Un choix peu éclairé

[CHRONIQUE]
Alors que des millions d’Ontariens auront un plus grand accès à la bière dans les supermarchés, il y a une autre transformation énorme qui se trame : la vente de 60% de Hydro One, la société d’État liée à la distribution d’électricité de la province. C’est un héritage perdu pour l’avenir.

SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville

Hydro Ontario, l’ancêtre d’Hydro One, est une société vieille de 1906, créée par les progressistes-conservateurs de James Whitney dans le sillage d’un bras de fer contre le gouvernement fédéral sur le contrôle des ressources naturelles. C’est une idée progressiste énorme qu’émuleront de nombreuses juridictions et qui sera au cœur de la Révolution tranquille au Québec : la nationalisation de l’hydro-électricité.

Le projet était énorme : racheter des barrages hydro-électriques et en construire de nouveaux afin de faire de l’Ontario une puissance énergétique pour promouvoir son secteur manufacturier et maintenir la richesse dans la province. Le bien public était au cœur du projet progressiste-conservateur qui souhaitait nationaliser les barrages sur la rivière du Niagara.

Mesure progressiste

En fait, le projet initial était de vendre de l’hydro-électricité non pas au prix du marché, mais bien au prix du coût de la production. Une mesure on ne peut plus progressiste pour l’époque où l’électrification massive des centres urbains et ruraux est en pleine croissance. C’est notamment à partir des années 1920 qu’Hydro Ontario investit massivement dans l’infrastructure de l’Ontario rural.

Hydro One, comme la LCBO, est une vache à lait, mais qui, contrairement au dernier, demande des investissements de grande valeur pour maintenir. Vendre 60% de l’entreprise et limiter la participation privée à 10% pour chaque partenaire paraît intéressant : les taux d’intérêt sont bas, donc le prix de vente sera élevé; on pourra par la suite réinvestir une bonne partie des profits dans l’infrastructure.

 

Inexcusable

Pourtant, Hydro One a 109 ans. Son impact historique dans la société ontarienne est immesurable. Vendre 60% des actions de l’entreprise prive non seulement de la province de 60% des profits de l’entreprise pour des gains de très courts termes, mais privent des générations d’un immense revenu qui va rapidement et largement dépasser les bénéfices de la vente. La myopie libérale est inexcusable. Le plus insultant est que l’annonce de la décision de la province a été faite de manière assez cachottière, c’est-à-dire au même moment de l’annonce de la « libéralisation » de la vente de bière dans les supermarchés ontariens.

Le pire, toutefois, demeure le fait que le gouvernement de Kathleen Wynne n’a jamais reçu le mandat des Ontariens pour prendre une telle décision concernant Hydro One. En guise d’honnêteté et de rigueur, il faudrait que la province demande aux citoyens s’ils ont le droit de détruire un patrimoine historique de l’Ontario, un édifice du développement provincial depuis plus de cent ans. La réponse devrait, au final, être non. Enfin, lorsqu’on vendra les 60% de l’entreprise, nous ne les reverrons plus jamais. La vente totale de l’entreprise sera autant plus facile pour un prochain gouvernement qui cherche à se faire de l’argent rapide.

 

Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.

Note : Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.