Éducation en français : au gouvernement Trudeau d’agir
OTTAWA – Quelques jours après la victoire de la communauté francophone de Colombie-Britannique devant la Cour suprême du Canada, les yeux sont tournés vers le gouvernement Trudeau qui tarde à se prononcer sur l’ajout de questions linguistiques au formulaire abrégé du recensement. L’enjeu : mieux dénombrer les ayants droit pour répondre aux besoins d’écoles francophones. Une tergiversation qui crée une certaine grogne dans le caucus libéral, alors que le temps presse.
« C’est une très bonne nouvelle pour ces communautés-là et pour notre pays. (…) Ça fait longtemps que les communautés nous disent que les provinces ne financent pas adéquatement les services qui leur sont dus et on espère qu’à partir de maintenant, les provinces vont mieux respecter les communautés linguistiques », commentait, vendredi, le premier ministre Justin Trudeau après la décision de la Cour suprême du Canada.
Mais après les paroles, il est temps pour son gouvernement d’agir, estiment les organismes de la francophonie canadienne.
« Autant les provinces que les communautés vont avoir besoin de chiffres précis pour faire respecter ce jugement. Ça fait des années qu’après chaque recensement, on explique qu’il manque des informations précises pour construire adéquatement les écoles dont nos francophones ont besoin. On en construit, et trois ans après, on se retrouve avec des portatives, car les besoins ont été mal évalués et que la demande est bien supérieure à celle qui avait été évaluée via le recensement. Le gouvernement a l’occasion de réparer ça et on espère que M. Trudeau va donner une directive claire en ce sens », résume le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Jean Johnson.
Les organismes francophones mettent la pression
Ce mardi, la Fédération des conseils d’éducation du Nouveau-Brunswick (FCÉNB), la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) et la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador (FFTNL) exhortent le gouvernement fédéral « à corriger une lacune grave ».
Dans un mémoire de 18 pages, les trois organismes expliquent l’importance de l’enjeu et remettent en cause les éventuels arguments de Statistique Canada pour ne pas répondre à cette demande, perceptibles dans les propos du statisticien en chef, Anil Arora, lors de sa comparution devant le Comité permanent des langues officielles le 12 mars dernier.
Même si l’institution fédérale n’a pas encore dévoilé sa recommandation au gouvernement, elle semblait plus favorable à inclure ces nouvelles questions uniquement dans le formulaire long du prochain recensement.
Une erreur, selon le député libéral Darrell Samson.
« Le formulaire long n’est rempli que par 25 % de la population et ne permet pas d’avoir des données assez fiables et précises pour les minorités qui sont éparpillées. Ça fonctionne pour la majorité, mais pas dans notre cas », explique l’ancien surintendant du seul conseil scolaire francophone de la Nouvelle-Écosse.
« On nous dit aussi que ça rendrait le formulaire court trop long et compliqué à remplir, mais seuls ceux qui ont dit être ayants droit auraient à y répondre. »
Grogne au sein du caucus
Si le gouvernement libéral a toujours insisté sur l’importance de respecter l’indépendance de Statistique Canada, M. Arora a répété à plusieurs reprises que dans ce dossier, la décision finale reviendra au gouvernement.
« On sait que ces questions seront au moins dans le questionnaire long », se réjouit M. Samson. « Mais ce que nous demandons, au sein du comité permanent des langues officielles et à l’interne, au sein du caucus libéral des communautés de langue officielle en situation minoritaire, c’est qu’elles soient dans le formulaire court. »
« Ça fait 38 ans qu’on attend! » – Darrell Samson, député libéral
Les élus libéraux de ce caucus ont informé le gouvernement de leurs recommandations et des discussions ont récemment eu lieu avec le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, Navdeep Bains, responsable de Statistique Canada, selon M. Samson.
« Venant du provincial, je vois l’importance de ce dossier. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité d’agir et d’aider les conseils scolaires, les provinces et les communautés à soutenir le développement des francophones minoritaires et des Anglo-Québécois », insiste la députée franco-ontarienne Marie-France Lalonde, qui se dit inquiète que la décision n’ait pas encore été prise, tout en reconnaissant que la COVID-19 a chamboulé l’agenda du gouvernement.
Dans les coulisses, plusieurs sources qui préfèrent rester anonymes ont toutefois confirmé que certains députés libéraux commencent à s’impatienter davantage. Ils mettent la pression sur le ministre Bains.
L’urgence d’agir
La balle est dans le camp du gouvernement et ces mêmes sources confirment une décision imminente.
Le temps presse, car, selon le statisticien en chef adjoint, Secteur du recensement, des services régionaux et des opérations, Stéphane Dufour, il faudrait commencer l’impression du prochain recensement « d’ici la fin du mois de juillet 2020 » pour ne pas avoir « beaucoup de problèmes logistiques ».
Interrogés sur le sujet, les ministres se sont faits avares de commentaires, préférant fournir des réponses convenues sur leur appui au bilinguisme et renvoyer la balle à la ministre des Langues officielles, Mélanie Joly et au ministre Bains.
Joint par ONFR+, le bureau de ce dernier a indiqué que la réponse du ministre n’avait pas changé depuis celle fournie quatre mois auparavant.
« Contrairement aux conservateurs de Harper, nous avons demandé à Statistique Canada de déterminer quels sont les meilleurs moyens de recueillir des informations de qualité afin d’énumérer les ayants droit. C’est pourquoi Statistique Canada travaille afin d’assurer que les données importantes sur les droits à l’éducation des minorités de langue officielle sont recueillies dans le cadre du recensement de 2021. »
Selon la réponse du gouvernement, la FCÉNB, la SANB et la FFTNL préviennent dans leur mémoire : elles pourraient se tourner vers les tribunaux.