Écoles francophones en milieu minoritaire : les défis de l’intégration des immigrants
POINTE-DE-l’ÉGLISE – Deux professeurs du département des sciences de l’éducation de l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, publient un article sur une étude sur la capacité de l’école francophone en milieu minoritaire à accueillir des immigrants.
Malanga-Georges Liboy et Judith Patouma sont professeurs et chercheurs au département des sciences de l’éducation à l’Université Sainte-Anne. Leur article, intitulé L’école francophone en milieu minoritaire est-elle apte à intégrer les élèves immigrants et réfugiés récemment arrivés au pays? a été publié par la Société canadienne d’études ethniques dans le journal Canadian Ethnic Studies.
Auteur principal de l’article, le professeur Liboy fait remarquer d’entrée de jeu que le système d’éducation canadien n’a pas été conçu pour remplir un tel rôle.
« Ces écoles (francophones) avaient une mission spécifique : la préservation de la langue. Mais, à cause de leur masse critique, du déclin et du vieillissement de la population, elles ont ouvert les portes aux élèves immigrants. Normalement, ils (les élèves immigrants) ne devraient pas être là. D’après la Constitution et son article 23 (de la Charte des droits et libertés), ce sont seulement les ayants droit qui devraient suivre des cours dans le programme francophone en milieu minoritaire », fait-il remarquer.
Mais, dans les efforts déployés afin de préserver la langue française en milieu minoritaire, on intègre désormais de plus en plus de gens qui ne parlent ni l’une ni l’autre des deux langues officielles du Canada.
« Il y a des Syriens, qui ne parlent ni français, ni anglais, seulement l’arabe », ou encore « des Africains, des Latinos, les Chinois et autres Asiatiques ». Donc on voulait vérifier comment se passe l’intégration de ces élèves-là dans le système. Puisque, au départ, le but des écoles francophones ce n’était pas d’accueillir les élèves dont la langue maternelle n’était pas (le français) l’une des deux langues officielles du pays », souligne le professeur.
L’étude s’est faite auprès des principaux acteurs de cette intégration, incluant les enseignants et les parents immigrants récemment arrivés dans la région d’Halifax.
Un parcours migratoire traumatisant pour plusieurs
« Comme vous le savez, la mission du Conseil scolaire acadien provincial (CSAP), ce n’était pas d’avoir ces élèves-là. Mais on les a accueillis quand même. Ce sont des élèves qui arrivent avec des besoins spécifiques. Il y en a qui n’ont pas été dans le système scolaire pendant deux ou trois ans. Il y en a qui ont vécu la guerre, les bombardements, ou qui ont perdu des membres de leur famille », explique le professeur Liboy.
Les traumatismes vécus par ces enfants et leurs parents sont difficiles à imaginer pour ceux qui n’ont vu la guerre que sur des écrans de cinéma ou de télévision. Mais cette réalité fait en sorte que les réfugiés doivent avoir accès à des ressources particulières pour vraiment s’en sortir.
Or, des familles immigrantes arrivent au pays sans connaître ni l’une ni l’autre des deux langues officielles du Canada. Ainsi, les parents de ces familles ne peuvent pas participer au cheminement académique de leur enfant.
« Chaque jour, si vos enfants vont à l’école, on envoie les devoirs. Mais si les deux parents ne parlent pas français, c’est un gros problème pour l’enfant pour faire ses devoirs. Et pour le suivi aussi, puisque les parents aussi doivent parfois aller à l’école, parler avec des enseignants, participer aux activités, s’impliquer dans le comité des parents. Donc, il y a cette partie-là qui manque », constate le professeur Liboy.
Co-autrice de l’étude, Judith Patouma met en évidence le fait que l’intégration ne se limite pas à pouvoir communiquer dans la langue de sa communauté d’accueil.
« Au-delà de la barrière linguistique, il y a aussi la culture de l’école. Certains parents ne savent pas qu’il faut qu’ils participent à l’école, qu’ils soient partenaires. Il y a vraiment différents niveaux de barrière qui peuvent empêcher la réussite de l’intégration des parents et de l’élève dans les écoles », souligne la professeure Patouma.
« Donc au niveau de la médiation culturelle, il y a beaucoup d’informations à connaître sur l’histoire ou la trajectoire de l’immigrant et l’histoire du pays (d’origine) et les us et coutumes », fait-elle remarquer.
« Par exemple », poursuit-elle, « si un élève dans sa culture ne regarde pas un professeur dans les yeux, pour lui c’est un signe de respect, mais l’enseignant (nord-américain) peut le voir comme un signe d’irrespect. Donc juste là, on a besoin de connaître les cultures pour pouvoir s’approprier et puis pour que l’élève aussi puisse s’identifier à l’autre culture », précise-t-elle.
Selon elle, il faut aussi que la société d’accueil fasse des efforts afin de mieux connaître celles et ceux qui veulent s’y greffer.
« C’est vraiment très important cette idée de la culture d’accueil, comment la culture d’accueil doit aussi s’adapter et comprendre la culture des immigrants. Il doit vraiment y avoir un échange à ce niveau-là, et ça, c’est encore beaucoup de travail », reconnait la professeure.
Les auteurs de la recherche recommandent notamment la création de classes d’accueil pour les élèves qui n’ont pas pu fréquenter l’école pendant une année ou plus à cause d’un conflit armé, par exemple. Ils proposent aussi que les enseignants soient mieux formés pour comprendre les nouvelles cultures avec lesquelles ils entrent en contact. Ils préconisent par ailleurs le recours à des interprètes lors de rencontres entre parents et enseignants.