troisième, on serait en studio. La quatrième, on ferait venir la chanteuse, Martine Lafontaine. Et la cinquième, on peaufinerait les détails.
J’ai fait écouter la chanson à mes élèves pour la tester. Je voulais qu’on soit capable de la chanter après une seule écoute. Ils m’ont proposé de faire une chorale, alors j’ai recruté 10 volontaires pour venir en studio le soir. J’ai multiplié leurs voix pour que ça sonne comme s’ils étaient 50.
Le vendredi, j’avais déjà envoyé la chanson quand mon ami m’a fait remarquer qu’on parlait seulement du passé. J’ai rappelé le CSDCEO en urgence pour leur demander une journée supplémentaire. On a ajouté « aujourd’hui et demain » à la fin.
Là encore, les autres conseils ont embarqué et la chanson a été reprise partout. Comme le Ô Canada de Calixa Lavallée, je m’étais déjà dit que ce serait bien d’écrire une chanson que tout le monde chante sans savoir qui l’a composée. C’est devenu la chanson du peuple.
L’an dernier, Mon beau drapeau a été reprise par le jeune DJ SMPTY. Comment avez-vous réagi?
DJ UNPIER l’avait faite aussi. Tant mieux si c’est refait avec une nouvelle sonorité. C’est un honneur.
Comment fait-on pour inculquer la fierté franco-ontarienne dans les écoles?
La fierté, il ne faut pas la dire. Il faut la vivre. Au théâtre, je leur disais à la blague : ris, pleure, crie, pète, mais fais tout ça en français.
Quand ils vivent une expérience où ils font du théâtre ou de la musique en français, et qu’ils voient la réaction du public, ça leur donne le goût de recommencer. Oui, je leur refusais de chanter en anglais. Mais je leur faisais découvrir des bonnes chansons francophones. Il faut leur faire vivre la culture plutôt que d’imposer des règlements stricts.
Nous avons évoqué L’écho d’un peuple. Quelle est l’histoire de ce grand projet?
Quelqu’un m’avait dit qu’un groupe nommé Francoscénie voulait organiser un spectacle à grand déploiement, comme ce qu’ils avaient vu en Europe. Je suis arrivé à leur deuxième réunion et je leur ai dit : je suis ici pour écrire la meilleure musique pour le meilleur spectacle.
Le comité avait approché le CSDCEO pour leur demander de me subventionner. Le Conseil des écoles catholiques du Centre-Est (CECCE) a fait la même chose avec Lise Paiement. Ils nous ont libérés pendant un semestre. J’avais le même salaire, mais la seule chose que je devais faire était d’écrire la musique. Je me sentais comme Beethoven.
Le spectacle a été retardé d’un an, alors ils ont d’abord lancé l’album. Quand je l’ai écouté, j’ai eu un moment de panique. Mais quand j’ai entendu la musique avec le spectacle fini, tous mes doutes se sont évaporés.
C’est dommage, en Ontario français, on n’a pas beaucoup de subventions pour ce genre d’événements. Si on avait été au Québec, le spectacle existerait encore, un peu comme La Fabuleuse histoire d’un royaume au Saguenay-Lac-Saint-Jean. On a quand même duré cinq ans.
Vous avez aussi composé la musique de Vaches! The musical, qui vient de se terminer.
C’était un de mes rêves d’écrire une comédie musicale. Je suis tellement fier de ce projet. C’est une idée de Stéphane Guertin et Olivier Nadon. Certains ont douté, mais eux étaient convaincus que ça allait fonctionner, et c’est ce qui est arrivé.
La mise en scène de Dillon Orr est tellement drôle. Il y a un moment où tu ne sais pas si tu dois pleurer ou rire. C’est un coup de génie.
Moi qui m’inquiétais de manquer de projets à la retraite… Quand tu enseignes, c’est la cloche qui te fait vivre. Tu es comme le chien de Pavlov. Je m’inquiétais de comment j’allais remplir mon temps, et ils m’ont approché.
Pour l’anecdote, la veille du début des répétitions, j’ai appelé Stéphane pour complètement changer la chanson-thème. Je venais de composer Oh, Casselman! J’ai dit : avec ça, les gens vont continuer de la chanter en repartant chez eux.
Vous avez un nouveau projet de comédie musicale avec Stéphane Guertin. Que pouvez-vous nous dire là-dessus?
On est dans le début du processus. On va travailler là-dessus cet été. Mais un projet comme ça, ça va prendre quelques années avant que ça ne soit sur scène.
Être le compositeur de Mon beau drapeau, est-ce que ça vient avec une pression de toujours être un ambassadeur de la culture franco-ontarienne?
