Doug Ford et les francophones : l’impasse politique

Le premier ministre Doug Ford, et la ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney. Capture écran #ONfr

[ANALYSE]

TORONTO – Et maintenant? La question est sur toutes les lèvres après la grande réussite des manifestations un peu partout dans la province. Mais la crise linguistique la plus intense en Ontario depuis SOS Montfort s’apprête à entrer dans une seconde phase. Une période moins belliqueuse, où les deux parties seront plus dans l’attente.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Outre la centaine de drapeaux verts et blancs déployés devant les bureaux des députés samedi dernier, un pic de tension entre le gouvernement progressiste-conservateur et les francophones avait été atteint deux jours auparavant.

En cause : le départ soudain de la députée franco-ontarienne, Amanda Simard, du caucus progressiste-conservateur, mais surtout la rencontre entre Doug Ford et l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO). Une rencontre ratée, si l’on se place dans la perspective francophone.

Pouvait-on sérieusement espérer une volte-face complète du premier ministre de l’Ontario? Doug Ford avait sans doute offert le maximum à ses yeux par son recul très partiel du 23 novembre. Huit jours après avoir déclenché une révolte des francophones au Canada, le premier ministre tentait une ouverture. Comprendre ne plus supprimer le poste de commissaire aux services en français, mais l’intégrer au sein du bureau de l’ombudsman. Un geste bien trop mince pour l’AFO….

En se débarrassant de François Boileau, Doug Ford n’avait certainement pas anticipé cette levée de boucliers. Dans les coulisses, on dit même que le chef progressiste-conservateur regretterait aujourd’hui ce renvoi.

Un recul complet difficile pour Ford

Difficile tout de même pour lui de revenir complètement en arrière. D’une, il s’agit pour le premier ministre de ne pas perdre la face et soigner son image d’homme de principe et intransigeant. Secondo, accorder un recul complet aux francophones, c’est risquer d’attiser les attentes d’autres groupes échaudés eux-aussi par les cinq premiers mois du gouvernement. Pensons seulement aux militants environnementaux.

Pour l’organisme porte-parole des Franco-Ontariens, l’objectif de cette deuxième phase de la crise linguistique sera de continuer à mette la pression sur le gouvernement. Comment? Par quelles actions? On ne sait pas trop encore.

Doug Ford, lui, table sur le temps des fêtes et la pause hivernale de deux mois à Queen’s Park pour que la crise ralentisse un peu. Un fait très probable. Dans tous les cas, c’est donc l’impasse politique qui va prévaloir dans les prochaines semaines.

Des bons mots, mais pas encore d’action du fédéral

Pour sortir de l’ornière, l’intervention du gouvernement fédéral pourrait être salutaire. Les mots de soutien adressés aux Franco-Ontariens par le gouvernement de Justin Trudeau n’ont pas été suivis d’actions concrètes. Tous les chefs fédéraux sont même d’accord avec le principe de financer l’Université de l’Ontario français à hauteur de 50 %. Mais peut-être par souci de respecter les juridictions, personne ne le propose clairement à M. Ford.

L’idée n’est pas bête sur le papier. C’est d’ailleurs grâce à un financement en partie fédéral que la Cité collégiale et le Collège Boréal avaient ouverts respectivement en 1990 et 1995. Le hic, si le fédéral peut financer ce qu’il désire, les provinces sont en droit de ne pas accepter cette somme. Et si l’on se réfère aux dires de Carol Jolin, le premier ministre n’était pas franchement ouvert à l’idée de voir Justin Trudeau mettre ses pattes dans le financement postsecondaire.

Les soirs de fête précèdent souvent les lendemains de gueule de bois. À l’impressionnant chiffre de plus 14 000 manifestants de ce samedi devrait succéder un pénible statu quo.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 3 décembre.