[VIRÉES D’ÉTÉ]

PAIN COURT – On le surnomme le jardin de l’Ontario. Quadrillé d’une poignée de rues, le pourtour rectiligne taillé à la herse, Pain Court est cerné de champs qui s’étirent à perte de vue que seul découpe, affranchi des codes, le lit sinueux de la rivière Thames. Ici, c’est la loi du tracteur et des semences, de l’homme et de la terre.

Perdu au milieu de l’immensité du territoire sud-ontarien de Chatham-Kent, qui s’étend sur plus de 2 000 kilomètres carrés, à 80 kilomètres à l’est de Windsor, Pain Court a bâti sa renommée sur l’agriculture en combinant trois paramètres : le sol, le climat et la recherche.

Sur ces terres riches, humides et ensoleillées, on cultive tout autant le maïs, le soya, l’asperge et la betterave à sucre qui a su surmonter la féroce concurrence internationale de la canne. Région aux 2 000 fermes, Chatham-Kent est aussi le premier producteur de choux de Bruxelles, de tabac noir, de concombres et de tomates.

À Pain Court, épicentre de l’agriculture ontarienne, la vie bat donc au rythme des saisons, du labourage, des semences et des récoltes.

Le cultivateur Normand Bélanger dans son champ de betteraves à sucre (1939). Source : bonjourpaincourt.ca

Le Concours national de labour a d’ailleurs eu lieu ici même en 2018 et la compétition de tire de tracteur qui prend chaque été ses quartiers au pied de la tour d’eau est une véritable Mecque pour les fermiers en provenance de toute la province. Et nombre de ceux qui vivent et cultivent les terres de la commune descendent de lignées francophones.

Aux origines du Sud-Ouest franco-ontarien

À qui doit-on ce bout de terre francophone? Certainement aux premiers colons venus du Détroit (actuelle région de Windsor-Détroit) qui y ont élu domicile au tournant des années 1780, attirés par la fertilité des sols à proximité immédiate du lac St Clair.

Cet héritage s’est renforcé, un demi-siècle plus tard, avec une nouvelle vague d’agriculteurs affluant dans les années 1830 du Québec et des régions atlantiques. Sous la houlette du curée Claude-Antoine Ternet, la construction d’une chapelle en 1951, suivie d’une église, deux plus tard, a consolidé les liens de la petite communauté agricole qui s’est développée avec vigueur. À cette époque, on recensait près de 200 familles, en majorité canadiennes-françaises.

L’église actuelle de l’Immaculée Conception. Crédit image : Andréanne Baribeau

Née en 1853 grâce à l’abbé Jean-Thomas Raynel, la paroisse de l’Immaculée Conception perdra son église dans un incendie en 1874. Construite l’année suivante, la seconde tombera en ruine, avant l’édification d’un troisième édifice, en 1911, sur l’emplacement de l’église actuelle. La construction d’un couvent sera même achevée en 1923.

Mais en 1937, le sort s’acharne sur les paroissiens : l’église est encore la proie des flammes. Il ne faudra qu’une année pour en rebâtir une quatrième, toujours debout de nos jours. Sa communauté aussi.

Pain Court est ainsi considéré comme l’une des premières communautés franco-ontariennes du Sud-Ouest de l’Ontario, avec ses voisins de Grande Pointe. Une rivalité culturelle et identitaire a longtemps perduré entre les deux villages dont le français variait d’un bord à l’autre.

Une plaque historique commémore le passé tumultueux de l’arrivée des premiers fermiers jusqu’à 1966 et l’établissement de la poste qui, aujourd’hui encore, constitue une des rares agences à offrir des services en français.

Pain court ou short bread? Miettes d’histoire…

Avec les écoles catholiques, tout était en place pour créer les conditions d’une dynamique culturelle et éducative. On en compte deux dans cette communauté rurale : l’École secondaire catholique de Pain Court et l’École élémentaire catholique Sainte-Catherine, gérées par le Conseil scolaire catholique Providence.

Inaugurée en 1928, la première abritera la seconde à ses débuts, à partir de 1937. L’École secondaire se nomme alors Pain Court Continuation School. Ce n’est qu’en 1953 qu’elle déménagera dans l’édifice actuel de la rue Notre Dame, s’appelant École H.J. Payette Continuation School, puis, en 1972, École secondaire de Pain Court.

32 ans avant la création des écoles secondaires publiques de langue française, Pain Court a donc été une des premières localités ontariennes à bénéficier de l’enseignement public de niveau secondaire en français.

Des élèves en classe à l’école élémentaire catholique Sainte-Catherine. Source : bonjourpaincourt.ca

Pour comprendre la signification du nom du village, il faut remonter au XIXe siècle, du temps où les colons francophones cultivaient la terre et produisaient des pains courts pour les missionnaires catholiques itinérants. « Je vais à la mission où le pain manque », disaient-ils selon la légende, signe de la pauvreté dominante. Autrefois nommé La Tranche du nom de la rivière voisine, le village est devenu Pain Court, et la Rivière : la Thames.

Rien à voir donc avec le short bread écossais même si le parallèle avec l’histoire de ce biscuit est tentant : il s’agissait de sécher au four le reste de pâte à pain jusqu’à ce qu’il devienne biscotte. Avec le temps, le pain est devenu le célèbre sablé que l’on connaît aujourd’hui.

Les années glorieuses de la Central Tavern

La francophonie prospère ainsi grâce à ses écoles mais aussi ses lieux de rassemblement comme le parc du Centenaire, fondé en 1967 pour souligner les 100 ans d’existence de la Confédération canadienne, ou encore la Central Tavern.

