Des coupes qui font mal aux événements culturels ontariens

La foule lors du Festival franco-ontarien, en juin 2023. Groupe Simoncic aurait reçu la moitié des montants demandés à Expérience Ontario. Crédit image: Stéphane Bédard

SUDBURY – Des coupes dans le programme Expérience Ontario du ministère du Tourisme, de la Culture et du Sport (MTCS) font mal au domaine événementiel à travers la province. Lundi, le festival d’art urbain et de musique Up Here de Sudbury a annoncé devoir reculer sur certains aspects de sa programmation puisqu’il s’est vu complètement écarté du programme, qui lui avait pourtant octroyé des montants récurrents à travers les années. Ce n’est pas le seul événement à pâtir de la réduction des subventions gouvernementales.

Cette année, l’enveloppe totale accordée à Expérience Ontario est passée de 50 À 19,5 millions de dollars. À la lumière de cette réduction, les organisateurs du Festival Up Here s’attendaient à voir leur financement réduit, mais pas annulé. Ils étaient prêts à réagir à un octroi de plus ou moins 50 000 $.

Le co-fondateur du festival et président de l’organisme organisateur We Live Up Here, Christian Pelletier, explique que la subvention d’Expérience Ontario comptait habituellement pour 20 % du budget du festival. « Nous sommes clients de ce programme depuis des années. Nous n’avions aucune raison de croire que nous ne recevrions aucun financement. Ça nous met nous, et plusieurs autres festivals en province, dans une situation précaire assez impossible à gérer. »

Christian Pelletier est co-directeur artistique et co-fondateur du Festival Up Here, ainsi que président de l’organisme sans but lucratif qui organise le festival, We Live Up Here. Crédit image : Tennille Heinonen

Un autre organisme de Sudbury, le Centre franco-ontarien de folklore (CFOF), a vu sa demande de 13 000 $ refusée. Son directeur général, Patrick Breton, explique que ce sont surtout des activités en marge du festival Les vieux m’ont conté qui en feront les frais. L’une des idées était d’envoyer des conteurs en tournée afin de rejoindre d’autres communautés du Nord de l’Ontario.

Du côté d’Ottawa, la deuxième édition du Festival du jardin a été annulée. À Hamilton, la FrancoFEST, qui a déjà eu lieu en juin, a reçu environ la moitié des sommes espérées. La directrice générale du Centre francophone Hamilton, Julie Jardel, est habituée de jongler avec des chiffres inconnus puisque son événement se trouve en début de saison. Elle n’apprécie pas pour autant : « La moindre des choses que l’on voudrait, c’est d’avoir une petite garantie. De n’avoir aucune idée de ce qu’on va avoir, c’est vraiment difficile en termes de plan de contingence. »

La FrancoFEST 2023 a permis à l’artiste LeFLOFRANCO de vivre sa première expérience comme tête d’affiche d’un festival. Crédit image : Rachel Crustin

Julie Jardel souligne avoir parfois reçu 40 000 $, et parfois rien du tout, ce qui rend difficile la planification. Cette année, elle se résigne. « Je sais que c’est bien en dessous de ce que notre festival mériterait, mais je mitige un peu mon propos maintenant, sachant ce qui se passe ailleurs. »

Le Centre francophone Hamilton devra puiser davantage dans ses revenus autonomes pour compenser la perte de subvention, ce qui pourrait affecter la programmation du reste de l’année.

Communauté solidaire

Depuis l’annonce de lundi dernier, la communauté de Sudbury se mobilise pour venir en aide à l’organisme We Live Up Here. De nouveaux commanditaires se sont manifestés. La municipalité leur a offert rapidement des lettres d’appui pour contester la décision du MTCS.

Certains artistes qui n’ont pas été affectés par le remaniement de la programmation ont offert de redonner une partie de leur cachet à l’organisation. Une offre généreuse, mais inconcevable, selon Christian Pelletier. « Depuis le début du festival, on paye bien nos artistes. Il n’est aucunement question de reculer là-dessus. »

La population peut aider de différentes façons, en achetant ses billets à l’avance, par exemple.

