Quelle université voulons-nous?

Photomontage archives ONFR+

[CHRONIQUE]
Le débat sur la création d’une université de langue française demeure, en raison d’un travail acharné et de longue haleine, par le RÉFO, une question d’actualité en Ontario français. L’organisme, poussant très fort l’idée qu’il faut imiter les autres provinces comme le Nouveau-Brunswick et même l’Alberta en créant une institution unilingue francophone pour combler le manque à gagner en éducation postsecondaire en Ontario français n’a suscité, jusqu’à présent, peu de débats dans l’espace public franco-ontarien. Or, pour améliorer un projet, il est nécessaire d’en critiquer les grandes lignes.

SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville

Le RÉFO a récemment réussi à convaincre la députée de Nickel Belt, France Gélinas, à soumettre un projet de loi pour que soit constitué « l’Université de l’Ontario français » d’ici 2018. C’est la première fois qu’est présenté à la Législature un projet de loi visant à créer une université francophone en Ontario. L’ambition est colossale, mais il faut faire attention, car il n’est pas clair ce que l’on entend par une université franco-ontarienne.

D’une part, on peut se demande si ses programmes et services seraient limités seulement aux études franco-ontariennes. De fait, assistons-nous à un projet d’institution de sciences humaines seulement? Comment allons-nous donc interpréter le mandat? Quel genre d’enseignement allons-nous y disposer?

La prochaine question, c’est vraiment la question qui tue et celle à laquelle il est le plus difficile de répondre : est-ce que ce projet est une amélioration sur le présent réseau universitaire? Un professeur quand même sympathique au projet me faisait remarquer qu’il n’y a pas eu de discussion concernant l’enseignement des cycles supérieurs.

Rappelons qu’il existe deux facultés de médecine en Ontario français, et qu’il est possible de poursuivre un doctorat en français dans de nombreuses disciplines. Une institution qui ne pourrait pas maintenir les acquis ne constituerait pas, pour l’Ontario français, une victoire. Bien au contraire. Lorsqu’on sacrifie des acquis, c’est un recul net. N’avoir en Ontario français qu’une fraction des moyens que nous avons présentement ne serait pas au bénéfice de la population en générale.

 

Et la recherche…?

Si cette institution de langue française ne parvient pas à égaler le volume de recherche qui se produit dans l’ensemble du réseau universitaire bilingue en langue française, il faudra se poser de sérieuses questions quant au bienfait du projet. L’infrastructure de recherche présentement offerte par les trois institutions bilingues présentement est énorme. Les laboratoires sont modernes et il y existe un nombre appréciable de chercheurs qui sont en mesure de guider des étudiants jusqu’à l’obtention d’un doctorat. Or, jusqu’à présent, on ignore la position des partisans de l’université unilingue sur cette question.

L’infrastructure, d’ailleurs, pose un autre défi. Créer une nouvelle université de toute pièce – ce qui n’est pas exactement la position du RÉFO, il faut le préciser – engendre des coûts de plusieurs milliards de dollars. Les universités bilingues ne seraient pas friandes à abandonner ou à partager gratuitement leurs structures qu’elles ont construites à coups de millions de dollars.

Une autre question m’intéresse sur ce projet. Elle paraît un peu banale, mais il importe de la souligner. Il faudra, au final, modifier les lois provinciales pour chacune des institutions universitaires qui dispensent présentement un enseignement bilingue. Il faudra s’entendre avec ces institutions et avoir une proposition acceptable pour tous à risque d’avoir des ennuis durant ce processus.

Il va sans dire que de nombreuses améliorations à l’actuel réseau d’université et sur l’offre de l’éducation en langue française sont nécessaires en Ontario français. Mais l’amélioration ne doit pas se faire aux dépens des acquis. Il faudra donc procéder en tenant compte de l’ensemble du réseau, et non seulement le premier cycle.

Le RÉFO a fait un énorme travail de terrain pour remettre le débat sur le postsecondaire de langue française au cœur de l’actualité franco-ontarienne. Il faut saluer le travail de l’organisme et son équipe. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire. Il reste toutefois de nombreuses questions difficiles et inconfortables à répondre. Pour le moment, il n’est pas clair que ce projet est une avancée pour l’Ontario français, car trop de questions demeurent en suspens.

 

Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.

Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.