Déplacés du chemin Roxham : l’Est ontarien veut une coordination locale

Depuis l'été 2022, 1400 demandeurs d'asile ont été redirigés vers Cornwall, en provenance du chemin de Roxham. Source: Canva

CORNWALL – Depuis l’arrivée des premiers demandeurs d’asile en provenance du chemin Roxham en juillet 2022, les organismes francophones de Cornwall, les conseils scolaires, le Centre de santé communautaire francophone ainsi que la municipalité se sont mobilisés pour gérer la crise en devenir. Les organismes soulèvent à présent les mêmes préoccupations et veulent la même chose : garder le contrôle sur une coordination locale.

« Le fédéral oublie que les projets de société, ça se passe en communauté », dénonce la sénatrice indépendante Bernadette Clément en entrevue avec ONFR+.

Alors que le conseiller municipal Fred Ngoundjo a déposé une motion cette semaine pour que le ministère Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) rencontre la Ville, la communauté demande plus de transparence de la part des instances étatiques. Ce qu’ils veulent, c’est connaître les plans d’IRCC afin d’être proactifs sur ce dossier qui prend de l’ampleur.

« En attendant, à Cornwall, avec la communauté, les députés et avec tous les services impliqués, on se demande ce qui se passe », reprend la sénatrice.

Il y a un peu plus d’une semaine, le maire de Cornwall, Justin Towndale, plusieurs conseillers, le député provincial, le député fédéral, le Grand chef des Mohawks d’Akwesasne ainsi que l’Association des communautés francophones de l’Ontario de Sturmont-Dundas-Glengarry (ACFO SDG) et tous les autres acteurs communautaires de la ville se sont retrouvés lors d’une réunion visant à transmettre des informations aux parties prenantes.

La sénatrice Bernadette Clément fut mairesse de Cornwall de 2018 à 2021. Archives ONFR+

« Les organismes veulent planifier les ressources humaines, le budget, etc. Ils ont donc besoin de connaître la durée des contrats de service, comme ceux avec les hôtels. Est-ce que le gouvernement a signé pour trois mois, six mois ou plus? », demande la politicienne.

Et d’ajouter : « Une de grandes préoccupations était de savoir ce qu’IRCC a tout bonnement prévu. À savoir s’il y aura d’autres personnes en chemin, mais aussi si IRCC a prévu d’envoyer quelqu’un pour aider à coordonner la réponse locale. »

Une trentaine de femmes enceintes parmi les personnes déplacées

Pour le conseiller municipal, Maurice Dupelle, une de ses préoccupations est le manque de ressources humaines. « Ce n’est pas tout, les services de santé sont étirés et parmi les demandeurs d’asile, il y aurait environ une trentaine de femmes enceintes », s’inquiète-t-il.

« Il n’y a aucun doute que la communauté est bien organisée pour prendre les devants, mais pour nous soutenir il faudra du financement. »

Juliette Labossière, directrice générale de Centraide SDG – un organisme expert dans la mobilisation de ressources pour contribuer au développement des communautés, basé à Cornwall –, pense que le vide d’information est une bombe à retardement.

« On manque notre chance de créer quelque chose de beau » – Juliette Labossière

« Notre communauté est spéciale, on a intérêt à faire que ces gens-là restent. Par contre, nous n’avons pas de coordination sur place. Il faut un budget pour permettre aux organismes d’avancer et de planifier cette coordination dont nous sommes très capables. »

Centraide
Juliette Labossière est directrice générale de l’organisme Centraide à Cornwall. Gracieuseté

« On manque notre chance de créer quelque chose de beau. C’est quoi le plan? », se demande-t-elle. « On a besoin d’une planification.

C’est aussi ce que le Grand chef d’Akwesasne, Abram Benedict, demande. IRCC refuse de faire une planification à long terme, parce que les demandeurs d’asile sont imprévisibles ».  

« Il y a de la frustration à voir des organismes qui ne sont même pas de la région venir pour gérer la crise. Laissons-nous prendre le contrôle pour passer à l’action. En gardant une coordination locale, on va continuer à prendre soin de notre communauté et de nos nouveaux arrivants. »

Cornwall n’en est pas à son premier rodéo

« Cornwall est une ville accueillante », lance Fred Ngoundjo, conseiller municipal.

Les organismes communautaires sont au front depuis le début, rappelle l’élu : « Les leaders politiques, associatifs et même religieux tentent de trouver des réponses à ce défi. En tant que communauté, nous essayons de résoudre cela avec un véritable sens de l’accueil. »

Différents acteurs tentent de s’impliquer auprès des demandeurs d’asile, puisque les besoins sont diversifiés. Au niveau de l’éducation, le Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO) explique qu’« au niveau scolaire, nous leur offrons un appui soutenu, notamment avec des tuteurs en francisation et des moniteurs de langue. Nous appuyons également les familles en collaboration avec différents organismes communautaires de la région. Cet appui est varié : fournir des vêtements d’hiver, appui financier pour participer aux sorties éducatives, au programme de petits déjeuners, etc. »

Les conseillers municipaux Fred Ngoundjo et Maurice Dupelle. Crédit image : Ville de Cornwall

De plus, plusieurs organismes tels que l’ACFO SDG appuient l’immigration francophone dans la ville, au même titre que le Conseil économique et social d’Ottawa-Carleton (CÉSOC) qui appui l’établissement de ces personnes.

