La dictature du crédit
[CHRONIQUE]
L’Ontario peut regarder ce qui se produit présentement en Grèce sans se préoccuper d’être soumis aux mêmes conditions sévères lorsque vient le temps d’emprunter sur les marchés financiers pour son développement. Cela dit, force est d’admettre que les rouages qui ont permis l’imposition de mesures d’austérité si strictes pour ce pays européen affectent néanmoins la province.
SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville
Tout récemment, l’agence de notation Standard & Poor’s a évalué à la baisse la cote de crédit de la province. Désormais, il coûtera plus cher pour l’Ontario d’emprunter, car les taux d’intérêt seront plus élevés.
Le parallèle avec la Grèce paraît ténu. Bien évidemment, il est difficile d’imaginer que l’Ontario soit un jour menacé d’exclusion du Canada comme l’est la Grèce pour la zone euro. Cela dit, les deux exemples se rejoignent dans le fait que la souveraineté de leurs États respectifs est comprimée, parfois sévèrement, en raison des décisions prises par des non-élus qui n’ont pas les intérêts des citoyens à cœur.
La réévaluation du S&P donne donc à l’Ontario une cote de crédit qui la compare à d’autres provinces beaucoup plus petites et qui ont davantage de difficultés économiques et démographiques. Le crédit ontarien serait au même niveau de fiabilité que celle du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse; l’évaluation est, au mieux, risible.
Ce qui est le plus troublant dans cette arnaque – comment nommer autrement le fait qu’une entreprise privée puisse limiter la souveraineté du peuple – est que ces institutions essentiellement anationales puissent avoir le pouvoir d’imposer des conditions draconiennes sur des États pour des raisons bidon et selon une méthodologie clandestine. Le déficit ontarien, selon l’opinion de ces agences de crédit, est trop élevé en ce moment, et elles opinent qu’il vaut mieux extraire des taux d’intérêt plus élevés pour les emprunts de la province.
Au bord du gouffre
Ensemble, les trois grandes agences – ou Big Three – dont fait partie S&P ont diminué la note de crédit de la Grèce et de l’Irlande, pour ne nommer qu’eux, au niveau de « junk » – des vidanges –, ce qui n’a rien fait pour améliorer le sort de ces pays. La dictature du crédit a fait en sorte que la Grèce demeure toujours aujourd’hui au bord du gouffre. Ses taux sont faramineux, les conditions exigées empêchent son développement et font souffrir ses citoyens.
L’idéologie de ces agences de notation refuse toute considération du bien commun ou de l’existence du citoyen. Pour elles, les États sont des entreprises dont elles seules peuvent être les juges quant à leur solvabilité. Nous sommes loin d’un défaut de paiement par l’Ontario d’ici 10 ans. Cela dit, l’impact de la décision du S&P est immédiat et négatif pour l’ensemble des Ontariens. Cette pratique rend encore plus coûteux les emprunts. L’ironie est évidente, d’ailleurs, quand on imagine qu’il sera encore plus difficile de rembourser ces obligations en raison des taux d’intérêt plus élevés. Bref, on tourne en rond.
Dans un régime démocratique, c’est aux citoyens de punir les gouvernements lorsque ces derniers jugent qu’ils ont été incompétents. Les agences de notation de crédit ne font qu’empirer la donne et volent du citoyen sa part de souveraineté. Il faudra sérieusement réfléchir à l’échelle internationale à savoir si nous sommes réellement prêts à accepter le prix qu’imposent ces institutions qui, au final, ne sont aucunement redevables auprès des citoyens.
Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.
Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.