Des évacués de Yellowknife déplorent l’absence des médias sur les réseaux sociaux

De gauche à droite : Simon Cloutier, Sean Poitras et Michel Legault.

YELLOWKNIFE – Dans les Territoires du Nord-Ouest (TNO), des centaines de feux ravagent les forêts. Mercredi dernier, les habitants de la capitale ténoise ont eu ordre d’évacuer et des milliers de personnes ont quitté leur domicile vers l’Alberta. Sur la longue route qui sépare les deux régions, l’accès aux nouvelles, pourtant précieuses en ces heures sombres, n’a jamais été aussi compliqué que depuis le blocage de Meta. 

Plus de 651 feux sont hors de contrôle au pays selon le Centre interservices des feux de forêt du Canada et la semaine dernière, des milliers de personnes ont quitté plusieurs villes des Territoires du Nord-Ouest (TNO) en raison des incendies. L’état d’urgence a été déclenché dans la capitale, Yellowknife. 

En entrevue avec ONFR+, plusieurs habitants nous ont raconté leur fuite vers l’Alberta.

« Comme vous vous en doutez, pour aller en Alberta, on roule 15, 17 heures, 18 heures et même plus », explique Simon Cloutier, président de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, habitant de Yellowknife. 

M. Cloutier et sa famille ont quitté leur maison, mercredi après-midi, quelques heures avant l’évacuation officielle. « Ça faisait déjà plusieurs jours qu’on s’inquiétait et c’était difficile d’avoir de bonnes sources d’informations avant même de partir. »

« Évidemment, quand on est habitué depuis des années à ouvrir son Facebook tout de suite et de voir les publications des différents médias ou de voir les posts de médias partagés par nos amis proches, c’était tout simplement plus facile. »

Naviguer dans le chaos sans vérification des faits

Même si la désinformation et les rumeurs ont toujours été là, Simon Cloutier se souvient qu’aussitôt « on faisait défiler la page Facebook, on tombait tout de suite sur quelqu’un qui partageait une publication officielle de CBC ou de Radio-Canada ou peu importe. Ça permettait d’immédiatement éliminer la fausse information ».

« Maintenant qu’on a plus ça, il y a beaucoup plus de confusion et de chaos. »

Il n’y a qu’une seule route pour quitter Yellowknife. Crédit image : Christine Ratel

Sur les plateformes telles que Facebook, vérifier l’information grâce aux médias semble avoir été un luxe, aujourd’hui anéanti par la décision de Meta, soit celle de bloquer toutes les pages des médias canadiens et leurs contenus sur leurs réseaux sociaux. 

Pendant l’évacuation, la fin de semaine dernière, un grand nombre de personnes étaient branchées sur Cabin Radio, un moyen fiable de suivre les nouvelles en voiture. Mais, les journalistes de Cabin Radio font aussi partie des gens évacués à présent. Pour M. Cloutier, ce n’est pas évident pour tout le monde. Savoir où s’informer et comment s’informer, c’est important dans des moments de crise comme celle que traversent les habitants des Territoires du Nord-Ouest, souligne-t-il.

« En ce moment, les gens ont besoin d’informations. Moi, je crois qu’ils auraient pu faire une entorse à leur rigidité et se dire que là, il y a une urgence. Même des fois, ça peut sauver une vie » – Michel Legault

Michel Legault, lui aussi évacué de Yellowknife, a plus ou moins navigué via des groupes sur les réseaux sociaux. « C’est sûr que la générosité des gens est incroyable et le partage d’informations va avec. »

Le seul problème, croit-il, c’est de suivre les informations que les gens partagent. « C’est dans ma nature de contre-vérifier, par exemple, j’ai reçu un message disant que l’essence était offerte à High Level et c’était vrai, mais ce n’est pas le cas pour tout. »

« Des gens parlaient de cambriolages ou disaient que la GRC ne faisait rien. Ce n’était pas vrai. »

