La bévue d’Allan Rock
[CHRONIQUE]
Le projet d’une université franco-ontarienne a été longuement débattu lors de la dernière élection provinciale. Le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) avait fait un excellent travail en mettant de l’avant cet enjeu dans l’espace public. La presse française dans la province s’est prêtée au jeu, et il demeure d’actualité toujours aujourd’hui, au grand bénéfice de la prochaine génération d’étudiantes et d’étudiants.
SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville
Plus encore, les universités bilingues, voyant une remise en question potentielle de leur statut, se sont vouées à s’adapter aux besoins des francophones.
Le collège Glendon de l’Université York cherche à devenir le leader du postsecondaire dans le sud-ouest. L’Université d’Ottawa (Ud’O), pour sa part, veut prendre de l’expansion avec un campus à Woodstock, une idée, d’ailleurs, complètement loufoque. De son côté, l’Université Laurentienne maintient son engagement auprès de la population francophone et tente de mieux positionner à l’échelle de la province comme leader en la matière.
Lorsque le recteur de l’Université d’Ottawa publiait une lettre dans laquelle il affirme que l’institution ottavienne était, en réalité, l’université franco-ontarienne, j’ai froncé les sourcils. Cette affirmation grossière, arrogante et cavalière ignorait qu’il existe trois autres institutions universitaires donnant des programmes en français, dont l’Université de Hearst (sans charte) qui fonctionne entièrement dans la langue de Molière.
Donner des airs de grandeur
D’ailleurs, son affirmation gonflait assurément nombre de « francophones » dans l’institution, car cela indiquerait que la proportion de francophones a bondi de plus de 5% depuis mon séjour alors que 10 000 étudiants se sont ajoutés. C’est à se demander combien de cours il faut prendre en français pour être considéré « francophone ». Bref, c’est de la bouillie pour les chats.
C’est qu’Allan Rock n’est pas le premier à donner des airs de grandeur à son école. Le premier recteur de la nouvelle Université d’Ottawa (reconfigurée en 1965 avec une loi provinciale), le regretté Roger Guindon, affirmait pour sa part que l’Ud’O était d’abord et avant tout l’université canadienne par excellence, notamment en raison de son bilinguisme.
Guindon, comme tous les recteurs après lui, ont souffert d’une allergie contre la création d’une institution unilingue française en Ontario. D’ailleurs, avant que ça « parte » d’ici, slogan quelque peu ennuyant de l’institution ottavienne, l’Ud’O cherchait surtout à s’affirmer comme l’Université du Canada (Canada’s University).
La triste histoire est que la vie française du campus est chancelante. Si le nombre absolu d’étudiants francophones ne cesse de croître, leur proportion est en chute libre depuis des décennies. C’est que l’Ud’O cherchait à avoir le beurre et l’argent du beurre : devenir une grande institution de recherche tout en affirmant être au service des francophones.
Or, la croissance est plutôt passée par le recrutement d’étudiants anglophones.
Ayant fréquenté d’innombrables fois les corridors de la bibliothèque Morisset, l’oreille constate à quel point le français est en recul. Certes, le service en français est excellent, mais la vie culturelle vacille. Malgré les efforts avec la construction d’un Centre de bilinguisme (non de la francophonie) et l’Institut des langues officielles et du bilinguisme (encore du bilingue), le français dans les corridors se porte très mal.
De la poudre aux yeux
Il ne faut pas oublier, non plus, que durant les années 1990, le Sénat de l’Université d’Ottawa a suspendu l’examen linguistique de fin de parcours qui s’assurait de la connaissance passive de la langue seconde du diplômé. Si chaque diplômé de l’Ud’O dans les années 1980 pouvait inscrire dans son CV une connaissance du français et de l’anglais, il ne peut le faire en 2014. Aujourd’hui, les priorités sont surtout les inscriptions, et cela passe par la promotion de l’institution auprès des étudiants anglophones et venant de l’étranger.
Rock a commis une véritable bévue en affirmant que l’université franco-ontarienne se situe dans la rotonde du pavillon Tabaret. C’est de la poudre aux yeux. Comme le disait Michel Brunet, les trois facteurs les plus importants pour un groupe minoritaire sont « le nombre, le nombre, et encore le nombre ». Ajoutons-en un quatrième : la proportion. Aucune institutionnalisation et aucun montant d’argent ne peuvent vernir à la rescousse du fait français dans les corridors de l’Ud’O tant et aussi longtemps qu’on n’institue pas un quota de 40%, voire même 50% d’étudiants francophones.
Ce n’est pas dire que l’Université d’Ottawa est une mauvaise université ou qu’elle échoue sur toute la ligne. Bien au contraire, elle contribue à stimuler la recherche et l’offre de cours en français. D’ailleurs, la masse critique d’anglophones leur en donne les moyens. Mais il faut cesser de faire l’autruche et croire que cette institution est le Messie tant attendu de l’Ontario français.
Si c’était le cas, le RÉFO ne militerait pas autant pour le changement.
Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.
Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.