Droits linguistiques : les aéroports canadiens à nouveau rabroués par une cour fédérale
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OTTAWA — Le Franco-Ontarien Michel Thibodeau a remporté une autre manche dans ses batailles judiciaires contre les aéroports du pays pour des violations de droits linguistiques, cette fois-ci devant la Cour d’appel fédérale.
Mardi, le tribunal a maintenu deux jugements connexes favorables au Franco-Ontarien d’Ottawa qui alléguait diverses violations de ses droits linguistiques.
Le premier jugement implique l’Administration des aéroports régionaux d’Edmonton et le second, l’Administration de l’Aéroport international de St. John’s. Dans les deux cas, M. Thibodeau alléguait que les communications sur les réseaux sociaux et sur leurs sites web ou encore des slogans aux aéroports étaient seulement disponibles en anglais et que cela violait la Loi sur les langues officielles (LLO).
S’appuyant sur des enquêtes réalisées par le Commissariat aux langues officielles (CLO) lui étant favorables, Michel Thibodeau a poursuivi les deux administrations aéroportuaires dans les dernières années pour violations des droits linguistiques. Il avait remporté ses deux batailles en recevant en dommage et intérêts 5 000 $ dans chaque cause. Au total, il aura reçu près de 20 000 $ avec le remboursement des frais d’avocats. Mais les deux instances aéroportuaires avaient porté ces décisions rendues en 2022 en appel.
Elles ont été rejointes par les 17 administrations portuaires au Canada et les 100 aéroports au pays, via leurs associations nationales respectives, qui sont intervenues dans l’affaire notamment pour contester l’octroi de dommages et intérêts.
Mais, dans une décision rendue mardi par les juges de la Cour d’appel fédérale, Richard Boivin, René LeBlanc et Nathalie Goyette, les appels des autorités aéroportuaires ont été rejetés, donnant raison au Franco-Ontarien sur toute la ligne.
Les administrations aéroportuaires ont notamment plaidé devant les juges que seuls les aéroports étaient assujettis à l’obligation d’offrir des communications dans les deux langues officielles et non les sièges sociaux des aéroports en question, un argument qualifié de « faible » dans le jugement.
Elles plaidaient aussi que leurs obligations linguistiques en matière de service au public devraient seulement s’appliquer aux utilisateurs qui vont d’un aéroport à l’autre. Elles argumentaient donc que M. Thibodeau ne devrait pas toucher des dommages et intérêts, car celui-ci n’étant pas un voyageur, il n’aurait pas subi de violations personnelles de ses droits.
« Une rentabilisation des droits linguistiques »
Entre 2016 et 2021, l’homme a déposé 410 plaintes contre des autorités aéroportuaires et 158 contre d’autres instances fédérales. En février 2024, il avait remporté une bataille judiciaire contre l’Aéroport international Pearson de Toronto, qui avait été condamné à lui verser 6 500 $.
Avec ses plaintes au CLO, l’Aéroport d’Edmonton juge que M. Thibodeau « a trouvé une façon de rentabiliser ses droits linguistiques » et les dommages et intérêts qu’il reçoit « servent une seule fonction, l’amélioration de sa situation financière ». L’Aéroport d’Edmonton juge notamment que le versement de dommages et intérêts par la Cour fédérale « récompense la décision de (M. Thibodeau) de commencer un procès judiciaire ».
Mais les deux jugements de la Cour d’appel rejettent les arguments du duo d’institutions fédérales qui « minimise les efforts requis » pour respecter le bilinguisme officiel, peut-on lire dans l’un des verdicts. La Cour d’appel fédérale souligne que les nombreuses plaintes déposées par Michel Thibodeau « tendent généralement à démontrer qu’il existe un problème au sein de plusieurs administrations aéroportuaires dans l’ensemble du Canada, comme par exemple à St. John’s ».
Le verdict sur l’Aéroport d’Edmonton conclut que « l’indifférence » de celle-ci combinée aux plaintes de M. Thibodeau « justifie l’octroi de dommages et intérêts afin que les administrations aéroportuaires prennent au sérieux leurs obligations linguistiques imposées par la LLO ».
« Confrontés à la résistance d’une institution à respecter ses obligations linguistiques en vertu de la LLO, les tribunaux ont le devoir de rassurer non seulement les minorités de langues officielles, mais également le public de l’importance d’assurer le respect de la LLO », est-il indiqué dans le jugement.
Dans le jugement portant sur l’Administration de l’aéroport international de St. John’s, les juges Leblanc et Boivin considèrent que l’instance fédérale « aborde à tort les droits linguistiques comme une mesure d’accommodement plutôt que comme une obligation juridique qui lui incombe ».
Les trois juges conviennent donc que dans les deux causes « les conclusions de la Cour fédérale ne comportent aucune erreur manifeste et dominante qui justifierait l’intervention de notre Cour », écrivent-ils. La juge Nathalie Goyette a toutefois démontré un avis dissident à ses deux autres collègues dans le jugement de l’Administration aéroportuaire de St. John’s arguant que celle-ci n’avait pas violé son obligation de communiquer avec le public dans les deux langues officielles.
Le commissaire aux langues officielles, qui était intervenu aux côtés de M. Thibodeau dans le dossier, a d’ailleurs salué le verdict qui « aura sans aucun doute une incidence positive sur la manière dont je mène mes enquêtes et elle me permettra de mieux protéger les droits linguistiques du public voyageur ».