Le balado Des mots sur des maux est une commande du Centre Colibri, qui cherchait à créer un outil de sensibilisation original. Gracieuseté Nathalie Nadon

BARRIE – Alors que le Canada souligne la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes, en mémoire des victimes de la tuerie de Polytechnique (Montréal) du 6 décembre 1989, le Centre Colibri, centre des femmes francophones du comté de Simcoe, se prépare à lancer un balado. Des mots sur des maux nous fait découvrir six femmes qui ont vécu de la violence et comment l’art a jalonné leur parcours de guérison.

Des mots sur des maux aborde la violence faite aux femmes sous plusieurs formes, qu’elle soit conjugale, familiale ou même systémique. Le rapport à l’art est un fil conducteur assez discret, un point commun qui laisse toute la place aux histoires des invitées.

Tout a commencé lorsque Jo-Anne David, directrice générale du Centre Colibri, cherchait à sensibiliser les gens en sortant des outils traditionnels. Elle a fait appel à sa collaboratrice artistique de longue date, Nathalie Nadon. La productrice et animatrice a à son tour recruté sa complice Janie Renée comme productrice au contenu.

Cette dernière travaille également dans un organisme d’aide pour les femmes qui vivent de la violence. Épaulées du réalisateur Louis-Philippe Gallant et de deux autres animatrices, Mathilde Houtchégnon et Fayza Abdallaoui, elles ont puisé dans leur entourage pour trouver des parcours inspirants.

Une partie de l’équipe derrière Des mots sur des mots. De gauche à droite : Fayza Abdallaoui (de dos), Nathalie Nadon, Louis-Philippe Gallant et Georgelie Berry, invitée du deuxième épisode. Gracieuseté Nathalie Nadon

En entrevue avec ONFR, Janie Renée explique qu’elles voulaient « parler des choses qui sont thérapeutiques, mais qui ne sont pas mises en marché comme des thérapies ». Libérer la parole, d’abord, puis faire le lien avec l’art, car toutes les invitées ont une fibre artistique à différents niveaux.

Des connexions humaines

Le principe d’un balado permet aussi de ne pas juger les participantes sur leur apparence, tout en conservant une diversité des parcours, des voix et des accents. Avoir trois animatrices permettait d’aller chercher des connexions particulières. Par exemple, Fayza Abdallaoui s’implique depuis des années auprès des femmes qui, comme elle, ont un parcours d’immigration. Mathilde Houtchégnon dit se reconnaître dans les propos de son invitée, la sénatrice Bernadette Clément. Nathalie Nadon interviewe une amie, qui a accepté grâce à leur lien de confiance.

Chaque épisode présente une nouvelle entrevue, menée par l’une des trois animatrices. De gauche à droite : Mathile Houtchégnon, Nathalie Nadon et Fayza Abdallaoui. Gracieuseté Nathalie Nadon

Chaque entrevue a duré plusieurs heures. Si les invitées étaient bien préparées, les animatrices ne possédaient que quelques informations, dans le but de favoriser une discussion naturelle et non scriptée. Janie Renée explique : « Toute cette magie-là ne peut s’opérer que dans de vraies relations humaines, pas dans un set-up. Nous, on a tenu le contenant, mais elles l’ont vraiment rempli de contenu. »

Des trucs concrets

Nathalie Nadon aime parler de Des mots sur des maux comme d’un balado de croissance personnelle. À ONFR, elle souligne que certaines participantes ont partagé des stratégies tangibles. Par exemple, Sonia-Sophie Courdeau explique qu’elle a toujours un bout de papier sur elle. Lorsqu’elle sent qu’une émotion est sur le point de l’envahir au mauvais moment, elle lui écrit : « Je te reviens. »

Il n’y a pas que l’art publié qui soit valable. Dans le troisième épisode, Nafoussiatou Tuo explique son échappatoire. « Tout ce que je sais, c’est qu’il faut que ça sorte de ma tête. Alors, je prends mon crayon et ma feuille et j’écris. Sans structure, je ne fais pas attention aux fautes, rien. Je verse sur le papier et c’est tout, quitte à le brûler après, ou à le déchirer, ou à le garder. Ça dépendra. »

Donner des mots aux autres

Grâce au temps alloué et aux six participantes qui avaient déjà un certain recul sur leur histoire, les invitées ont pu utiliser des mots imagés et justes, qui vont tantôt susciter l’empathie de l’auditeur, tantôt lui permettre de se reconnaître.

Entre autres, Sonia-Sophie Courdeau parle du « goudron » de son enfance. La métaphore expliquée a impressionné Janie Renée. « Je me suis dit : pour toutes les femmes qui ne sont pas capables de nommer cette affaire-là, il y a quelqu’un qui l’a fait. »

Nafoussiatou Tuo est l’invitée du troisième épisode. Gracieuseté Nathalie Nadon

Pour Nathalie Nadon, il était important que le balado soit lumineux. « La violence sous toutes ses formes, mais particulièrement envers les femmes et les filles, est encore taboue. Les gens ont peur de mettre des mots sur ce qui arrive, ou alors ça fait trop de sensationnalisme. »

Pour les invitées, cette prise de parole fait partie du processus de guérison, comme l’explique Janie Renée. « On ne partage pas assez. On n’en parle pas assez. C’est toujours en circuit clos, à nos copines proches » ou dans des thérapies et groupes d’aide, par exemple. Elle souligne que les participantes « ont toutes dit qu’elles ont plus ou moins souffert de ne pas avoir eu l’occasion d’en parler avant. »

Une trame sonore réfléchie

L’image sonore du balado a été composée par Louis-Philippe Gallant et Janie Renée. Des extraits de chansons servent aussi de ponts entre les segments. Il fallait alors sélectionner des œuvres qui appuyaient les propos sans les alourdir.

Le choix de certains artistes était aussi influencé par une autre ambition, souligne Nathalie Nadon. « C’était important pour nous d’essayer d’avoir le plus de musique franco-ontarienne. Bien que ce soit un projet universel, c’est quand même un produit qui est fait ici, en Ontario. C’était important pour nous de mettre en valeur les artistes d’ici. »

Besoin d’alliés

Les deux productrices espèrent également que les hommes prêteront l’oreille. « C’est un problème de société, pas juste un problème de femmes. Alors il ne faut pas juste en parler au féminin », implore Janie Renée.

Elles espèrent déclencher de franches conversations. Car on ne sait souvent pas qui, autour de nous, vit de la violence.

Nathalie Nadon précise : « Quand on pense à la violence faite aux femmes, on pense beaucoup au viol. Mais ce qu’on découvre dans le balado, c’est la violence familiale, le dénigrement, les micro-agressions, etc. »

La série balado sera accessible sur la plateforme YouTube dès le 7 décembre. Crédit image : Marie Roques

Le balado Des mots sur des maux sera accessible à compter de ce jeudi. Un événement de lancement aura lieu au Liberty North de Barrie de 18 h 30 à 20 h 30.