Pour le directeur général du CÉSOC, Désir Saint-Phard, « notre rôle, c’est d’aider les immigrants, majoritairement francophones, à s’intégrer dans l’Est de l’Ontario ». Son organisme est d’ailleurs responsable du Réseau de soutien à l’immigration francophone de l’Est de l’Ontario (RSIFEO).

1400 demandeurs d’asile depuis l’été dernier

Depuis l’été 2022, ce sont 1400 demandeurs d’asile du chemin Roxham qui ont été envoyés à Cornwall. « L’ACFO faisait une coordination et ça allait bien », explique la sénatrice Bernadette Clément, « j’étais surprise de savoir que ce contrat n’avait pas été renouvelé au centre de transition Devcore ».

« Lors de notre réunion, le monde soulignait le travail de l’ACFO et son rôle de leadership », ajoute-t-elle.

« Ça fait longtemps que l’ACFO appuie l’immigration francophone et lorsque les demandeurs d’asile sont arrivés, c’était naturel pour eux d’aider. »

Nolan Quinn est le député provincial pour Stormont—Dundas—South Glengarry. Source Facebook/Nolan Quinn

« L’ACFO a fait un travail impressionnant », a également déclaré le député provincial Nolan Quinn en rencontre avec ONFR+.

Il explique d’ailleurs que depuis que l’organisme n’est plus coordinateur, « nous avons reçu des dizaines de courriels indiquant qu’ils étaient très préoccupés par le niveau de service ».

« L’ACFO a fait un travail incroyable et en tant que communauté, nous faisons pression pour que l’ACFO soit de nouveau dans l’équation », a-t-il renchéri.

Plaidoyer pour une réponse communautaire

Les organismes et même la Ville de Cornwall reconnaissent qu’un financement du gouvernement et des ressources allouées seront nécessaires pour continuer l’aide sur place. Pour autant, « la réponse communautaire peut être envisagée puisqu’il faut avoir la compréhension des mécanismes communautaires, nécessaires pour permettre la pérennité et le développement des communautés », souligne Sonia Behilil, directrice des opérations de l’ACFO SDG. 

« Je reste confiante qu’IRCC va nous consulter », ajoute-t-elle, « l’ACFO dans son rôle au sein de la communauté et dans ses efforts pour le développement durable reste un partenaire de choix pour le gouvernement ».

Le directeur général du CÉSOC, lui aussi, approuve. « Les gens ont besoin de comprendre que c’est à la communauté de trouver la meilleure façon de les intégrer, c’est la ville, la région, mais ce n’est pas le gouvernement qui va vous dire comment les intégrer. Il n’y a pas que les ministères d’immigration qui peuvent intervenir. »

Désir Saint-Phard, directeur général du Conseil économique et social d’Ottawa-Carleton. Crédit image : CÉSOC

« La réponse doit être communautaire », affirme-t-il, « mais la communauté a besoin de ressources pour apporter une réponse appropriée ». 

Au niveau de la municipalité, la demande est semblable. Pour M. Ngoundjo, ce sont les communautés et les municipalités qui installent les nouveaux arrivants, peu importe leur statut. « On leur trouve les ressources. »

« Il est primordial qu’autant le fédéral que le provincial comprennent qu’il est important de soutenir la Ville, tant financièrement que par des ressources humaines. »

De nouvelles villes d’accueil en Ontario bientôt révélées

Par échange de courriels avec ONFR+, Nancy Carron, porte-parole d’IRCC, assure que son ministère « travaille activement avec d’autres provinces et municipalités pour identifier de nouvelles destinations qui ont la capacité d’accueillir les demandeurs d’asile ».

Présent lors de la réunion organisée à Cornwall la semaine dernière, le palier fédéral promet de continuer un travail de collaboration avec la Ville de Cornwall et d’autres intervenants pour mettre en place les opérations hôtelières.

« Pour assurer la sécurité et l’intégration réussie des demandeurs d’asile (…), nous avons besoin de l’aide de partenaires communautaires », soutient Mme Carron. Toutes les deux semaines, IRCC promet de répondre aux préoccupations et de soutenir les opérations en conséquence.

Cependant, « le calendrier des transferts dépendra de la mise en place de contrats convenables, de la coordination des opérations ainsi que la capacité de traitement des demandes d’asile en cours ».