Michaëlle Jean et nous autres…
[CHRONIQUE]
La nomination de Michaëlle Jean à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) est sans doute le plus grand coup de théâtre de la semaine dernière à Dakar au Sénégal. Une première femme, et Occidentale est alors à la tête de l’organisme regroupant une cinquantaine de pays.
SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville
Cela marque d’ailleurs une importante transformation de l’OIF qui prend ses distances de sa vocation culturelle afin d’épouser le volet économique de son mandat. Finalement, on doit se demander de quelle manière les francophones hors Québec pourront tirer leur compte de ce changement.
Cela peut paraître étrange, mais la nomination de Michaëlle Jean est la première victoire d’importance du gouvernement Harper à l’internationale depuis son échec d’obtenir un poste au Conseil de sécurité de l’ONU il y a déjà quatre ans.
La cote du Canada a subi d’énormes coups depuis le régime conservateur.
Le démantèlement de l’ACDI et l’orientation de plus en plus économique de l’aide humanitaire du gouvernement, son appui aveugle à l’Israël, la risible organisation du G20 à Toronto ainsi que le refus d’Ottawa d’accepter ses responsabilités en matière de changement climatique et de réduction de gaz à effet de serre y sont pour beaucoup.
Les bouchées doubles
Si les annonces de Tim Horton’s pouvaient vanter le drapeau canadien sur les sacs à dos des touristes canadiens en Europe durant les années 1990 et 2000, on serait plutôt porté à cacher l’unifolié de ses bagages aujourd’hui.
C’est un secret de polichinelle que l’ancienne gouverneure générale et le premier ministre ont une relation plus ou moins tendue. D’ailleurs, rien n’était gagné pour Mme Jean la semaine dernière, car les pays africains qui composent la majorité des membres de l’OIF avaient de nombreux candidats au poste.
Mais le gouvernement Harper – et de surcroît ceux du Nouveau-Brunswick et du Québec – a mis les bouchées doubles afin d’appuyer la candidate. M. Harper a joué aux dés, et il a gagné. Cette victoire diplomatique à l’internationale démontre que, enfin, le Canada a réussi à se départir de son bonnet d’âne en affaires étrangères.
L’appui d’Ottawa à la nouvelle secrétaire générale vient avec certaines conditions. Car à l’ordre du jour des conservateurs demeurent l’ouverture de nouveaux marchés pour les entreprises canadiennes à l’étranger. C’est pourquoi l’ancienne gouverneure générale a tant misé sur l’enjeu économique pour la Francophonie, alors que la culture et la promotion de la langue française étaient privilégiées dans le passé.
Orientation économique
Ottawa, malgré le fait qu’il soit le siège d’un gouvernement bilingue dans un pays majoritairement anglophone, salive à l’idée de pouvoir utiliser une instance internationale comme OIF pour promouvoir ses intérêts. Idem pour le Québec et le Nouveau-Brunswick, eux aussi membres de l’Organisation.
Mais cela pose la question de la mission de l’institution. En effet, l’orientation économique va certes venir en aide aux pays nouvellement développés qui cherchent des investissements dans l’infrastructure, l’exploitation de ressources naturelles et en manufacture, elle, mais peut aussi poser de gênantes questions.
Imaginons la situation hypothétique suivante : Barrick Gold, une compagnie canadienne n’ayant aucun francophone à sa barre, réussit en raison de la participation du Canada dans l’OIF à obtenir un accès privilégié aux ressources naturelles d’un pays francophone en Afrique. Avec une administration anglophone, on est loin de promouvoir la francophonie outre que par une pirouette tout à fait tordue!
De plus, on a du mal à voir exactement comment les miniatures économies des francophonies canadiennes pourront profiter de cet élan potentiel de l’OIF. En quoi, exactement, les entreprises franco-ontariennes et acadiennes auront-elles accès à ces marchés en émergence et, de surcroît, est-ce que le gouvernement à Ottawa va miser sur les entreprises francophones pour la promotion du pays à l’étranger?
Il est tôt, bien évidemment, pour porter jugement sur la nouvelle orientation que prend l’OIF. Cela dit, il est primordial de poser des questions quant à la pertinence des francophonies minoritaires au sein de l’organisme. Se transformera-t-elle en une simple courroie de transmission de la mondialisation, ou saura-t-elle un tremplin pour promouvoir la francophonie canadienne à l’étranger?
Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.
Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.