Collèges francophones : liens plus forts avec le privé à prévoir
TORONTO – Des dizaines d’acteurs de l’éducation issus des collèges francophones du pays discutent, ces jours-ci à Toronto, des mesures à mettre en place pour mieux s’adapter aux besoins du secteur privé. Plusieurs intervenants se disent néanmoins bien conscients des risques liés à la marchandisation de la formation. Risques qui peuvent être évités, selon eux.
ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg
« Adéquation entre main-d’œuvre et formation », « collaboration avec les entreprises locales, régionales et nationales », « partenariats avec le secteur privé »… la ligne directrice est claire à l’occasion des activités du congrès annuel du Réseau des cégeps et collèges francophones du Canada (RCCFC), qui se déroule cette semaine à Toronto.
Les collèges francophones du pays doivent encore mieux répondre aux besoins du marché du travail, selon l’organisme, qui regroupe des dizaines d’institutions d’enseignement francophone de partout au pays.
« Les collèges doivent participer au développement économique et ce développement passe par les entreprises. Donc, les collèges doivent avoir ce dialogue. Les entreprises ne doivent pas dicter aux collèges quoi faire, nous devons cependant aller voir les besoins du marché », explique Jean Léger, directeur général de RCCFC.
« Nous souhaitons une meilleure connexion, il y a un défi. Il y a eu du travail en vase clos et on est tous responsables de ça. Il faut briser les silos entre les collèges et les secteurs économiques », ajoute-t-il.
Sylvio Boudreau est 1er vice-président et secrétaire général du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick. Les partenariats avec le privé s’articulent de plusieurs façons dans son établissement.
« On a tout un système de recherche appliquée qui travaille avec le privé. On aide à développer leur innovation, leurs technologies. C’est de la recherche et développement. Mais parfois, le privé va aussi fournir de l’équipement. Si on a un programme en mine, le privé va nous fournir la machinerie. On développe aussi de la formation continue pour certaines entreprises », dit-il, citant en exemple une formation éclaire bâtie pour des acteurs du cannabis.
« C’est une source de revenus pour nous, c’est gagnant-gagnant », croit-il.
Il y a dix ans, Paul Thériault a étudié les recettes à succès en matière collégiale francophone un peu partout au pays. Il est aujourd’hui directeur du Cégep de Victoriaville, mais demeure sensible à la réalité des collèges francophones du pays. « L’adéquation avec le milieu de l’emploi est importante. C’est une nécessité surtout dans des milieux francophones, qui sont souvent hors des grands centres », dit-il.
« Depuis toujours, c’est un défi d’arrimer la formation et l’emploi, peu importe la province. Le système n’est pas agile, il faut être honnête. Le temps pour ajuster les cours et les programmes est plutôt long. Actuellement, plusieurs entreprises manquent de main-d’œuvre, si on forme des gens qui ne sont pas en adéquation avec les besoins, ça devient problématique », ajoute M. Thériault.
Dans plusieurs provinces, la classe politique invite d’ailleurs les acteurs publics à réfléchir aux efforts qu’ils peuvent mener pour être encore plus pertinents dans l’économie. Le gouvernement Ford, en Ontario, a déjà envoyé des signaux clairs à ce sujet.
« C’est évident, on entend ce discours en Ontario. Les collèges en Ontario ont des unités pour évoluer avec le secteur privé, il y a une préoccupation », affirme à ce sujet M. Léger.
Les risques de la « marchandisation de la formation »
Bon nombre d’acteurs de l’éducation craignent les rapprochements entre le secteur privé et les établissements d’enseignement. Des professeurs et des syndicats formulent des critiques régulières à ce sujet à travers le pays.
Paul Thériault est conscient de certains risques liés aux partenariats avec le secteur privé. Mais il est possible de ne pas tomber dans les pièges, selon lui. « Il n’y a pas de problème éthique, pourvu que la formation soit transférable. Le problème, c’est de former des gens pour une compagnie en particulier et on livre les gens à la pâture. Si l’entreprise ferme, les gens ne peuvent pas se retrouver d’emploi », explique-t-il.
« Notre mandat est donc d’apprendre à apprendre. Si on joue notre rôle, il n’y a pas de problème éthique. Le problème éthique est d’envoyer des gens vers un cul-de-sac », affirme celui qui a vécu au Nouveau-Brunswick et a étudié à l’Université de Moncton.
Josée Clermont, directrice du Collège nordique francophone aux Territoires du Nord-Ouest, insiste également sur une nuance importante à faire entre le milieu collégial et universitaire. « Une université, c’est différent, car c’est académique. Oui, on y forme aussi des gens pour un travail, mais il y a aussi tout un travail académique. Mais un collège, c’est vraiment collé sur le marché du travail, c’est un autre contexte », insiste-t-elle.
« Surtout dans le Nord, étant donné que la population francophone est petite, il y a des besoins pour de la formation continue dans le secteur privé, il faut y répondre », tranche-t-elle.
Le directeur du Réseau des cégeps et collèges francophones du Canada affirme néanmoins que les collèges permettent à l’élève de développer un éventail de compétences, qui ne sont pas toujours uniquement techniques.
« Il ne faut pas seulement se vouer à ce que veut le secteur privé. Il ne faut pas juste faire de la formation technique pour répondre aux emplois. Il y a aussi des softs skills (compétences non-techniques) à enseigner, comme le savoir-être et le leadership. On veut d’abord créer des citoyens », croit Jean Léger.
« Mais on vit dans un monde où l’argent mène le monde. Les gens veulent vivre aussi, ils ne veulent pas étudier la philosophie et la géographie pour ne pas travailler par la suite. Ce sont des domaines intéressants, mais on a aussi besoin de travailleurs », ajoute-t-il.
Jean Léger affirme que le thème de cette année touche une problématique bien actuelle, mais que cela ne veut pas dire que les collèges ne doivent pas s’ouvrir vers d’autres univers. « S’ouvrir vers le secteur privé est une bonne démarche, mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas s’ouvrir vers d’autres secteurs, comme la santé ou la petite enfance », insiste-t-il.