COVID- 19 : les mesures aux frontières ont été inefficaces

Les voyageurs ne sont plus soumis aux restrictions sanitaires pour entrer dans le territoire canadien. Archives ONFR+

Obligation vaccinale, port du masque, test de dépistage, quarantaine… À partir de demain, fini les tracas liés aux mesures sanitaires dans les avions et tous les aéroports canadiens, lesquelles ont régi la vie des voyageurs et des transporteurs pendant plus de deux ans. Toutefois, alors que les morts liés à la COVID-19 se comptent encore par centaine dans le pays et le nombre de contaminations repart à la hausse à l’approche de l’hiver, est-ce le bon moment pour lever les restrictions?

« À compter du 1er octobre 2022, tous les voyageurs arrivant au Canada n’auront plus à fournir une preuve de vaccination contre la COVID-19 pour entrer au pays ni à répondre aux exigences en matière de dépistage, de quarantaine ou d’isolement. Tous les voyageurs seront également exempts de l’obligation d’entrer des renseignements liés à la santé publique dans ArriveCAN », c’est-ce qu’on peut lire dans le dernier communiqué de l’Agence de la santé publique du Canada.

Le dernier rempart contre la COVID-19 vient donc de tomber et avec lui, logiquement, une situation sanitaire en nette amélioration. Du moins, c’est ce que pourrait dicter la logique commune.

Il n’en est rien, à en croire les dernières données disponibles émanent de la Santé publique de l’Ontario, sur les deux semaines s’étalent du 4 au 17 septembre, 113 personnes ont perdu la vie pour cause de COVID-19, soit huit morts par jour en moyenne, et un taux de positivité aux tests de 11,6% sur la même période. À titre comparatif, pour moins que cela, la province était plongée dans le confinement.

De plus, les auteurs de ce jeu de données font remarquer que « les tests et la gestion des cas, des contacts et des éclosions en Ontario ont été limités aux populations et aux milieux à haut risque en janvier 2022. Ainsi, les dénombrements sous-estiment l’étendue de l’activité de la COVID-19 en Ontario ».

À l’échelle du pays, la situation n’est guère plus rutilante. Les derniers chiffres en date parlent de 17 325 cas de contaminations et 196 décès pour la semaine du 11 septembre au 17 septembre, soit six fois plus que le nombre moyen hebdomadaire relatif aux morts causés par les accidents de la route dans le pays.

Dr Santiago Perez Patrigeon, spécialiste des maladies infectieuses à l’Hôpital général de Kingston et professeur associé au département de médecine de l’Université Queens. Gracieuseté

Plus que cela, « on est à peine au mois d’octobre, c’est-à-dire qu’on entre à peine dans la saison des virus respiratoires. Le nombre d’hospitalisations et de cas qui augmente en Ontario ne fait que commencer malheureusement, notamment à cause des rassemblements du mois d’octobre et surtout de ceux des fêtes de fin d’année. Il est donc probable qu’on soit face au début d’une huitième vague », prévient le Dr Santiago Perez Patrigeon, spécialiste des maladies infectieuses à l’Hôpital général de Kingston et professeur associé au département de médecine de l’Université Queens.  

Alors, la levée des restrictions aux frontières est-elle judicieuse à pareil moment, surtout avant la vague de l’hiver qui annonce déjà ses froides couleurs?

Des mesures qui n’ont « jamais eu de sens » selon des experts

Dans les faits, la question est mal dirigée dans la mesure où il semblerait que le caractère pour le moins peu efficace de ces restrictions ait plus pesé sur la décision fédérale que les bilans chiffrés de la COVID-19.

« Après avoir étudié les données historiques de transmission du virus de la COVID-19 au Canada et les avoir comparées à plusieurs autres pays, les chercheurs ont conclu que les mesures sanitaires à la frontière n’ont pas été efficaces pour empêcher les variants d’entrer et de se propager au Canada. De plus, ces chercheurs estiment qu’il est peu probable que ces mesures le soient à l’avenir. Au mieux, ils ont remarqué que les restrictions de voyage ne font que retarder de quelques jours l’impact d’un variant », explique la Dre Annie Bourdeau, PDG de l’entreprise de consultation en soins de santé Amplius Business Design.

Cette ancienne maître de conférence en immunologie à l’Université de Toronto en veut pour preuve le rapport intitulé Évaluer les politiques frontalières et de voyage du Canada en cas de pandémie : leçons apprises et dont ONFR+ détient copie.  

C’est en s’appuyant sur ce rapport, dont trois des quatre auteurs ont leur pratique médicale en Ontario, que le gouvernement fédéral à pris la décision de supprimer les restrictions aux frontières, les laissant ainsi sujets au bon vouloir de chacun.

« Les mesures aux frontières ont été inefficaces pour empêcher les variants préoccupante d’entrer et se propager à travers le Canada », peut-on y lire.

« Je suis très heureux que le gouvernement ait finalement arrêté de punir les Canadiens. La durée des restrictions a causé des problèmes sociaux et économiques qui ont affecté la santé psychologique des Canadiens », commente pour sa part le Dr Jean-Marc Benoît, médecin généraliste exerçant à Brantford, en Ontario.

Et de trancher : « De mon point de vue, la plupart des mesures liées au secteur du transport étaient sans justification scientifique et relevaient plutôt de la politique et/ou du commercial, et cela pour la simple raison qu’après qu’une maladie devient endémique, c’est inutile et un non-sens que d’imposer des restrictions. »

Pas de conséquences sur la situation sanitaire, cependant

Troisième spécialiste, troisième même sentence : « La suppression des restrictions aux frontières ne va rien changer parce qu’en réalité, ces restrictions n’ont jamais eu de sens. Elles en avaient peut-être au tout début de la pandémie, mais maintenant que presque tous les variants circulent et que les mesures sanitaires ont toutes été levées, c’est tout à fait inutile », constate le Dr Perez Patrigeon. 

De par donc même le constat se voulant ces mesures aux frontières peu ou pas efficaces, il en va du bon sens que leur abolition n’aurait pas une incidence significative sur la situation pandémique actuelle.

Dre Annie Bourdeau, PDG de l’entreprise de consultation en soins de santé Amplius Business Design. Gracieuseté

« Je ne pense pas qu’il y aura un lien direct entre la fin des mesures à la frontière et le nombre de cas d’infection puisque ces mesures sont inefficaces à stopper la transmission du virus COVID-19 selon la conclusion du rapport des experts », confirme la Dre Bourdeau.  

L’argumentaire est en droite ligne avec les propos du ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos, lors de la conférence de presse annonçant « ces changements importants » : « Les niveaux élevés de cas et d’hospitalisations sont largement expliqués par la transmission intérieure du virus, y compris par les taux de vaccination à jour. » 

Il faut dire que les données de Santé publique Canada lui donnent raison. En effet, durant la semaine du 11 au 17 septembre, le taux de positivité enregistré par les tests de dépistage aux frontières n’était que de 3,7 % alors qu’il est de 10,3 % pour l’ensemble des tests effectués dans le pays.

Ceci écrit, cette levée ferait probablement des heureux, particulièrement en Ontario, car c’est bien la province qui fait office du mauvais élève quant au respect des mesures en vigueur. À titre d’exemple, Santé publique Canada rapporte qu’entre le 14 avril 2020 et le 16 septembre 2022, plus de 60 % des amendes signalées dans le pays pour des infractions à la Loi sur la mise en quarantaine étaient enregistrées en Ontario, alors que la population de celle-ci ne représente que 40 % de la population totale.