Des professionnels de la santé mentale racontent la pandémie

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L’isolation sociale peut avoir des effets néfastes sur la santé mentale des Ontariens. Alors que les consignes de santé publique ne permettaient plus les séances de consultation face à face, les professionnels de la santé ont dû adapter leurs services pour répondre à la demande.

Depuis le 13 mars, Carmel Girouard, une travailleuse sociale inscrite qui a sa pratique privée à Sudbury, offre ses services en vidéoconférence. Le virage numérique a ouvert bien des portes, dit-elle

 « Ça m’a permis d’offrir des services à des gens que je n’aurais pas vus autrement », explique Mme Girouard. « Il y a les gens qui sont plus gênés d’avoir à rencontrer quelqu’un en personne, mais qui se sentent soulagés de le faire par appel vidéo. »

« Au début, j’étais sceptique des séances virtuelles », avoue Myriam Gagnon, une psychologue à Orléans. « J’étais préoccupée que je ne serais pas capable d’offrir la même qualité de traitement. »

Elle se dit toutefois surprise de l’efficacité du média.

« Sans la crise, je n’aurais sûrement pas été portée à explorer cette avenue. Maintenant, j’ai l’impression que je vais continuer avec cette modalité de service si c’est dans l’intérêt du client. »

Maintenant que les séances de thérapie peuvent reprendre dans leur forme traditionnelle, Mme Girouard dit aussi qu’elle poursuivra néanmoins d’offrir des services virtuels.

« Des fois ça prend une crise pour voir comment on peut innover », note-t-elle. « Si ça peut aider les gens, je ne vois pas pourquoi j’arrêterais. »

Mme Girouard explique de plus que ses patients présentent des difficultés différentes depuis le début de l’isolation physique.

« La première chose qu’on remarque, c’est que la demande pour la thérapie maritale a augmenté », affirme-t-elle.

« Ce n’est pas surprenant. Certains problèmes peuvent facilement passer inaperçus lorsque les gens sont occupés chacun de leur côté et ne se voient que quelques heures par jour. Mais lorsqu’ils se retrouvent ensemble en isolation, ces problèmes font surface. »

Elle note aussi une plus forte demande pour des services aux adolescents et pré-adolescents.

« Beaucoup d’entre eux n’ont plus de contact personnel avec leurs amis », élabore-t-elle. « Ils se retrouvent à la maison ou sur les médias sociaux, ce qui peut accentuer leur anxiété. »

Passer plus de temps à la maison permet aussi aux parents de remarquer des problèmes qui passaient autrement sous le radar, nuance-t-elle.

Les plus démunis passent entre les mailles

Le président sortant de l’Association des psychologues de l’Ontario, Dr Sylvain Roy, constate que le virage virtuel a été un grand succès.

« En 2018, à peu près 25 % des psychologues de l’Ontario avaient une pratique virtuelle », rappelle-t-il. « Deux ou trois semaines après le déclenchement de l’épidémie, c’était maintenant 75 % à 80 %. »

Les pratiques privées s’en sortent relativement bien, note-t-il. Toutefois, en tant que neuropsychologue au Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), il souligne que tous les services de santé mentale ne sont pas aussi accessibles.

« Au CAMH, tous les services considérés non urgents ont cessé du jour au lendemain au mois de mars », raconte-t-il. « Les gens les plus vulnérables comme les sans-abri ont subi une interruption de service. Ce ne sont pas des gens qui ont les moyens de se payer des psychologues dans le secteur privé. »

Même en ce qui concerne les services essentiels, les salles d’urgence ont été bien moins achalandées, souligne Dr Roy, par crainte qu’elles soient des endroits dangereux.

« On remarque qu’il y a des gens qui souffrent, mais puisqu’ils ne peuvent pas sortir de la maison, ils utilisent moins de services cliniques. »

Les gens se tournent donc davantage vers d’autres formes de services.

« Les centres d’appel comme Jeunesse j’écoute ou 211 ont remarqué une augmentation du taux d’appel qui touchent à la santé mentale », note le neuropsychologue.

« Chez les personnes âgées, on a constaté une augmentation de 1 000 % du nombre d’appels par rapport à l’an dernier. »

Vivre la pandémie avec une maladie chronique

En tant que psychologue de la santé, la Dre Mélanie Joanisse voit bien des patients qui ont des problèmes de santé chroniques.

« J’aide des gens qui se remettent du cancer, qui ont des problèmes cardiaques, respiratoires ou gastro-intestinaux », explique la psychologue qui travaille à l’hôpital Montfort en plus d’avoir une pratique privée à Orléans. « C’est une population particulièrement vulnérable à la COVID-19. »

Au début de la pandémie, cette vulnérabilité a été une source d’anxiété pour bien de ses patients, raconte-t-elle. Alors que la population générale accueille le déconfinement avec enthousiasme, la Dre Joanisse constate une résurgence de l’anxiété de ses patients.

« Il y a maintenant une crainte que les gens qui n’ont pas de problème de santé chronique soient moins vigilants », explique-t-elle. « Beaucoup de mes clients se demandent si les gens respecteront tout autant les normes de distanciation sociale. »

Simplement aller à l’épicerie peut générer énormément d’anxiété pour les gens plus à risque.

« Ces conditions chroniques ne sont souvent pas apparentes », ajoute-t-elle. « On se dit souvent que quelqu’un n’est pas vulnérable parce qu’il est jeune et semble en santé à première vue, mais ce n’est pas nécessairement le cas. »

Lors du confinement, la Dre Joanisse a aussi rédigé un guide de soutien psychologique pour les fournisseurs de première ligne.

« L’idée de ce manuel m’est venue après deux jours de surcharge d’informations », explique-t-elle. « L’idée était de rédiger un livre qui était vraiment pour les professionnels de la santé en première ligne qui regroupe les ressources essentielles pour les aider à traverser la pandémie. »

Si l’objectif initial était de faire une courte fiche d’information, la tâche s’est rapidement transformée.

« Je me suis laissé emballer », explique-t-elle un riant. « Ça a donné un manuel de 56 pages. »