Retour à l’« orientalisme »

Le Monument commémoratif de guerre, à Ottawa, où un soldat canadien a perdu la vie dans une fusillade, le 22 octobre.

[CHRONIQUE]
Avant le 11 septembre 2001, on aurait certainement qualifié les récentes attaques sur des soldats canadiens et le Parlement d’actes criminels graves. Aujourd’hui, on n’hésite pas à parler d’attentats terroristes.

SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville

Cela fait ressortir un problème systémique qui s’infiltre dans notre culture et notre façon d’interpréter le monde. En effet, sans le savoir, on participe dans un grand récit de racisme et d’intolérance que l’intellectuel de renom Edward Saïd a exploré dans son magnus opus de 1978 intitulé L’Orientalisme.

Saïd, un chercheur Américain d’origine palestinienne, écrit au sujet d’une vision du monde que crée l’Occident face à la région que nous nommons l’« Orient ». L’Orient, c’est l’Autre. C’est une figure fabriquée, créée par des artistes, des politiciens et les médias qui seraient plutôt une vision inspirée de l’expérience européenne.

Eurocentrisme

Dit autrement, cet eurocentrisme articule une interprétation de l’Orient qui est assujettie aux préjugés de l’Occident. La conséquence? Une idée selon laquelle ces peuples sont, de façon innée, inférieurs, barbares, exotiques. Que les pays musulmans sont plutôt portés vers l’extrémisme (Iran), le terrorisme (Irak, Afghanistan, la Bande de Gaza) ou qu’ils ne sont importants qu’en raison de leur exportation pétrolière (Arabie Saoudite, Koweït).

Bref, l’orientalisme, c’est un coup monté de stéréotypes que nourrissent les peuples de l’Occident au sujet des peuples de l’Orient. C’est une lentille à travers de laquelle nous interprétons le monde arabe et musulman. Pire, avec les récentes vagues d’immigration en provenance de l’Orient, c’est aussi la lentille à travers de laquelle on interprète les populations arabo-musulmanes au Canada.

Pour ceux qui ne sont pas encore convaincus, les « méchants » dans les films ont cessé d’être des Allemands de l’Est ou des Soviétiques pour devenir des personnes arabes. De Die Hard (1988) à True Lies (1994), nous pouvons très bien voir la transition. D’autres exemples incluent Rules of Engagement (2000), The Delta Force (1991) et Patriot Games (1992).

Culture populaire

La culture populaire a pour effet d’informer et d’influencer la population sur l’Autre. Présentée simplement, la personne arabe ne peut s’intégrer à la population. Elle vit à part, et lorsqu’elle a des interactions avec la société occidentale, c’est pour l’attaquer ou pour la détruire.

Le renouveau de l’« orientalisme » fonctionne présentement à deux niveaux.

D’une part, le groupe armé État islamique qui a eu le beau jeu dans les médias sociaux en publicisant ses actes de nature fondamentalement terroristes en Syrie et en Irak. Les décapitations-chocs contre des journalistes et travailleurs humanitaires a eu l’effet d’une bombe en Occident à un tel point que les États occidentaux ont mobilisé de nombreux efforts afin d’éliminer le groupe.

Ce groupe profane utilise un symbole puissant (une interprétation radicale de l’Islam) pour justifier ses actes. La conséquence est qu’on articule présentement un récit du « nous » contre « eux ». C’est l’histoire classique des « civilisés » contre les « barbares ».

D’autre part, avec le phénomène récent de cyberradicalisation ou d’autoradicalisation dans les pays occidentaux, la peur de l’« islamisme » s’accentue. Il n’est pas hors du commun d’entendre des voix s’élever pour l’emprisonnement préventif de « radicaux » de peur qu’ils commettent un acte terroriste en sol canadien.

Marginaux ou terroristes?

L’État, de son côté, en profite d’ailleurs pour introduire des lois qui s’attaquent à notre vie privée et qui ne donnera que des résultats douteux. Ceux qui perpètrent des crimes et qui ont trouvé un certain sens dans leur vie à travers un radicalisme religieux sont aussitôt mis du côté des « terroristes ». Pourtant, on fait face plutôt à de jeunes hommes qui sont marginalisés de la société.

Il y a 14 ans, nous aurons qualifié ces actes des gestes commis par des marginaux mal ajustés.

Aujourd’hui, on maintient leur aspect religieux lorsqu’ils sont de confessions musulmanes. Il est important de noter l’absence de l’aspect religieux dans la pensée de Justin Bourque, l’auteur de la tuerie de Moncton. L’effet est néfaste, car, au même moment, on alimente un doute face à la population musulmane au Canada. La tragédie est d’arriver à un constat selon lequel il faut se méfier de ce groupe.

L’« orientalisme » au Canada, aujourd’hui, c’est croire que les personnes qui sont cyberradicalisées sont effectivement des porte-parole canadiens d’un projet religieux au Moyen-Orient. C’est se méfier des populations musulmanes et de les mettre au banc en refusant de les intégrer au pays. C’est d’oublier, au final, que le Canada a abandonné de nombreux de ses filles et fils à leur propre sort, celui du chômage, de la drogue, la criminalité et la pauvreté.

 

Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.

Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.