Carlsbad Springs va connaître un développement urbain inédit: le projet Tewin qui prévoit la création de 45 000 logements. Crédit image: Lila Mouch

[VIRÉES D’ÉTÉ]

CARLSBAD SPRINGS – Le patrimoine hydrothermal de cet ancien village, en a fait sa renommée à la fin du 19ᵉ siècle. De nouveau convoité par des promoteurs aujourd’hui, Carlsbad Springs fait cette fois face à un développement urbain inédit avec le projet de construction Tewin, qui promet la création de 45 000 nouveaux logements.

La zone géographique de Carlsbad Springs et ses localités aux alentours sont un atout pour la Ville d’Ottawa. Situé à seulement 20 kilomètres du centre-ville, Carlsbad Springs était ce qu’on appelle un village-dortoir puisque le bassin d’emploi se trouve au cœur de la Capitale.

Tewin est un plan de construction qui se trouve en dehors des limites urbaines de la capitale et qui s’étend sur environ 1 270 hectares (3 140 acres). Sur le site internet dédié au projet, nous pouvons lire : « Tewin deviendra une communauté créée par les Algonquins de l’Ontario, en partenariat avec le groupe Taggar. Elle deviendra une véritable communauté contemporaine d’Ottawa. Tewin a le potentiel d’accueillir entre 35 000 et 45 000 résidents ainsi que des milliers d’emplois et servira de modèle pour un développement sain, innovant et intégré. »

Le projet Tewin et la construction de 45 000 logements

Ce que promet Tewin, c’est de créer une communauté basée sur les valeurs des autochtones, en protégeant l’environnement et en défendant une approche holistique dans sa conception. Pourtant, les récents développements de ce projet ont soulevé des doutes chez les habitants, auprès de l’Alliance pour les espaces verts de la capitale du Canada et chez Écologie Ottawa.

Malgré les contestations, le conseil municipal a approuvé le projet et ses limites géographiques.

Voici à quoi ressemble les 1270 hectares proposés pour accueillir le projet Tewin. Montage ONFR / Simon Paindavoine

« Tewin, ça faisait un moment que c’était sur la table du conseil », explique la conseillère Catherine Kitts, en entrevue avec ONFR. « La décision de s’étendre était prise avant même que j’arrive en 2020. »

Avant 2022, Carlsbad Springs faisait partie du quartier de la conseillère. Lors des récentes élections municipales, c’est le conseiller George Darouze qui a récupéré l’ancien village.  

Mme Kitts, qui soutient le projet de Tewin, voit une possibilité de bénéfices pour la communauté. « Je trouve que la vision est dynamique : l’idée d’une communauté de 15 minutes est une opportunité excitante », pense-t-elle.

Pourtant, certains habitants craignent de perdre l’aspect rural qui les attirait au départ. « Je comprends les inquiétudes des habitants et que cela puisse être un gros changement, mais la ville grandit », estime la conseillère.  

Un projet pensé par les Algonquins de l’Ontario

Lucie Régimbald, résidente de Carlsbad Springs, confie à ONFR+ que certains habitants étaient férocement opposés à ce projet. À présent validé, « ils veulent l’influencer positivement ».

« Plusieurs terrains appartiennent aux Algonquins de l’Ontario. Le projet Tewin a été négocié, entre autres, comme faisant partie d’un plan de réconciliation, mais il reste beaucoup de questions sans réponse », partage Mme Régimbald.

Lucie Régimbald vit à Carlsbad Spings. Dans le passé, elle s’était mobilisée contre le projet de dépotoir du Groupe Taggart. Crédit image : Lila Mouch

Parmi les doutes, la légitimité des Algonquins de l’Ontario est parfois remise en cause. Lucie Régimbald affirme, à ce titre, que plusieurs chefs autochtones n’ont pas soutenu l’existence de cette entité.

D’après M. Johanis, président de l’Alliance pour les espaces verts de la capitale du Canada, « il y a quelques années, dans le contexte d’une démarche de reconnaissance du territoire autochtone de la nation algonquine, les Algonquins de l’Ontario se sont constitués en une société pour mener à bien des négociations vis-à-vis de la réclamation territoriale ».

« Cet organisme s’est aussi donné une vocation de promoteur immobilier », ajoute-t-il. « En s’associant avec Taggart, ils ont convaincu la province et ont racheté les terres sur lesquelles le projet Tewin verra le jour. Aujourd’hui, ces terres appartiennent aux Algonquins de l’Ontario. »

« Pour construire à cet endroit-là, il a donc fallu que la Ville change les limites du périmètre urbain. C’est là où le plan d’aménagement a été modifié cette année », soutient cet expert du dossier.

Au détriment de l’environnement

« Il faut savoir que les terrains n’avaient pas été validés par les experts », se rappelle M. Johanis.

« Les terrains de Tewin avaient été évalués comme n’étant pas du tout aptes à être développés. Une terre difficile, trop éloignée, des difficultés d’accès pour les égouts, pour l’eau et donc un projet très dispendieux. En tout cas, au moment de l’évaluation, les terres étaient classées sur une liste de terrains moins bons, voire au bas de ladite liste. »

Paul Johanis est le président de l’Alliance pour les espaces verts de la capitale du Canada. Gracieuseté

M. Johanis pense qu’avec le gouvernement actuel et le genre d’orientation qu’il prend, un nombre croissant de projets identiques verront le jour et « tous avec le même thème : construire, construire, construire ».

