Denis Desgagné tourne une page du Centre de la francophonie des Amériques

Allocution de Denis Desgagné lors de l’événement Vocalités vivantes réalisé dans le cadre du Mois de la Francophonie, à Québec, le 16 mars 2018. Crédit: Centre de la francophonie des Amériques – Gilles Fréchette

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

QUÉBEC – Pendant huit ans, il a incarné le Centre de la francophonie des Amériques. Cette semaine, après deux mandats successifs, Denis Desgagné a quitté ses fonctions de président-directeur général de l’institution. #ONfr s’est entretenu avec lui à la veille de son départ.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« Que ressentez-vous au moment de quitter vos fonctions à la tête du Centre de la francophonie des Amériques?

Pour l’instant, je me concentre sur les projets en cours, car je veux m’assurer que rien ne tombe entre les craques. C’est peut-être que je repousse un peu le départ et que je le crains… J’ai tellement aimé travailler avec cette équipe, avec le conseil d’administration, pour la francophonie des Amériques… Ça me passionne! Depuis 30 ans, pour moi, la francophonie, c’est jour et nuit. Mais il y aura d’autres aventures. Alors, disons qu’aujourd’hui, mes sentiments sont partagés.

La décision de vous remplacer a été une surprise pour de nombreuses personnes dans les communautés francophones. Comment l’avez-vous apprise?

Ça s’est passé très rapidement. J’ai reçu un coup de téléphone, on m’a indiqué qu’il y avait un nouveau président, puis on m’a dit qu’on ne pouvait m’indiquer son nom et qu’un nouveau président-directeur général serait aussi nommé. Trente minutes plus tard, c’était rendu public. J’ai dû encaisser le coup et l’annoncer à mon équipe rapidement. Puis, j’ai entamé les démarches pour faire la transition. Ça me tient très occupé depuis, et je n’ai pas vraiment eu le temps de réfléchir à tout ça.

Séance de travail du conseil d’administration du Centre de la francophonie des Amériques, à Québec, en février 2018. Crédit image : Centre de la francophonie des Amériques – Productions Idéo

Comment vous a-t-on expliqué cette décision?

On ne me l’a pas vraiment expliqué, mais je savais qu’avec les élections [au Québec], il y avait un risque. Je n’ai donc pas été totalement surpris par cette annonce, même si le Centre allait bien, que j’avais une bonne relation avec le conseil d’administration. Ça m’a déçu, mais je l’accepte, même si c’est douloureux d’essayer de comprendre.

Plusieurs personnalités et organismes de la francophonie canadienne vous ont rendu de vibrants hommages. Qu’est-ce que cela représente pour vous?

Ça m’a beaucoup touché! J’ai reçu des lettres, des courriels, des témoignages sur les médias sociaux… C’est ce qui reste et c’est la plus belle récompense. Je pense que les gens sont conscients de la sincérité de ma démarche. Ça m’encourage à vouloir continuer, car ça démontre qu’il y a eu une utilité à ce que j’ai fait.

Vous avez travaillé avec des gouvernements différents, un fédéraliste, celui du Parti libéral du Québec, et un souverainiste, celui du Parti québécois. En quoi leur vision de la francophonie des Amériques était-elle différente?

Il n’y avait pas de grande différence. Chaque fois que j’ai travaillé avec une ou un nouveau ministre responsable du Centre de la francophonie des Amériques, il y avait toujours de la curiosité et un grand intérêt à connaître la francophonie des Amériques.

Pour tous, il y avait un élément commun de découverte et ça m’a toujours surpris de voir à quel point la francophonie hors Québec et des Amériques est peu connue. Les images du passé ont la vie dure, comme les « dead ducks » ou les « cadavres encore chauds », comme si c’était une grande vérité. Mais une fois qu’ils prennent conscience de la résistance, de la résilience exemplaire de ces communautés, quelle que soit leur couleur politique, les gens développent une grande admiration pour cette francophonie.

Denis Desgagné avec l’ancien premier ministre québécois, Jean Charest, en 2012. Crédit image : Centre de la francophonie des Amériques

Y a-t-il une personne qui vous a particulièrement marqué dans votre travail?

Il y a eu mes présidents du conseil d’administration, comme Jean-Louis Roy, un homme de francophonie et de diplomatie qui m’a beaucoup appris. Il y a eu tous les élus du conseil d’administration, notamment ceux élus des provinces et territoires qui apportent leur passion autour de la table.

Je retiens aussi Benoît Pelletier [ancien ministre libéral du Québec] à qui on doit le Centre et qui a toujours été très généreux de son temps pour m’expliquer sa vision, et aussi Jean Charest [ancien premier ministre du Québec de 2003 à 2012] qui a sans doute été le plus grand leader dans ce dossier-là. Je me souviens qu’après un an, j’avais déploré notre manque de ressources. Mon budget pour toute la francophonie des Amériques était inférieur à celui que j’avais en Saskatchewan! J’ai rencontré M. Charest et en très peu de temps, il s’est arrangé pour débloquer les fonds nécessaires.

