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Chaque samedi, ONFR propose une chronique franco-ontarienne. Cette semaine, l’auteur torontois Soufiane Chakkouche narre ses défis d’immigration canadienne, un récit à suivre en plusieurs parties.

À vrai écrire, je ne vous ai pas tout dit, ou plutôt je vous ai menti à moitié. Je m’en repens donc à moitié, après tout, dans un demi-mensonge n’y a-t-il pas une demi-vérité? Voici donc la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Dans les faits, lorsque la décision de quitter ma terre ocre et les miens fut prise, il n’était nullement question de s’installer à Toronto, aussi reine soit cette ville, et encore moins en Ontario. Initialement, j’avais jeté mon dévolu sur Montréal afin de demeurer aux côtés de Molière.

L’autre détail de taille qui avait conforté ce choix était d’ordre politique, moi l’apolitique par naissance et par éducation! Sauf que là, exception n’est pas raison, c’était mon futur et celui de ma petite famille que je jouais, il fallait donc s’y intéresser un petit chwiya (un petit peu) tout de même!

Or, dès que j’eus lu que la province de l’Ontario était dirigée par un gouvernement conservateur, aussi progressiste soit-il, je sus que je n’allais pas m’y éterniser car, dans ma boîte crânienne, celles et ceux qui conservent ou tiennent à conserver n’avancent pas ou peu, et, par définition, ils sont réticents à la nouveauté, à l’étranger. Bien entendu, cela n’engage que ma petite personne, comme cela sera inexorablement rappelé à la fin de cette chronique. Et puis, s’il faut peut-être me lire, il ne faut pas m’écouter, parce que j’ai rarement toute ma tête. Mais revenons à nos moutons migrateurs.

Pourquoi alors avoir postulé pour l’Ontario? Pourquoi ne pas avoir choisi le Québec dès le départ?

Procédure d’immigration trois fois plus rapide

La réponse est triviale, j’ai opté pour la province de Doug Ford en premier lieu parce que la procédure d’immigration y était plus rapide, un an en moyenne contre trois pour celle de François Legault. Il faut dire que j’avais le feu aux talons, mais ça, c’est une autre histoire, longue comme une année scolaire!

Réactif comme jamais, j’avais réussi à boucler ma candidature en huit mois, carte de résident permanent à l’appui. La suite, vous la connaissez : phobie aérienne, choc linguistique et atterrissage.

Au diable donc les bancs de l’école en bois sous mes tempes grisonnantes. Désormais, l’urgence résidait dans le fait de trouver un logement temporaire, et pour cela, rien de mieux qu’une sous-location.

Quelques clics plus tard au pays où la commande passe à la vitesse d’un courant électrique, et me voilà locataire provisoire d’un « spacieux » (tout est relatif) appartement dans une tour à Wellesley. Deux chambres avec balcon et une chaise à bascule qui, quatre ans plus tard, représenterait le personnage principal d’un cinquième roman, mais ça, c’est une autre histoire, longue de 240 pages!

Deux chambres donc pour un loyer mensuel équivalent à un an de salaire minimum dans mon pays natal! Il n’y avait pas photo, il fallait quitter au plus vite Toronto, d’autant plus que j’avais ouï dire que l’immobilier à Montréal coûtait trois fois moins cher.

Indocile destinée

Toutefois, le mektoub (le destin) avait rédigé d’autres lignes pour moi, pour nous. Alors que le mois de location touchait à sa fin et que je m’apprêtais à rendre les clefs en ce mois de juillet où la vie culturelle occupait la ville de toutes ses notes, la main invisible de la Providence fit voler mes plans en éclats.

À proprement écrit, ce n’était nullement de main dont il s’agissait, mais de langue, ou plutôt des langues. En effet, en me rendant au rendez-vous avec ma propriétaire éphémère pour lui annoncer notre départ, je tendis l’oreille dans la rame de métro comme l’eût fait un écrivain voleur de bouts de vies. Et là, brusquement, ce fut clair comme l’eau de roche coulant dans mon esprit : c’est ici, et nulle part ailleurs que ma vie allait suivre son cours.

Et pour cause, un flot invisible fit trembler mes membranes tympaniques de toutes parts. Six langues différentes étaient parlées dans un espace de 25m² au plus disant, tout le symbole de la richesse de cette ville était là devant mes yeux et mes oreilles.

Pour la première fois de ma vie, je ne me sentais ni Maghrébin, ni Africain, ni arabophone ou francophone. Je me sentais citoyen du monde, un titre qui, si tout le monde le portait, ferait en sorte que les guerres n’auraient plus lieu d’exister sur cette belle Terre nourricière, à moins que cela ne soit contre des extraterrestres malintentionnés!

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.