« Que ça soit sur des terres agricoles, sur des terrains humides et des forêts vierges, on ne s’en préoccupe pas. »

« Pour contrer l’étalement urbain, il faut faire de l’intensification » – William Van Geest.

Au mois de février 2023, des opérations de coupes d’arbres ont eu lieu durant plusieurs nuits. « On sait maintenant que ce sont 170 hectares qui ont été rasés », explique le président de l’Alliance environnementale.

« C’est décevant, mais par contre, est-ce que c’est une surprise? » se demande William Van Geest, coordonnateur des programmes chez Écologie Ottawa. « Ce projet commence vraiment mal avec cette coupe à blanc. Même au niveau de la conception, il y a des problèmes. »

William Van Geest travaille pour la protection de l’environnement. Il est coordonnateur des programmes à Écologie Ottawa. Crédit image : Dancia Kendra Susilo

Après avoir été confrontés sur cette coupe d’arbres, les partenaires du projet ont affirmé qu’ils n’étaient pas tenus d’obtenir un permis pour effectuer ces coupes. La raison : ils nettoyaient les débris du derecho de 2022 et se préparaient à utiliser les terres pour des fins agricoles.

Mais pour Lucie Régimbald, ce comportement reste suspect. Les coupes ont été effectuées la nuit, durant le mois de février, sans prévenir les résidents ni les élus municipaux. La propriété est zonée pour un usage agricole et est étiquetée comme zone humide, mais la Loi sur la protection de l’agriculture et de la production alimentaire de l’Ontario stipule qu’aucun règlement municipal ne s’applique pour restreindre une pratique agricole dans le cadre d’une exploitation agricole.

La conseillère Kitts se rappelle avoir été en colère, lorsqu’elle a eu connaissance du déboisement. « Nous n’avions pas été informés et Taggart a perdu la confiance des habitants, déjà que la relation était difficile », dit-elle.

Vue d’un drone le 20 mai 2023, montrant l’espace entièrement déboisé en février dernier. Source : Youtube/ Nathanael Newton

Le développement urbain : seule solution?

Le développement urbain est-il la seule solution face à la crise du logement? Paul Johanis admet que la dynamique actuelle dans les régions rurales d’Ottawa est propice au développement urbain. « C’est une dynamique qui semble se concentrer peut-être sur ce petit village de Carlsbad Springs », estime-t-il.

Il fait référence au nombre croissant de projets en cours ou déjà terminés, tels que le plan d’un mégadépotoir en étude depuis 2016, la construction d’un entrepôt Amazon en 2018 ou encore un futur projet d’Hydro One.

« La seule résistance, ce sont les résidents, la société civile, les organismes comme nous qui défendons la zone rurale » – Paul Johanis


Pour contrer l’étalement urbain, il faut faire de l’intensification, explique William Van Geest. « On ne peut pas intensifier, si on ne peut pas bâtir plus que deux étages », explique-t-il. Le sol en argile de Carlsbad Springs sera un véritable défi.

« La question, c’est comment utiliser les terrains que nous avons déjà. L’intensification, c’est vraiment une bonne façon de combler ce manque de logement. »

Protection de la zone rurale

M. Johanis explique que 80 % du territoire d’Ottawa se trouve dans des zones rurales. Il y aurait donc de nombreuses autorisations pour ce qui est de la construction, notamment beaucoup de possibilités industrielles et commerciales.

À Carlsbad Springs, le terrain du dépotoir (un projet de Taggart-Miller) est encore au point mort. Crédit image : Lila Mouch

« La seule résistance, ce sont les résidents, la société civile, les organismes comme nous qui défendons la zone rurale. La zone rurale, c’est notre plus grand espace vert », clame le président.

« Les habitants vont perdre leur qualité de vie, ce projet va affaiblir les forêts et les zones humides », en conclut M. Van Geest.

En traversant Carlsbad Springs, le nombre de terres agricoles sur le chemin Piperville est impressionnant. Elles sont en majeure partie constituées d’argile glaciomarine, plus communément appelée argile de Léda.

Les sols argileux ne sont pas favorables à la construction. Ils sont sensibles au gel et peuvent subir des variations de volume. Ce type de sol est réputé pour se tasser à cause de sa forte teneur en eau. Autour de l’Outaouais, plusieurs projets de construction sont retardés à cause de glissements de terrain D’ailleurs, en 2016, l’argile de Léda a été la cause de l’affaissement de la rue Rideau au centre-ville d’Ottawa, qui avait laissé apparaître un trou béant.

Le conseiller Darouze, le Groupe Taggart et les Algonquins de l’Ontario n’ont pas répondu favorablement à nos demandes d’entrevues.

Tout au long des mois de juillet et août, Virées d’été vous emmène dans des villages et recoins inattendus de la francophonie ontarienne. Une série à découvrir sur notre site web et nos réseaux sociaux.