Vous l’avez souligné, la francophonie en contexte minoritaire est mal connue par les Québécois. Pour quelle raison selon vous?

Je ne pense pas qu’il y ait une volonté calculée d’ignorer les francophones de l’extérieur du Québec. C’est plutôt une incompréhension et un manque de dialogue des deux côtés. Il y a eu une grande rupture lors des États généraux du Canada français en 1967 et les francophones en contexte minoritaire ont gardé une certaine rancune vis-à-vis des Québécois qui voulaient se séparer. Ils ont vécu ça comme un abandon. Et trop souvent encore, les communautés francophones en contexte minoritaire excluent le Québec quand elles parlent de francophonie.

Mais il ne faut pas oublier que quand les Québécois ont décidé de se concentrer sur ce projet, c’est qu’ils se sentaient menacés par l’assimilation et que ce risque était réel. Et je pense que même si leur projet d’autonomie s’est traduit par un renfermement sur eux-mêmes, ça a été positif pour le toute la francophonie des Amériques, car ça a permis au Québec de devenir plus fort aujourd’hui, avec une la Loi 101 qui a fait un travail extraordinaire.

Cela dit, il reste encore difficile de se parler. Parce que les médias se concentrent sur la proximité, que Radio-Canada doit surveiller ses cotes d’écoute et qu’on ne parle donc des communautés francophones minoritaires que lorsqu’il y a une crise.

Mais on sent qu’il y a une volonté de rapprochement. Il suffit de voir les réactions à ce qui se passe en Ontario. Quand les gens en entendent parler, ils veulent en savoir plus, ils se montrent heureux de voir la résistance franco-ontarienne. Il faudrait une grande rencontre de toute la francophonie des Amériques pour développer une stratégie commune qui tiendrait aussi compte des particularités de chacun.

Quel bilan faites-vous de ces huit années à la tête du CFA?

Je m’estime extrêmement chanceux et reconnaissant d’avoir pu rencontrer tous ces gens, d’avoir travaillé pour toutes ces communautés francophones des Amériques. Je suis heureux des liens que j’ai bâtis, car la finalité, ce n’est pas la francophonie, c’est l’humanité. Quand j’ai commencé, j’étais un peu nerveux, car il y avait beaucoup d’attente. J’ai donné sincèrement le meilleur de moi-même et j’ai reçu encore plus en échange. Et je dois rendre hommage à mon équipe, car c’est ce qui fait la force du Centre, avoir des gens dévoués qui croient en la mission.

Quelles sont les avancées dont vous êtes le plus fier?

Je suis fier des projets de développement que nous avons menés, que ce soit les forums des jeunes ambassadeurs, l’université d’été de la francophonie des Amériques, le parlement jeunesse à Ottawa… Quand j’entends les témoignages des jeunes qui participent, je suis toujours heureux de l’impact que ça a.

Il y a aussi la mise en place du Réseau des villes francophones qui est une grande fierté. En trois ans, il compte 160 villes et je suis certain qu’avec les ressources nécessaires et les bonnes personnes, il va changer  le visage de la francophonie. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la réaction des villes à ce qui se passe en Ontario a été si forte, je pense!

Et puis, il y a aussi les concours que nous avons mis en place, le Carnet de la francophonie des Amériques, la bibliothèque virtuelle ou encore Constellation francophone, que j’aurais aimé voir continuer…

Y a-t-il des choses que vous regrettez de ne pas avoir faites?

J’aurais aimé pouvoir en faire encore davantage, mais il ne faut pas oublier que nos ressources sont limitées. Il y a des projets sur lesquels nous avions travaillé et qui n’ont pas pu voir le jour. Il y a aussi plusieurs projets en cours qui me tiennent à cœur et qui j’espère verront le jour, comme celui sur l’empreinte francophone, qui consiste à déterminer quel impact nous avons, chacun, sur la francophonie, par notre consommation culturelle, nos comportements sociaux… Un peu comme on calcule l’empreinte écologique. J’espère que ce projet aboutira.

Le Centre de la francophonie des Amériques a vu le nombre de ses membres augmenter considérablement sous votre direction, passant de 3 000 à 42 500 aujourd’hui. Comment avez-vous réussi ça?

Quand je suis arrivé, des membres du conseil d’administration déploraient avoir plus d’amis sur Facebook qu’il n’y avait de membres du Centre. On a donc travaillé là-dessus en nous rendant sur le terrain, en faisant de la sensibilisation…  Des activités, comme le forum ou la bibliothèque, ont aussi aidé et en travaillant en partenariat, nous avons réussi à être utiles et pertinents pour répondre aux besoins des organismes et des institutions que nous sommes là pour accompagner et appuyer.

