Doug Ford met fin au rêve de l’Université de l’Ontario français
TORONTO – Énorme coup de théâtre pour l’Ontario français. Le projet de l’Université de l’Ontario français est abandonné. En deux lignes, dans son énoncé économique dévoilé ce jeudi, le gouvernement de l’Ontario a mis fin au plus gros projet de l’Ontario français de ces dix dernières années.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
« À la lumière des défis financiers dont elle a hérité, la province a annoncé, le 23 octobre 2018, qu’elle ne financerait pas l’agrandissement de trois campus dans la région du grand Toronto (RGT). De plus, un examen plus détaillé de la situation financière de la province a amené le gouvernement à annuler les plans de la création d’une nouvelle université de langue française. »
L’Université de l’Ontario français (UOF) avait pourtant franchi un grand pas au printemps, avec la confirmation d’un budget de 83,5 millions de dollars sur sept ans par le précédent gouvernement libéral. Ce budget comprenait huit millions dès 2017-2018, dix millions l’année suivante et 25 millions de dollars en 2020-2021. Un recteur par intérim avait même été élu en la personne de Normand Labrie, début juillet. Ce dernier confirmait récemment qu’il ne s’attendait pas à une somme équivalente.
En juillet dernier, le gouvernement Doug Ford avait pourtant rassuré les Franco-Ontariens en confirmant la mise sur pied d’une université de langue française. Une annonce qui laissait augurer quelques espoirs. Et même si les militants ne s’attendaient pas forcément à une somme équivalente à celle promise par les libéraux, peu imaginaient un tel renversement de situation.
Une décision logique
Le politologue à l’Université d’Ottawa, Martin Normand, avoue sa surprise.
« On se doutait qu’il n’y aurait sans doute pas le même niveau d’investissement que souhaité, mais pas que le projet serait totalement abandonné! Les progressistes-conservateurs étaient sortis en juillet pour rassurer les Franco-Ontariens, c’est hypocrite! »
Mais pour le politologue, Peter Graefe, de l’Université McMaster, le gouvernement Ford fait preuve d’une certaine logique.
« Le gouvernement avait déjà annoncé l’annulation des projets de campus de Brampton, Markham et Milton, il aurait donc difficilement pu justifier politiquement le fait d’aller de l’avant avec celui de l’Université de l’Ontario français. » – Peter Graefe, politologue
L’annonce de juillet démontre plutôt, selon lui, le manque de connaissance des enjeux francophones de la part de l’entourage du premier ministre.
« Une fois élus, ils ont voulu rassurer en disant un peu n’importe quoi, mais il est évident qu’ils ne connaissaient pas bien le dossier de l’université de l’Ontario français. »
Responsabilité partagée
Le projet de l’université franco-ontarienne ne date pas d’aujourd’hui. À la fin des années 80, les revendications avaient de nouveau battu leur plein, mais l’idée avait finalement été abandonnée avec l’arrivée au pouvoir du Nouveau Parti démocratique (NPD), en 1990. Le projet avait été relancé, en 2013, par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) et la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne lors des États généraux sur le postsecondaire en Ontario français.
Sous le choc, la présidente de la FESFO, Lydia Philippe, a partagé sa déception.
« En tant que jeune élève francophone qui postule actuellement à l’université, j’avais, hier, l’espoir de pouvoir y transférer en 2020, mais c’est officiellement un rêve détruit. »
Les coprésidences du RÉFO, Kelia Wane, Marie-Pierre Héroux et Radi Shahrouri, ont pour leur part rappelé le gouvernement à ses obligations.
« Ce projet découlait d’un besoin clair soulevé par la communauté partout en province. (…) L’annonce faite aujourd’hui démontre l’incompréhension de notre gouvernement des besoins et attentes des électeurs francophones, et nous aimerions rappeler à ce dernier qu’il a le mandat d’assurer non seulement l’atteinte des attentes de la majorité, mais également la protection des minorités, incluant les minorités de langue officielle. »
M. Normand n’hésite pas à blâmer la ministre déléguée aux Affaires francophones, Caroline Mulroney et son adjointe parlementaire, Amanda Simard, dans ce dossier.
« On comprend mieux pourquoi elles sont restées silencieuses sur les intentions du gouvernement, sauf pour vendre la tournée des entrepreneurs francophones dont on ne sait pas à quoi elle va vraiment servir. Soit Mme Mulroney l’a vraiment échappée, soit elle est complice de cette décision. Ça va être très difficile pour elle de la justifier. »
Mais selon M. Graefe, les libéraux ont eux aussi leur part de responsabilité.
« Ils ont été au pouvoir pendant 15 ans et auraient pu faire avancer le dossier davantage pour que ça ne devienne pas un enjeu de campagne électorale susceptible d’être revu en cas de changement de gouvernement. »
De mauvais augure
Les deux politologues s’entendent que les perspectives sont plutôt sombres pour les Franco-Ontariens.
« Il est clair que le gouvernement ne pouvait supprimer ce projet sans abolir le poste de commissaire. Pour moi, les deux annonces sont liées. Désormais, il n’y a plus personne au sein de l’appareil provincial pour demander des explications. C’est de très mauvais augure pour la modernisation de la Loi sur les services en français qui est souhaitée par l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario. »
« Le gouvernement aura du mal à remettre en cause la Loi sur les services en français, à cause de l’arrêt Montfort, mais il faut oublier la modernisation. » – Martin Normand, politologue
M. Graefe ne voit pas dans les décisions du gouvernement un caractère anti-francophone, mais plutôt un nouveau paradigme.
« C’est un gouvernement qui veut faire des économies un peu n’importe où et qui considère les Franco-Ontariens comme un groupe d’intérêt parmi les autres, pas comme une communauté constituante de la province. Il est donc plus facile de couper dans ce genre de projets qui ne sont pas toujours bien vus par sa base électorale. »
Cet article a été mis à jour le jeudi 15 novembre, à 18h47.
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