Du broadway franco-ontarien, ça mange quoi en hiver… 1998?
OTTAWA – Suite à trois ans d’anticipation, la compagnie In Vivo présentait hier l’un des premiers « broadway franco-ontarien » VACHES, the musical visible jusqu’au 8 octobre au Centre des Arts Shenkman. La pièce, qui prend place à Casselman lors de la tempête de verglas de 1998, porte un regard comique et touchant sur la réalité des fermiers et sur l’entraide en temps de crise.
Pour répondre à la question « Pourquoi un Broadway franco-ontarien? », le metteur en scène Dillon Orr s’est empressé de parler d’accessibilité. « Ça passe par la musique qui est une langue universelle », remarque-t-il.
Outre les chansons au rythme contagieux signées Brian St-Pierre, le metteur en scène de Windsor (Ontario) soulève aussi les multiples référents dans le texte, humoristiquement réfléchis par les auteurs Stéphane Guertin et Olivier Nadon, qui ne sont à son avis pas inconnus pour le public franco-ontarien.
« La pièce commence avec Julie (Geneviève Roberge-Bouchard) qui ne veut pas reprendre la ferme familiale depuis 200 ans. Le père fermier (Constant Bernard) doit faire un deuil de son mode de vie rural. […] J’ai moi-même vécu ça. Mes parents ont vendu notre ferme familiale, j’étais la quatrième génération mais personne chez nous ne voulait reprendre ça », conte-t-il.
« La façon dont les personnages communiquent est intrinsèquement franco-ontarienne », renchérit-il, faisant référence à une certaine « pauvreté linguistique » présente dans le dialecte de la pièce. M. Orr donne pour exemple l’une des scènes finales, où un fermier franco-ontarien et une restauratrice anglophone (Emma Ferrante) ne trouvent plus les mots pour décrire l’amour qu’ils ressentent l’un pour l’autre.
Il s’agit donc d’un choix conscient d’avoir conservé en anglais le musical présent dans le titre. « Oui, oui! On parle anglais même si on ne vit que pour la francophonie canadienne », insiste le metteur en scène.
Crise toujours d’actualité
L’histoire s’inspire de faits réels du passé. Elle met toutefois l’accent sur un sujet universel toujours d’actualité, à son avis : « l’entraide dans des moments de crise ».
« Ça va juste durer trois semaines », s’écrient les personnages en début de pièce, suite à l’annonce de la panne d’électricité qui s’avèrera dévastatrice. Ils ne sont pas les seuls qui seront soumis à l’arrêt forcé de leurs activités, puisque les acteurs les interprétant devront eux aussi cesser les répétitions en 2020, en raison de la pandémie.
Trois ans passeront avant que VACHES, the musical puisse enfin être présenté : « J’avoue que c’est très spécial d’avoir pratiqué un show aussi longtemps sans l’avoir présenté devant un public. Il y a évidemment une certaine pression qui vient avec ça », confie Geneviève Roberge-Bouchard, qui interprète entre autres Julie.
Celle qui fait partie du groupe ottavien Geneviève et Alain souligne malgré tout sa reconnaissance : « Je suis tellement en amour avec ce projet-là depuis le jour un de nos répétitions. On a tellement ri. [..] J’ai pleuré de rire à chaque jour de répétition. »
Francophonie et théâtre musical
« La grande majorité des comédies musicales qu’on voit, c’est des traductions », confirme Dillon Orr.
Le style, qui appartient davantage à la culture anglophone, connaît beaucoup moins de création originale dans la langue de Molière. Un fait confirmé par Geneviève, formée en Théâtre musical à l’Artishow de Gatineau puis au Collège Lionel-Groulx : « C’est rare qu’il y a une création de comédie musicale francophone qui se rend jusqu’au bout parce que ce sont d’énormes productions qui demandent beaucoup de budget. […] Faut que ça te tente! »
« Il y a une recette pour faire du broadway », remarque Dillon Orr, qui n’avait pas d’expérience avec ledit style avant VACHES. Celui qui a travaillé de concert avec la chorégraphe sudburoise Janie Pinard soulève les réflexes et conventions divergents en français comparativement à l’anglais dans les arts de la scène.
« La force du théâtre francophone, c’est qu’il repose beaucoup plus sur l’imagination et l’intelligence des spectateurs », ce qui explique notamment le choix du metteur en scène de faire interpréter à cinq acteurs un total de 27 personnages. « En français, on dit qu’on « assiste à une pièce de théâtre », parce que le public fait une grande partie du travail avec les acteurs sur scène », continue-t-il.
Dans cette optique, Dillon Orr entend qu’il a dû faire un travail constant avec son équipe pour jauger les propos de la comédie musicale : « Ça enlève la partition du public, qui doit toujours un peu compléter les scènes. Selon moi, c’est une grande tradition francophone qui n’existe pas vraiment en anglais, où on doit toujours tout dire cinq fois. »
VACHES the musical commencera sa tournée ontarienne après ses prestations au Centre des Arts Shenkman. Des vitrines et spectacles sont potentiellement à venir en Acadie puis dans l’Est ainsi que dans l’Ouest du Québec.
Emmanuelle Gingras