Pour autant, M. Legault, membre de la fonction publique territoriale, estime que les informations deviennent obsolètes très rapidement. « Nous voyageons en groupe et nous suivons des pages sur Facebook, nous discutons sur Messenger, mais il y a des risques que des gens mal informés lancent une rumeur sans forcément être mal intentionnés. »

À certains endroits, la visibilité était quasi nulle. Crédit image : Christine Ratel

Pendant son périple, le Franco-Ténois, Sean Poitras explique que lorsqu’il conduisait pour trouver refuge à Grande Prairie, en Alberta, ce n’est qu’après quelques heures, que déjà, les informations n’étaient déjà plus fiables. « On nous a ensuite dit d’aller à Saint-Albert, dans la banlieue d’Edmonton. Puis, après ça, au trois quarts de notre trajectoire, le centre de Saint-Albert était complet, alors l’information suivante, c’était d’aller à Leduc. »

Simon Cloutier, lui, suppose « qu’en termes de complexité, nous sommes à deux années-lumière de la facilité qu’on avait avant, versus la complexité qu’on a présentement pour accéder aux informations ».

C’est ce que déplore Michel Legault, présentement en sécurité à Edmonton en Alberta. « Ça me fait rager, ce sont des mégacorporations. Ce n’est pas le moment d’essayer de nous avoir de leur côté ou contre vous », dit-il en référence aux dires de géant Meta, qui indique que ce blocage est en réponse à la législation canadienne.

« En ce moment, les gens ont besoin d’informations. Moi, je crois qu’ils auraient pu faire une entorse à leur rigidité et se dire que là, il y a une urgence. Même des fois, ça peut sauver une vie. » 

Le Franco-Ténois est certain que le moment est mal choisi. « Ils ne feront pleurer personne. Ce sont des compagnies multimilliardaires et ils ne veulent pas donner une petite partie aux médias. Si tout le monde regarde les articles et il n’y a pas d’argent qui rentre. Où on va prendre l’information? » se demande-t-il. 

Avec le stress et le manque de temps : pas facile de changer ses habitudes 

Pour Simon Cloutier, il est évident que l’interdiction de Facebook de partager de nouvelles canadiennes signifie que les informations d’urgence ne sont pas disponibles sur la plateforme. 

« On en parle beaucoup, mais il semble que la région de Kelowna en Colombie-Britannique a été très impactée par cette absence des médias », rappelle-t-il. 

« Il y a beaucoup plus de confusion et de chaos » – Simon Cloutier

Michel Legault et Dominique Poirier ont quitté Yellowknife entre mercredi soir et jeudi dans la nuit. Crédit image : Dominique Poirier

« Il y avait beaucoup de panique en ville mercredi, parce que beaucoup de gens disaient que le feu était à l’intérieur de la zone de 10 kilomètres de Yellowknife en fin de journée, alors que ce n’était pas vrai. Cette information s’est propagée rapidement. Il y a beaucoup de gens qui ont paniqué, qui ont quitté en panique plutôt que de prendre un petit peu plus de temps pour s’assurer qu’ils avaient tout. »

C’est aussi l’inquiétude du côté de Hay River dans les TNO, la sœur de Sean Poitras y vit et pour le jeune franco-ténois, « c’est vraiment stressant pour elle, car la région est extrêmement en danger et il est vraiment difficile d’avoir les bonnes informations ».

« On s’en rend compte », reprend-il, « que naturellement, on va sur Facebook pour trouver des updates ».

Il est aussi probable que des gens n’aient pas le réflexe d’aller sur les sites de nouvelles, « parfois les gens ne connaissent pas, les plus jeunes ou les plus vieux, ou simplement comment ça fonctionne », pense M. Legault.

Les évacués de Yellowknife ne savent toujours quand ils vont pouvoir retourner chez eux. Crédit image : Christine Ratel

Michel Legault admet ne pas pouvoir se couper de Facebook en ce moment, « si je le fais, je coupe les liens avec les amis. Mais surtout, Facebook est tellement présent dans nos vies et fait partie de nos vies. Je crois que s’ils veulent ce statut-là, il faut en redonner à la population aussi ».

Cet article a été modifié le 23 août 2023 à 14h11