Séance de travail du conseil d’administration du Centre de la francophonie des Amériques, à Québec, en février 2018. Crédit image : Centre de la francophonie des Amériques – Productions Idéo

Cela reste toutefois un nombre bien mince quand on le compare aux 33 millions de francophones et francophiles sur le continent américain…

Nous sommes encore un organisme jeune et avons déjà réussi de belles choses en 10 ans. C’est déjà assez extraordinaire par rapport à nos moyens! De plus, nous sommes assez connus des organismes et institutions que nous voulons servir. Je pense toutefois qu’on peut aisément viser 100 000 membres d’ici trois ans. Mais il faut reconnaître qu’il y a encore beaucoup de travail à faire et le défi est d’autant plus grand que notre financement a diminué de 550 000 dollars il y a quatre ans.

Comment un Gatinois comme vous est devenu à ce point passionné de francophonie?

J’ai toujours été intéressé par la différence et mon premier contact avec la francophonie de l’extérieur du Québec a été avec la communauté franco-ontarienne qui était juste de l’autre côté de la rivière des Outaouais.


« Je me suis toujours senti chez moi là où il y a des francophones »


Et puis, mon frère s’est marié avec une Fransaskoise. Quand je suis allé là-bas à 14 ans et que j’ai rencontré sa famille, ça a été le coup de foudre! J’ai aussi pris conscience des injustices qu’ils vivaient et ça m’a donné envie de travailler avec eux. Je savais que j’irais y vivre un jour.

De ces 25 années passées dans l’Ouest canadien, qu’est-ce que vous avez appris?

J’ai d’abord été touché par l’accueil extraordinaire que j’ai reçu quand je suis arrivé à Francophonie Jeunesse Alberta. Ça a été une excellente formation. J’ai participé à beaucoup de projets, notamment la question de la gestion scolaire sur laquelle j’ai travaillé avec Yvon Mahé. J’ai aussi participé à l’ouverture d’une école francophone à Grande Prairie, un projet qui était très ambitieux, car j’avais commencé en mars pour une ouverture en septembre! Puis, j’ai travaillé sur la nouvelle gouvernance de l’Assemblée communautaire fransaskoise.

On a beaucoup parlé de francophonie canadienne récemment, notamment de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick. Comment jugez-vous la situation de la francophonie canadienne?

Je suis un optimiste! Quand je vois la francophonie des Amériques, la résistance et la résilience des communautés… Ça m’encourage. On peut s’inspirer de la Louisiane, par exemple, qui a continué à se battre pour faire avancer sa francophonie au point de devenir membre observateur de l’Organisation internationale de la francophonie [à l’automne 2018].

Mais il y a toujours des défis. Au Québec, par exemple, la Loi 101 a fait un excellent travail, mais elle a un peu déresponsabilisé les Québécois par rapport à la langue. Aujourd’hui, quand ils constatent un recul du français, ils se tournent vers leur gouvernement en oubliant qu’ils sont, eux aussi, des acteurs de cette francophonie. Je me souviens que quand je suis revenu au Québec, mes enfants ont été très surpris d’être accueillis, le premier jour d’école, par des chansons en anglais. Nos choix ont une empreinte sur la francophonie.

Les décisions de ces deux gouvernements doivent-elles inquiéter les francophones à travers le pays?

Tout ne va pas forcément si mal et on peut même dire merci à Doug Ford [premier ministre de l’Ontario] pour ces événements, car ils ont créé une vague de solidarité.

C’est la résistance qui nous fait avancer et on doit se servir de ce mouvement. Il serait facile de se décourager et d’être fataliste, mais je suis convaincu qu’il sera de plus en plus facile de vivre en français dans le futur, même si le changement prend parfois plus de temps qu’on aimerait.

Quel rôle le Centre de la francophonie des Amériques peut et doit jouer dans ce mouvement?

On se met toujours au service des communautés et si elles ont besoin de nous, on sera là. J’ai rencontré l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) et la Fédération des communautés francophones et acadienne pour parler du mouvement de résistance. Nous n’avons pas de mandat politique, mais on peut être des facilitateurs et aider.

Quels conseils donneriez-vous à votre successeure, Johanne Whittom?

Mon conseil serait d’avoir confiance en elle-même et en son équipe et d’être à l’écoute. Il faut prendre le temps de rencontrer et de se laisser émerveiller par la francophonie des Amériques pour bien l’appuyer. C’est ce que je lui souhaite et ce que je souhaite à la francophonie. »


LES DATES-CLÉS DE DENIS DESGAGNÉ :

1963 : Naissance à Gatineau

1986 : Diplôme de loisirs au Collège Algonquin, à Ottawa

1986 : Mission à Francophonie jeunesse de  l’Alberta

1991 : Directeur régional de l’Association canadienne-française de l’Alberta, région Rivière-La-Paix

1995 : Président de l’Alliance des radios communautaires

1999 : Directeur général de l’Assemblée communautaire fransaskoise 

2011 : Nommé président-directeur général du Centre de la francophonie des Amériques

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.