Cap sur Dubreuilville, un ancien village privé où la francophonie est reine
[VIRÉES D’ÉTÉ]
DUBREUILVILLE – Perdu dans la forêt, à une heure de route des villes les plus proches, le canton de Dubreuilville a une histoire particulièrement étonnante. Ce fief francophone de 576 habitants nourri par l’industrie aurifère et le tourisme, lutte encore et toujours pour sa survie.
Les francophones sont en terrain plus que connu à Dubreuilville où 82 % de la population a le français comme première langue officielle parlée selon les données du dernier recensement de 2021. Seuls 105 personnes ont l’anglais comme première langue officielle parlée.
C’est donc la deuxième localité en Ontario où le français est aussi dominant après Hearst, le célèbre dénommé village Gaulois de 86 % de francophones.
Le slogan de la ville, « Prenez le temps de vivre », comme les panneaux routiers et les noms de rue, se lit dans la langue de Molière dans tout le canton. Fait assez inusité, la mairesse, Beverly Nantel, est anglophone.
Avec deux seuls établissements scolaires, tous deux francophones, l’École élémentaire catholique Saint-Joseph et l’École secondaire publique L’Orée des bois, les anglophones n’ont pas d’autre choix que de se rendre à une heure de route, à la ville de Wawa, pour scolariser leurs enfants.
Pour l’industrie minière, très importante à Dubreuilville, cette situation est un frein au recrutement de la main-d’œuvre, souvent extérieure au canton, et à l’installation de familles ontariennes. Ironiquement, c’était auparavant l’enjeu des jeunes francophones, qui, avant l’arrivée de ces écoles françaises en 1961 et en 2008, devaient faire 150 km d’autobus par jour.
La majorité francophone de Dubreuilville a permis à quantité de francophones de Wawa et de la région de sortir du placard et d’affirmer leur identité, ce qu’ils cachaient avant, pour ne pas être différents de la majorité anglophone.
Plusieurs personnalités francophones importantes sont passées par Dubreuilville. Guy Bourgouin, le député néo-démocrate provincial de Mushkegowuk-Baie James, en est originaire, alors que Michael Mantha y a travaillé comme président de l’union des travailleurs avant de devenir député d’Algoma-Manitoulin.
Un village privé créé par quatre frères
Le village tire son nom de la famille Dubreuil, quatre frères de l’industrie forestière, Napoléon, Joachim, Augustin et Marcel lesquels étaient venus de Taschereau, au Québec pour s’installer dans le Nord.
En 1958, Augustin Dubreuil a inventé le « Sputnik » (nommé en hommage au premier satellite russe lancé dans l’espace en 1957), un équipement capable de transporter dans la scierie des billes de longueur complète par un seul opérateur. Le processus consistant à amener des arbres complets à la scierie était une première en Amérique du Nord et considéré comme révolutionnaire.
Les frères de Dubreuil ont été intronisés au Temple de la renommée du bois d’œuvre pour avoir changé la façon dont l’exploitation forestière est effectuée aujourd’hui en Amérique du Nord.
Créé de toute pièce, le village n’existait pas sur la carte de l’Ontario avant leur installation en 1961, et, jusqu’en 1977, Dubreuilville était considéré comme un site de société privée, appartenant aux frères Dubreuil.
Les véhicules devaient s’enregistrer à la porte située au niveau de l’embranchement des autoroutes pour avoir accès au village, et l’épicerie comme le loyer des maisons étaient prélevés sur le salaire des employés.
En 1978, les frères Dubreuil vendent toutes leurs propriétés à leurs employés en afin de permettre la création d’un canton provincial enregistré reconnu par la province.
Aujourd’hui, l’un des petits-fils des fondateurs du village, Patrice Dubreuil, est encore très actif dans le canton qu’il continue de promouvoir. Il a conçu, notamment, deux applications à succès pour cartographier les sentiers de motoneige de la région, Mooseback Trail system et plus récemment Trans Ontario Trail.
