Dialogue de sourds avec Air Canada
OTTAWA – Pointé du doigt par le commissaire aux langues officielles du Canada dans son rapport spécial du 7 juin, le transporteur aérien Air Canada a défendu sa politique de bilinguisme devant les membres du comité permanent des langues officielles, mercredi 15 juin.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
« Nous sommes fiers de notre capacité à servir nos clients dans la langue de leur choix. Nous soignons notre bilinguisme, car nous estimons qu’il s’inscrit dans le cadre de l’attention soutenue que nous accordons à l’excellence du service clientèle. Enfin, le bilinguisme fait partie de notre culture d’entreprise, et il me tient personnellement beaucoup à cœur. (…) Nous avons été très déçus en lisant, mardi dernier, le rapport spécial déposé par le commissaire aux langues officielles lequel n’a pas été partagé avec nous auparavant. Nous sommes en désaccord avec les conclusions du commissaire ainsi qu’avec le régime modifié qu’il propose », a débuté le président et directeur général d’Air Canada, Calin Rovinescu, mettant ainsi la table à sa comparution devant le comité permanent des langues officielles.
Visiblement agacé par les conclusions du rapport spécial de Graham Fraser, En route vers une conformité accrue d’Air Canada grâce à un régime d’exécution efficace, M. Rovinescu s’est dit frustré.
« Le rapport du commissaire aux langues officielles est décourageant pour nous et pour nos employés dont les efforts ne sont pas reconnus. »
Le commissaire aux langues officielles a confié le mandat aux parlementaires de traiter le problème qu’il juge récurrent du manquement d’Air Canada à ses obligations linguistiques, disant avoir tout essayé de son côté.
« Il faut éviter de confondre les anecdotes et les faits. Les faits démontrent que nos progrès sont réels et stables. Nous faisons des efforts et continuons à en faire. Mais il faut être réaliste, il y aura toujours des plaintes car cela ne dépend pas toujours de notre volonté », s’est défendu M. Rovinescu, s’appuyant sur les résultats du sondage mené par Ipsos Reid, en 2016, auprès de plus de 5300 clients d’Air Canada indiquant que 94% d’entre eux étaient globalement satisfaits ou extrêmement satisfaits du service offert dans la langue officielle de leur choix.
Air Canada repousse les recommandations
Le commissaire aux langues officielles a proposé plusieurs pistes de solutions pour régler les problèmes de services en anglais et en français, notamment de faire en sorte que le commissaire dispose d’un pouvoir d’ordonnance qui lui permettrait d’exiger des mesures correctives et de sanctionner Air Canada, ou que soit mis en place un accord de conformité qui engagerait davantage Air Canada à respecter les recommandations du commissaire ou enfin, que le transporteur aérien puisse recevoir des amendes en cas de non-respect de ses obligations ou des sanctions administratives pécuniaires ou encore, verser des dommages et intérêts en cas d’infractions à certaines dispositions de la Loi sur les langues officielles.
Mais aucune ne trouve grâce aux yeux du PDG d’Air Canada, si ce n’est celle proposée par la compagnie elle-même et citée par M. Fraser qui consisterait à soumettre tous les transporteurs aériens canadiens aux mêmes obligations linguistiques.
« On fait plus que toutes les entreprises du secteur privé pour offrir des services bilingues au Canada. Nous sommes un chef de file dans le domaine. Mais c’est une industrie complexe et nous pensons qu’il est temps d’évoluer et que toutes les compagnies soient soumises aux mêmes règles. »
Le PDG souhaiterait qu’un groupe d’étude spécial sur l’état du bilinguisme dans l’industrie soit mis en place pour réfléchir à cette question, composé des intervenants de l’industrie du transport aérien, dont Air Canada, les autres compagnies aériennes canadiennes, les autorités aéroportuaires, l’Administration canadienne de la sécurité du transport aérien, le nouveau commissaire aux langues officielles, l’Office des transports du Canada et des représentants du Ministère des transports.
Rappel à l’ordre
Dans des échanges assez musclés, le PDG d’Air Canada s’est fait rappeler à l’ordre par plusieurs députés, dont le libéral Nicola Di Lorio.
« Ce sont aux parlementaires de dire et de décider si les lois doivent être changées et ce sont aux entreprises de s’y conformer! », a-t-il lancé.
Le porte-parole aux langues officielles du Parti conservateur du Canada (PC), Bernard Généreux, a rappelé la compagnie aérienne à ses obligations.
« Air Canada n’est pas une entreprise comme les autres et sa privatisation comprenait certaines obligations, notamment linguistiques. »
Dépitée, la députée conservatrice Sylvie Boucher a cité à M. Rovinescu sa dernière expérience avec le transporteur aérien lors d’un vol Montréal-Vancouver pour se rendre au congrès du Parti conservateur, en mai.
« Comment se fait-il qu’en 2016, il soit encore impossible de demander un verre d’eau en français sur un vol d’Air Canada? Qu’est-ce que vous ne comprenez pas de vos obligations? », a-t-elle questionné. Et de poursuivre : « Ça m’agace, année après année, de vous voir toujours sur la défensive quand on essaie de vous faire respecter la loi sur les langues officielles à laquelle vous êtes soumis! »
Le PDG d’Air Canada a tenu à se défendre.
« Nous respectons la loi, mais en matière de bilinguisme, ce n’est pas tout noir ou tout blanc. C’est un processus compliqué. »
Reconnaissant les efforts de la compagnie, le député conservateur John Nater s’est dit préoccupé.
« Je suis préoccupé par l’attitude d’Air Canada qui semble considérée ses obligations linguistiques comme un fardeau. »
La libérale, Linda Lapointe, n’a, pour sa part, pas mâché ses mots.
« Je trouve ça épouvantable et frustrant comme francophone qu’il soit encore difficile de recevoir efficacement du service en français sur les vols d’Air Canada! »
Projet de loi à venir?
À la sortie de sa comparution, M. Rovinescu s’est dit satisfait de la conversation avec les députés, même s’il ne s’est arrêté que très brièvement pour parler aux médias présents. Plus loquaces, les députés semblaient quant à eux déterminés à poursuivre le travail du commissaire aux langues officielles.
« Ce que je comprends c’est qu’Air Canada fait des efforts, mais que malgré ces efforts, il reste des problèmes et ce même si la compagnie est assujettie à la Loi sur les langues officielles depuis près de trente ans. Il faut arrêter de tergiverser et passer à l’action. J’ai déposé une motion en huis clos en ce sens. Les recommandations du commissaire sont pertinentes, elles devraient être appliquées », a expliqué M. Généreux à #ONfr.
Son homologue néodémocrate, François Choquette a lui aussi déposé une motion proposant d’étudier les recommandations contenues dans le rapport spécial de M. Fraser pour ensuite déposer un projet de loi au plus vite.
« Air Canada ne semble pas prêt à un compromis avec le commissaire aux langues officielles. J’ai déposé une motion pour que le comité étudie les recommandations de M. Fraser, qu’on agisse et qu’on les fasse appliquer! Je suis toutefois surpris que le ministère du Patrimoine ne soit pas déjà entré en contact avec Air Canada pour s’inquiéter de la situation après le dépôt du rapport de M. Fraser. »