En 2022, le Festival Up Here a accueilli un spectacle surprise de Seulement (Mathieu Arsenault). Crédit image : Amanda Fotes

Selon son co-fondateur, le Festival Up Here aurait généré jusqu’à 5 millions de dollars en retombées économiques depuis ses débuts. Julie Jardel souligne aussi l’importance des festivals dans l’économie d’une région : « Le tourisme culturel est très important. On redistribue aussi énormément dans la communauté en embauchant du monde, en faisant des partenariats avec des commerces locaux, etc. »

Christian Pelletier déplore aussi le fait que les artistes subissent directement les conséquences de ces coupes. « Le secteur de la musique a été l’un des plus affectés par la pandémie (…). Comme les gens sont finalement en train de s’en remettre, on reçoit un autre méchant coup comme celui-là. C’est démoralisant. »

Confusion autour du formulaire

Dans un échange de courriels avec ONFR+, un attaché de presse du MTCS a justifié le refus de financement au Festival Up Here en ces termes : « Les organisateurs du festival Up Here ont soumis une demande incomplète. Comme leur dossier ne contenait pas les documents requis, ils n’ont pas satisfait aux critères du programme. »

Un argument farfelu, selon Christian Pelletier. « C’est très surprenant, parce que le portail ne permettait même pas de soumettre un dossier incomplet. (…) On a révisé notre demande ce matin, juste pour vérifier, et tout est là. » Il précise avoir demandé une rencontre avec des représentants du MTCS.

Au moment d’écrire ces lignes, le MTCS n’avait pas répondu à nos autres questions.

Des changements au programme

Le programme Expérience Ontario du MTCS « offre un soutien aux festivals et aux événements ayant un impact économique touristique pour inciter les visiteurs à redécouvrir l’Ontario, reconnecter les gens avec les expériences locales et augmenter les dépenses touristiques », peut-on lire dans le guide de demande officiel. Ce dernier précise aussi que le programme est compétitif et qu’il n’y a « aucune garantie de financement ».

En plus de la réduction considérable du montant total accordé cette année, la période de demande de financement a été modifiée. Habituellement, les organisateurs devaient déposer leur demande en octobre et obtenaient une réponse en avril. Mais cette fois-ci, il fallait déposer les demandes en avril et les réponses sont arrivées dans les derniers jours, en plein milieu de la saison des festivals.

La formation Les Tireux d’roches était en spectacle au FrancoFEST de Hamilton en juin 2023. Crédit image : Rachel Crustin

Julie Jardel et Christian Pelletier ont tous les deux précisé que des solutions se trouvent à portée de main du ministère. Sans même renflouer l’enveloppe du programme, il serait possible d’améliorer la planification en changeant les dates de mise en candidature, en permettant aux organismes de faire des demandes pour l’année budgétaire suivante ou en octroyant des subventions sur trois ans, par exemple.

La directrice générale du Centre francophone Hamilton déplore aussi le traitement des festivals francophones : « Il n’y a pas beaucoup de gros festivals francophones en Ontario. C’est dommage que nous aussi on subisse des coupes alors qu’on est déjà là à racler les fonds de tiroir. Je crois que c’est aussi à prendre en compte, à quel point ça met en danger les communautés minoritaires. »

Abel Maxwell lors de son spectacle à la FrancoFEST Hamilton en juin 2023. Crédit image : Rachel Crustin

Patrick Breton du CFOF ajoute l’enjeu géographique : « Dans le Nord, c’est toujours plus difficile, parce que les frais de déplacement sont plus gros. Je ne sais pas à quel point ils l’ont considéré. »

De son côté, Christian Pelletier ne cache pas sa frustration par rapport à l’administration du programme de subventions. « Notre événement est dans trois semaines. On ne peut pas attendre une réponse du ministère. On nous demande d’être responsable avec les fonds publics, mais on nous impose des décisions absolument impossibles à prendre. »