Une population en décroissance
Pendant les années 1980, plusieurs scieries familiales du nord-est de l’Ontario sont achetées par de grandes entreprises intégrées (avec scieries et usines à pâtes) ou des multinationales (ayant des usines dans plusieurs pays.
L’usine des frères Dubreuil n’y échappe pas puisqu’en avril 1989, Buchanan Forest Products de Thunder Bay achète l’entreprise. En 2008-2009, la grande récession et chute des prix du bois d’œuvre voit la fermeture complète de la scierie.
La population du village, qui a connu l’arrivée massive de familles et d’ouvriers principalement venus de l’Abitibi et de Gaspésie avait atteint un certain âge d’or jusqu’aux années 1990. Le nombre de résidents était alors passé de 400 en 1965 à environ 1 100 en 1975.
Mais depuis la fermeture de la scierie, la population n’a fait que décroître graduellement. Alors qu’au recensement de 2006, le village comptait 773 âmes, ce nombre chute à 635 selon les données de 2011 et 576 aujourd’hui.
Le manque criant de logements à Dubreuilville ne fait qu’aggraver la situation dans ce canton qui a besoin de travailleurs dans plusieurs secteurs comme les mines, les services ou encore l’éducation.
Néanmoins, Dubreuilville peut se targuer d’un taux de criminalité presque nul. La bourgade ne compte qu’un poste de police satellite, deux camions de pompiers et deux ambulances. Pour se divertir, la population mise beaucoup sur son seul restaurant, le centre de vie à Dubreuilville.
Le village fantôme de Goudreau À quelques kilomètres au sud-est de Dubreuilville, la petite ville minière de Goudreau a, quant à elle, connu son âge d’or dans les années 1900, avant d’être frappée de plein fouet par la grippe espagnole, puis la fermeture de sa seule mine d’or. Un camp de concentration de prisonniers allemands y avait notamment été inauguré durant la Seconde Guerre. Le village ne compte plus qu’un seul habitant qui y vit quelques mois par année.
Un canton qui se développe
Malgré son isolement, Dubreuilville a profité au fil des ans d’industries prolifiques, notamment l’industrie minière et l’industrie du tourisme.
L’industrie aurifère fait les beaux jours de Dubreuilville, qui vient de voir naître l’exploitation d’une deuxième mine. Alamos Gold Island est en activité depuis 20 ans, produit plus de 100 000 onces d’or par an et emploie près de 600 personnes.
Un tiers de la main-d’œuvre de la mine est originaire de Dubreuilville, tandis que d’autres mineurs se rendent chaque semaine sur deux sur le site de la mine. L’entreprise a aménagé des dortoirs dans les limites de la ville de Dubreuilville, en plus d’occuper plusieurs maisons, appartements et bâtiments spéciaux destinés à abriter leur personnel.
Une nouvelle mine d’or, Magino de la compagnie Argonaut Gold, a effectué sa première coulée d’or le 14 juin dernier.
Dans ces deux mines, l’anglais demeure la langue de travail et de communication, à l’inverse de l’usine des frères Dubreuil.
Le tourisme est aussi très important ce village situé en plein milieu de la forêt Magpie, réputée pour ses activités de pêche, de chasse, de motoneige et de VTT très actif. Plusieurs pistes TOP de la Fédération des clubs de motoneigistes de l’Ontario se croisent à Dubreuilville.
Des efforts continuent d’être faits pour connecter la ville au reste de la province et du monde. Dubreuilville vient d’obtenir, après une longue attente, un accès internet à haute vitesse qui fait déjà le bonheur des habitants.
Avant cela, le Dubreuiville avait accès collectivement à seulement 100 Mo, par l’entremise d’une connexion internet provenant de White river, à une heure de route de là.
Tout au long des mois de juillet et août, Virées d’été vous emmène dans des villages et recoins inattendus de la francophonie ontarienne. Une série à découvrir sur notre site web et nos réseaux sociaux