Des manifestations à travers l’Ontario en soutien au mouvement des femmes en Iran
Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes de l’Ontario près de deux semaines après la mort de Mahsa Amini en Iran qui se répercute aussi sur la scène internationale. L’assassinat de la jeune femme de 22 ans par la police des mœurs iranienne le 14 septembre dernier a mis le feu aux poudres.
À Toronto où on dénombrait près de 50 000 personnes, Ottawa et Sudbury, plusieurs manifestants se dont déplacés faisant écho aux manifestations sans précèdent qui déchirent l’Iran et l’écho se fait sentir dans le monde entier.
« Ce qui est arrivé à Mahsa Amini nous est probablement arrivé à tous. On a tous vécu du harcèlement ou une détention par le gouvernement. Je peux facilement dire que 80 % des gens ici ont déjà eu une expérience similaire », relatait avec compassion une Irano-Canadienne présente à la manifestation à Richmond Hill près de Toronto.
Le pays subit depuis quarante ans une répression menée par un gouvernement islamiste. Ce n’est pas la première fois que les Iraniens et Iraniennes se battent pour leur liberté. Ces dix dernières années, le pays s’est soulevé à plusieurs reprises.
Un mouvement pour et par les femmes
Pour Haideh Moghissi, ces manifestations en Iran ne sont pas nouvelles, mais ce mouvement est sans précédent et d’une ampleur internationale. Cette dernière est fondatrice de l’Union nationale des femmes iraniennes ainsi qu’une auteure et analyste sur les questions concernant les femmes dans les sociétés musulmanes, au Moyen-Orient et en Iran.
« Ce qui est frappant, c’est que c’est un mouvement initié par des femmes. Elles ont un leadership qui est suivi par des millions de personnes, dont des hommes. »
« C’est remarquable », ajoute-t-elle. « Cela démontre aussi que les femmes du Moyen-Orient ne sont pas des femmes soumises comme la légende le raconte ».
La mort de Mahsa Amini a déclenché la révolte du peuple iranien sur la question du port du voile, mais pas seulement. La jeunesse iranienne est particulièrement visible et pour cause, la répression du gouvernement touche de nombreux fondements, là où les hommes et les femmes voient leur liberté toujours plus limiter.
« Les gens ne peuvent pas écouter de la musique, s’habiller comme ils veulent », s’insurge Mme Moghissi. « C’est l’islamisation et les gens n’en veulent plus. Aujourd’hui, ils répondent à toutes ces années d’humiliation et de colère. »
Survivante face à la tyrannie religieuse
Aida Bahramian a vécu en Iran jusqu’à ses 33 ans, elle a quitté le pays il y a sept ans. Cette chercheuse et enseignante à l’Université d’Ottawa s’est installée dans la région depuis tout juste un an.
Aida Bahramian connaît bien la répression, son père était avocat pour les prisonniers politiques en Iran. « Notre vie a toujours été menacée », explique-t-elle. « Mon père a été emprisonné de nombreuses fois. On nous a déjà appelés pour que je le dépose moi-même en prison », se souvient-elle.
« Un peu avant mon départ pour la France, j’étais doctorante à l’université en Iran et, un soir, des personnes du gouvernement sont venues chercher mon père devant son bureau. Ils l’ont bâillonné et emmené dans un endroit secret. »
« J’ai négocié pour qu’ils me prennent à sa place », poursuit-elle. « Je voulais qu’ils laissent mon père tranquille, car il est âgé et malade. Mais, ils l’ont battu et laissé presque pour mort, puis l’ont balancé au bord d’une autoroute ».
Mme Bahramian raconte les horreurs que le gouvernement islamiste a fait vivre à elle et sa famille. « Mon père a porté plainte face aux meurtres de nombreux jeunes dans les prisons ainsi que des prisonniers politiques dont il s’occupait », explique-t-elle visiblement émue. « C’est alors qu’on m’a menacée avec une arme sur la tempe pour que je dise où étaient les documents de mon père. Je préférais qu’ils me tuent ».
Aujourd’hui, la jeune femme se dit en paix au Canada et dans son travail à Ottawa et même si son père vit toujours en Iran, elle croit qu’un jour « ça ira mieux ». « Mon cœur est brisé, je ne dors plus quand je vois ce qui se passe », s’indigne Aida Bahramian.
L’impact de la révolte
Haideh Moghissi qui a quitté l’Iran il y a 37 ans, considère que ce mouvement est immense et que l’impact sur la scène internationale est notable.
« Il y a du soutien de la part des communautés, des célébrités, mais il faut que les gouvernements prennent part, je ne suis pas sûre que seuls les Iraniens arriveront à bout de ce gouvernement. »
« Le gouvernement est armé », dit Mme Bahramian. « Nous avons besoin d’une intervention internationale, plus importante que juste des sanctions ».
Haideh Moghissi rappelle aussi à ne pas oublier que l’État possède l’armée, la police et des milices « les basijis » qui exécutent les lois islamistes. « L’an dernier, une loi est passée indiquant que si les manifestants se faisaient tuer, la police ne sera pas tenue responsable, puisque cela sera dû à une décision personnelle d’aller manifester. »
« Ils ont des capacités cruelles », poursuit-elle, « plus les manifestations augmentent, plus leur colère et la répression est dure ».
Le gouvernement fait face à une population en colère, mais également une crise de gouvernance au sein même de leurs rangs, selon Mme Moghassi. « Même si les gens retournent chez eux et que le gouvernement arrive à atteindre le feu, le pays ne sera plus jamais le même. »
L’auteure iranienne perçoit « une nouvelle façon de s’émanciper et nos jeunes savent qu’ils vont peut-être mourir, mais ils manifestent pour la liberté. »
Aida Bahramian est fière de son peuple : « Quand je vois les jeunes qui sont très courageux, et les femmes qui retirent leur voile, je suis impressionnée. »
« Aujourd’hui, j’ai peur que nos jeunes et nos élites meurent », s’inquiète la jeune enseignante. « La population est très jeune et dans les universités, c’est 60 % de la population qui sont des femmes, elles sont très éduquées. »
Le voile symbole de la domination
Le voile est un symbole de peur et de cette répression qui empoisonne les femmes iraniennes. « Nous avoir forcées à le porter, c’est nous avoir volé notre identité et sacrifier notre personnalité au nom d’une idéologie obsolète », indique l’enseignante.
« Le voile en lui-même n’est pas un problème et nous respectons celles qui veulent le porter. Avant 1979, en Iran, nous étions libres et en quarante ans, nous avons subi cette morale. »
Pour Aida Bahramian, c’est la domination masculine, comme le raconte Pierre Bourdieu dans son œuvre éponyme. « Mon passeport iranien ne me représente pas, je le déteste. Il faut que je mette quelque chose sur ma tête pour qu’on me reconnaisse. Ce n’est pas mon identité, ce n’est pas notre histoire perse, ce n’est pas notre culture », clame-t-elle.
Avec la collaboration d’Abigail Alves Murta et Pascal Vachon