De l’Afrique à l’Ontario, itinéraire d’un cœur déraciné

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, le récit d’immigrante de Rym Ben Berrah, francophone engagée.

[CHRONIQUE]

Oran, Algérie, cœur de récits de personnages tels que Albert Camus, Yves-Saint-Laurent et Yasmina Khadra. J’y vois le jour en 1990, en plein avènement de la « décennie noire », où le climat laissait installer la guerre civile algérienne. Mes parents avaient pris le pli d’immigrer pour les conditions de vie et moi j’ai appris à romancer l’exil. 

Ma mère en rit aujourd’hui. Elle me conte qu’elle a traversé la frontière entre l’Algérie et la Tunisie, avec moi, emmitouflée dans un couffin. Assise dans ce train qui l’emmenait vers sa nouvelle vie où mon père l’y attendait depuis quelques mois, elle était entourée de soldats brandissant leurs armes noires luisantes sous le soleil de la Méditerranée. C’est comme cela, dans ce couffin du bled, que commence ma vie tunisienne, à peine âgée de quelques mois.

L’arrivée à Tunis d’une famille algérienne n’avait rien d’outrageux en termes de distance, par contre la culture, la langue, les classes sociales, l’insertion au travail, que d’obstacles récurrents pour une famille de nomades. Autre bémol : la carte de séjour. Chaque année, nous devions refaire nos papiers, nous n’étions ni inclus ni étrangers, d’où le désir de repartir s’installer ailleurs qui hantait mon père qui, de son vivant, était visionnaire, curieux et téméraire.

15 ans dans la douce belle ville de Tunis, arrivés sous l’emblème du président de l’époque Ben Ali, repartis après l’instabilité accourue suite à la « Révolution du Jasmin » qui a secoué le monde arabe mais qui a vu le jour en Tunisie. Je me souviens encore, enfant, ne comprenant pas la signification de la photo d’un président qui ornait les murs de tous les commerces, les panneaux publicitaires, certaines effigies qui se retrouvaient à la poubelle. Avec le temps, j’ai compris.

Tout laisser derrière nous

Baignant dans une classe moyenne assez aisée, d’une mère sage-femme exerçant dans les cliniques privées et d’un père psychologue de la première équipe nationale tunisienne paralympique, notre famille s’est fait approcher pour un phénomène à la mode fin des années 90 : l’immigration au Canada.

Il n’en a pas fallu moins pour piquer la curiosité de mon père et de tout laisser derrière nous pour venir s’installer à Montréal, au Québec, car le processus pour les francophones à ce moment-là n’encourageait pas à la migration vers d’autres provinces canadiennes.

Notre processus fut retardé par les attentats du 11 septembre, lorsque les ambassades ont stoppé le travail sur tous les dossiers en cours pour une période de deux-trois ans. C’est de cette manière, qu’après une longue période de stagnation sans nouvelles, nous recevons l’appel fatidique que nous partons vers l’Amérique du Nord dans quelques mois. J’avais 14 ans. En pleine construction identitaire, j’ai réappris à romancer la vie dans cet avion. Comme pour beaucoup d’immigrants, ce départ vers l’inconnu nécessite une confiance quasi aveugle envers le pays d’accueil.

C’est par ce récit qu’une adolescente algéro-tunisienne de 15 ans débarque avec sa famille de quatre personnes en 2005 à Montréal, dans un Québec en plein peuplement migratoire. Heurtés aux embûches du manque de reconnaissance des acquis, de la désillusion de l’installation et de la prise en charge des nouveaux arrivants, de la dureté de l’exil et de se retrouver face au vide, mon père décide encore de nous démanteler.

Nous voilà à Ottawa en 2008, le souffle court, mais assez d’énergie pour commencer finalement la vie qu’on souhaitait. Loin de nous l’idée qu’en terre d’accueil, outre les bonnes intentions, c’est d’abord une question de langage avant que ce ne soit une question de langue(s).

La province de l’Ontario respirait la multiethnicité, l’apprentissage, le terre-à-terre et la parité. À y repenser aujourd’hui, 14 ans plus tard, je me dis que de vivre à Ottawa c’est comme de se faire accepter d’avance sans se faire prendre de haut. C’est comme donner une chance avant de voir la malchance, comme éduquer avant d’abdiquer. C’est comme ça que j’ai renoué avec les mots et mon désir de romancer la vie : sur les bancs de l’école secondaire publique De La Salle, sous la concentration « écriture », avec des femmes qui m’ont reconnue et inspirée telles que Mme Vielleuse, Carole Myre et ma prof d’amour Amélie Mercier. 

Le pouvoir de l’école

L’impact du milieu de l’éducation dans les écoles secondaires et universitaires est un tournant crucial dans la vie d’un immigrant nouvellement arrivé. L’école est sa maison, son arrimage, son axe d’équilibre et son pont entre son chez-soi teinté par l’exil et la société d’intégration. C’est pourquoi mon désir de romance s’est métamorphosé en désir d’engagement et d’implication, afin d’apporter du baume au cœur à des partenaires de récits similaires au mien.

C’est dans ce milieu d’éducation sain dans lequel je me suis finalement retrouvée que j’ai eu envie de faire partie d’un tout, car en Ontario français une bonne action est toujours le premier maillon d’une chaîne inébranlable. On se penchera sur cet aspect dans le futur, en parlant d’autres défis et réalisations du peuple franco-ontarien. 

Wajdi Mouawad était le directeur artistique du Centre National des Arts à cette époque. En hiver 2009, il était venu présenter une matinée-conférence à De La Salle qui a chamboulé ma vie : je me disais que cet être déraciné parlait la même « langue » que moi.

J’ai dévoré par la suite ses livres, ses pièces et sa carrière. J’ai eu le privilège de remporter un concours d’écriture jeunesse organisé par le CNA, où j’ai écouté mon humble morceau de pièce de théâtre se faire lire dans les murs de ce lieu, quelques mois après mon installation.

Je vous l’ai dit, une terre d’accueil où les chances sont égales, surtout lorsqu’on continue à s’ancrer en vocalisant nos besoins. La représentation est importante et cruciale, autant dans les arts que dans l’éducation. Tous les jours nous acérons nos flèches, sans jamais savoir quel amarrage va en éclore dans le cœur fragmenté d’un être déraciné. 

« La question « d’où êtes-vous? » n’a plus de sens pour moi et la seule question à laquelle je peux répondre c’est « où êtes-vous le mieux? » » – Wajdi Mouawad. 

À suivre…

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.