Véritable repaire pour les arts de la scène, cet unique restaurant niché au cœur du village a vu passer de nombreux artistes franco-ontariens, dont certains sont devenus des célébrités à l’image de Véronic Dicaire ou encore Damien Robitaille. Robert Paquette, Jean-Guy Labelle, Joanne Blouin on également foulé les planches de la taverne trônant aux angles des routes Winter Line et Creek Line.

La Central Tavern a vu défiler de nombreux artistes francophones. Crédit image : Rudy Chabannes

À l’été 2004, le lieu est le théâtre des 150 ans de la commune. À l’affiche, le Groupe Swing, Annie Brocoli et Édith Butler, mais aussi une pièce de théâtre historique réalisée et interprétée par des résidents. Le Groupe Swing (devenu LGS) gardera de son passage ce tapis noir caractéristique de ses spectacles.

Sortons de table à présent! Direction : la sortie du village. En ce week-end de juillet, la fête se passe ailleurs. À l’ombre de la tour d’eau, au milieu des vrombissements de moteurs, le concours de tire de tracteurs s’apprête à commencer.

Ce concours est le plus gros rassemblement du village. Un incontournable qui dépasse largement ses petites frontières. Au hasard des rencontres dans les allées du concours, les discussions se font en anglais mais l’usage du français se libère, tantôt hésitant tantôt flamboyant, aux premiers mots échangés dans la langue ancestrale.

Mais ces lieux d’échanges en français choses se réduisent à peau de chagrin aujourd’hui. Si les écoles demeurent, l’assimilation linguistique rampante a fait son œuvre et la jeunesse qui ne bascule pas dans la vie en anglais, rêve d’horizons plus lointains pour continuer à vivre sa francophonie et trouver des opportunités professionnelles.

Qui a volé la cloche?

L’assimilation n’est pas le seul danger qui guette. Des pans entier du patrimoine disparaissent peu à peu : les grandes lignées de fermiers franco-ontariens s’estompent et des fragments du patrimoine bâti aussi, à l’image du vol, en 2020, de la cloche historique de Pain Court.

Témoin ancestral de l’histoire du village, une cloche de plus de 100 kilos trônant sur un socle de béton devant l’École secondaire de Pain Court, a été volée. Un véritable drame pour les habitants.

Source : Pain Court 150

Le magasin de DD Gagné. Source : Pain Court 150

La tour d’eau vue du parc du Centenaire. Crédit image : Rudy Chabannes

Crédit image : Andréanne Baribeau

Au centre du village, un panneau en français retrace l’histoire du village à partir de 1780. Crédit image : Rudy Chabannes

Le bureau de poste actuel sur l’artère principale du village. Crédit image : Rudy Chabannes

L’unique école secondaire de Pain Court est francophone :  elle forme 250 élèves de la 9e à la 12e année. Crédit image : Rudy Chabannes

Un panneau en français indique la direction des écoles, des parcs et de la garderie. Crédit image : Rudy Chabannes

La Central Tavern a vu défiler de nombreux musiciens franco-ontariens et québécois. Crédit image : Rudy Chabannes

Crédit image : Rudy Chabannes

Le concours annuel de tire de tracteur attire chaque année des milliers de spectateurs près de la tour d’eau. Crédit image : Rudy Chabannes

L’ancien bureau de poste portait le nom de Dover South. Source : Pain Court 150

La pose de la pierre d’angle de la troisième église en 1911. Source : Pain Court 150

L’entrée du parc du Centenaire. Crédit image : Andréanne Baribeau

Forgée au début du 20e siècle, elle appartenait à l’origine à l’ancienne école de Dover, fermée dans les années 1960. Un temps disparue des écrans radars, elle était réapparue dans les années 1990, avant d’être installée devant l’école.

Malgré la récompense de 1000 dollars promise, le précieux objet patrimonial n’a jamais refait surface et l’enquête policière n’a jamais pu éluder la sombre affaire.

Un autre bien précieux fait l’objet de toutes les attentions : les rares services en français. Lorsqu’en 2021 la poste du village a perdu son employé bilingue, elle a dû faire face à la plainte d’un citoyen, Paul Laprise, et rétablir ses services dans les deux langues officielles. Il faut dire que jamais, en 161 ans d’existence, la petite agence locale n’avait manqué à ses obligations. Une illustration parmi d’autres de la fragilité des acquis linguistiques.

Des noms évocateurs de la francophonie d’antan
C’est en parcourant les allées du cimetière du village qu’on mesure l’étendue de l’héritage francophone du village : Caron, Gagné, Roy, Tremblay… Les inscriptions sur les innombrables pierres tombales sont un voyage dans le temps au cours des trois derniers siècles.
Entre autres noms célèbres : Joseph Caron, ancien diplomate canadien, a été élevé à Pain Court. Ambassadeur du Canada en Chine de 2001 à 2005, en Corée du Nord, en Mongolie et au Japon jusqu’à l’automne 2008, il a ensuite été nommé haut-commissaire en Inde avec accréditation simultanée en tant qu’ambassadeur au Népal et au Bhoutan.
Autre grand nom ici, Laprise. Située à Pain Court, Laprise Farms Ltd est aujourd’hui le plus grand producteur de choux de Bruxelles au Canada depuis 1998.

Tout au long des mois de juillet et août, Virées d’été vous emmène dans des villages et recoins inattendus de la francophonie ontarienne. Une série à découvrir sur notre site web et nos réseaux sociaux.