Pression est un grand mot. Mais, des fois, je me sens coupable si je chante en anglais.
Avec ma femme, Lucie, et ma fille, Mélina, on avait participé au concours télévisé Un air de famille. À la deuxième étape, ils voulaient nous faire chanter I Love Rock N’ Roll. J’ai dit à René Simard, le directeur artistique : mes élèves vont voir l’émission. Je passe mon temps à leur dire de chanter en français, et là vous allez me faire chanter en anglais dans une émission du Québec? Je ne peux pas faire ça.
En Ontario, on se bat pour notre langue. Pour moi, c’est une fierté de chanter en français. C’est un engagement.
À Un air de famille, on ne pouvait pas emmener mes fils Benoît et Jérémie, qui ne chantent pas, mais jouent de la basse et de la batterie. L’objectif était de se faire connaître. On a sorti l’album Les St-Pierre avec eux ensuite.
C’est sûr que, quand je chante dans les Club Med, je m’adapte au public. Je vais chanter en anglais et, s’il y a des Français de France, je vais faire du Aznavour, etc. Une fois, j’étais aux îles Turques-et-Caïques et quelqu’un m’a demandé Mon beau drapeau!
Comment c’est arrivé, de chanter dans les Club Med?
J’ai saisi une occasion d’aller dans les îles turques en juillet, pendant mes vacances de prof. J’ai adoré.
Tu rencontres des gens de partout, et chaque personne a une chanson qui vient particulièrement la chercher. Tu reçois toutes sortes de confidences. Et tu rends les gens heureux pendant leurs vacances.
À quoi peut-on s’attendre pour votre quatrième album solo?
Je ne connais pas le titre encore. On a lancé les chansons Fou de toi et Beaucoup d’amour. Marc-Antoine Joly est en train de finir le mix. Moi, j’ai tout fait dans mon studio chez moi.
C’est en regardant une émission sur Shania Twain que je me suis décidé à faire l’album. Ça racontait qu’elle a été très affectée par la maladie de Lyme et n’a pas chanté pendant 10 ans. C’est Lionel Richie qui a insisté pour qu’elle recommence.
Elle disait : la seule personne qui te bloque, c’est toi. Alors, je me suis dit la même chose. L’album devrait sortir à l’automne. Je suis fébrile.
Quels sont les thèmes abordés?
Des choses que j’ai vécues ou que j’ai vu d’autres personnes vivre. Le deuil, l’Alzheimer… Fou de toi est une chanson d’amour qui a l’air de parler d’un jeune couple, mais qui parle de mon histoire avec Lucie qui continue depuis 35 ans.
Une chanson, c’est comme une bouteille à la mer. Il y en a tellement, ça prend plusieurs facteurs pour que la tienne ressorte du lot. Il faut avoir du plaisir à le faire, ce que je fais autant avec la musique pour adulte que celle pour enfants, car je compose des spectacles avec Johanne Lefebvre, alias Jojo.
Vous préparez le spectacle du 150e anniversaire de St-Albert. De quoi ça va avoir l’air?
Ils voulaient un spectacle avec des artistes locaux semi-professionnels comme Lise Dazé et Nathalie Deslauriers, qui fait la mise en scène. Moi, je m’occupe de la musique.
On a construit notre spectacle autour de l’histoire St-Albert. Le narrateur Francis Ouimet va présenter chaque tableau, puis on va faire des medleys, un peu à la En direct de l’univers.
Par exemple, on a un medley avec des chansons de plein d’artistes qui sont passés au Festival de la curd. Ce sera un spectacle de grande envergure, le 21 juin, avec des feux d’artifice après.
Avez-vous trouvé la recette du bonheur?
Je suis à la retraite, mais j’appelle plutôt ça une nouvelle vie. Je manque de temps. Ma femme a hâte que je prenne ma retraite de ma retraite. Mais j’ai tellement de plaisir! »
LES DATES-CLÉS DE BRIAN ST-PIERRE :
1963 : Naissance à Moose Creek
1994 : Premier contrat de disque avec Vice Versa
2001 : Création de la chanson Mon beau drapeau avec les paroles de Jean-Pierre Perreault
2003 : Composition de la musique de L’écho d’un peuple et lancement de son premier album solo
2007 : Le spectacle Réveille, associé à l’album du même titre, remporte le prix Coup de coeur scolaire à Contact ontarois
2013 : Participation à Un air de famille et lancement de l’album Les St-Pierre, qui représente le bonheur de faire de la musique avec sa femme et ses enfants
2023 : Récipiendaire du prix Hommage au Gala Trille Or
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario, au Canada et à l’étranger.