Difficile de concilier le travail à la maison avec les enfants
La pandémie de COVID-19 rime avec télétravail pour de nombreux Ontariens. Beaucoup d’entre eux soulignent les difficultés de concilier tâches professionnelles et parentales.
« Il serait naïf de penser que le télétravail, c’est juste travailler de la maison en évitant le trafic. Les enfants sont là, alors comment on s’organise? »
Responsable du Laboratoire de recherche sur les relations enfants-parents et leur environnement, le professeur à l’École de psychologie de l’Université d’Ottawa, Jean-François Bureau résume bien la situation de nombreux parents depuis mi-mars.
« Ça fait des journées surchargées par rapport à la normale. Je commence très tôt le travail pour pouvoir aider ma fille dans la journée. Cet après-midi, j’ai passé deux heures avec elle sur un projet d’école. Mais je me compte chanceuse de ne pas vivre l’insécurité de beaucoup de personnes par rapport à leur emploi », explique Nadia Simard, fonctionnaire fédérale d’Embrun, mère de deux filles de 16 et 18 ans.
Sa situation peut paraître plus simple, ses enfants étant plus vieux. Mais, explique M. Bureau, chaque cas comporte des défis.
« À deux ans, un enfant demande une supervision constante, mais un ado a des besoins plus émotifs du fait qu’il ne peut pas voir ses amis. »
Une analyse que confirme Mme Simard.
« La plus vieille est à un âge où on passe beaucoup de temps avec ses amis. Là, elle est obligée de rester à la maison, ce n’est pas facile, alors on essaie de lui apporter un support moral. Nous, on n’a pas le droit d’avoir des sauts d’humeur… »
Des employeurs pas toujours flexibles
Mère monoparentale d’une petite fille de trois ans, Stéphanie Lepage, fonctionnaire fédérale d’Orléans, a eu bien du mal à faire admettre sa nouvelle réalité à son employeur.
« Au départ, il s’étonnait que je ne parvienne pas à être aussi productive. Ma fille n’est pas à un âge où elle est autonome, je ne peux pas simplement la laisser devant la télé. J’ai essayé de faire mes journées complètes avant que ma fille se lève, puis le soir. Mais je sentais que je me brûlais. »
À force d’insister auprès de son employeur, la situation s’est améliorée. Mais le quotidien reste difficile à gérer.
« J’ai moins de temps pour moi. Le soir, je travaille jusqu’à 22h, je me couche et ça recommence. Je priorise ma famille, mais ça m’inquiète de ne pas savoir combien de temps ça va durer. »
Parents et professeurs à la fois
Mère de deux enfants de 11 et 17 ans, Sylvie Roy, de Hearst, est remontée contre l’école.
« S’occuper du quotidien, ça va, mais l’école à la maison, c’est impossible! Un enfant de 11 ans, il faut l’aider, le motiver… Ça ne fonctionne pas du tout! C’est beaucoup trop demandant pour les parents et ce ne sont pas les meilleures conditions pour apprendre », juge la responsable du registrariat de l’Université de Hearst.
« J’espère que le ministère de l’Éducation et les conseils scolaires vont repenser le système d’ici l’automne si les enfants doivent rester à la maison. »
Si elle reconnaît que la situation n’est pas toujours facile, Farah Joheir Farhat, consultante en immigration à son compte, à Windsor, y voit également de bons côtés.
« Avant, tout était plus rapide, routinier. Entre l’école, les activités, je ne voyais pas mes enfants. Là, j’ai décidé de les prioriser et de m’organiser autour d’eux. Résultat, je profite d’un temps de qualité que je n’avais pas. »
Son conjoint étant anglophone, c’est elle qui s’occupe de l’école à la maison.
« J’ai trouvé un système en demandant à mes enfants quand ils sont plus à l’aise de travailler. On fait ça le matin, puis l’après-midi, je commence ma journée. »
Cette solution n’est pas sans sacrifice, reconnaît-elle, puisque souvent, quand son mari rentre à 17h, c’est elle qui se dirige vers son bureau. Cet été, tous deux envisagent de prendre tour à tour leurs vacances pour s’occuper de leurs enfants de sept et neuf ans.
Frustrant pour les parents
Mère de quatre enfants âgés de cinq à 10 ans, Magali Bouhours et son mari, à Toronto, ont fait appel à une gardienne une partie de la journée.
« On a la chance de pouvoir le faire, mais comme les enfants savent qu’on est là, ils viennent nous voir quand ils ont besoin de quelque chose. L’employeur de mon mari maintient ses attentes envers lui. Le mien est beaucoup plus compréhensif. Mais j’ai l’impression de tout faire moins bien : je dois constamment faire attendre mes enfants et repousser les échéances au travail. J’essaie de faire au mieux, mais c’est stressant et frustrant. »
À l’approche de l’été, le stress est d’autant plus important.
« On n’a pas les moyens de payer une nourrice à temps plein. Avant, on avait nos parents qui venaient de France pour une ou deux semaines, mais là, ce n’est pas possible. Quant aux camps d’été, on ne sait pas si on va trouver de la place… »
Être indulgent
Face à toutes ces situations, M. Bureau invite les parents à faire preuve d’indulgence envers eux-mêmes.
« Ce n’est pas le temps de vouloir être l’employé ou le parent de l’année. Ils doivent s’enlever de la pression. Pour les enfants, ça peut être positif de leur faire comprendre qu’on n’est pas toujours disponible. Un enfant qui s’ennuie devient créatif et ça peut lui apprendre à mieux se connaître. »
Le professeur invite les parents à mettre en place une routine.
« On le voit dans les garderies, tout est très structuré. Il faut donc reproduire la même chose. Pour les plus grands, il faut les responsabiliser et aussi être sensible à ce qu’ils vivent », dit ce père de famille.
La clé, ajoute-t-il, c’est aussi le partage des tâches, d’autant plus essentiel.
« On pensait être rendu en 2020, mais on voit que les vieux réflexes reviennent vite, y compris chez certains employeurs qui comprennent moins qu’un homme aussi doit s’occuper de ses enfants. »