Éducation sexuelle : différences surprenantes en français et en anglais
TORONTO – Le programme d’éducation sexuelle enseigné aux jeunes élèves franco-ontariens du primaire comporte de nombreuses différences avec celui de leurs compères anglophones. Les avis divergent sur les causes et l’impact réel de ces différences.
ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg
En 7e année, les élèves anglophones apprennent les méthodes de prévention contre les maladies transmises sexuellement. Il n’y a rien à ce sujet dans le curriculum francophone pendant cette même année scolaire. Les élèves de langue française doivent en effet attendre en 8e année avant de profiter des mêmes apprentissages.
Pendant ce temps, en 8e année, les anglophones vont aller plus loin et aborderont la question de la transmission du VIH, en plus d’apprendre les risques liés à une sexualité impliquant l’utilisation de drogues. En français, le sujet de la drogue est abordé pendant l’année scolaire, mais pas dans les contenus d’apprentissage reliés à la sexualité.
En 4e année, les jeunes anglophones seront en mesure « d’identifier les caractéristiques d’une relation saine ». En français, il n’est pas question de ce sujet. On se concentre plutôt sur les soins liés à l’hygiène corporelle.
Trois exemples parmi de nombreux autres des différences entre la version française et anglaise. Parfois, certaines sections sont introuvables en français, à d’autres moments les apprentissages se font avec une ou plusieurs années d’écart. À chaque année du primaire, la section des attentes d’apprentissage est aussi absente en français.
Des différences corrigées en 2015
Le programme actuellement enseigné a été sorti des boules à mites : le gouvernement Ford a ramené le cursus de 1998, se pliant ainsi aux demandes de certains groupes de parents fortement opposés à sa version 2015, qu’ils considèrent comme opposé à leurs valeurs.
À noter, la version originale du programme, datant de 1998, comportait aussi des différences linguistiques. Cependant, elles avaient été corrigées en 2015, alors que le programme d’éducation sexuelle était à peu près identique en français et en anglais. Par exemple, l’enseignement des méthodes de prévention aux maladies transmises sexuellement se faisait de la même façon en 7e année, tant pour les francophones que les anglophones. Le retour de l’ancien document ramène à l’avant-plan, les différences du passé.
« Pourquoi de telles différences? Selon moi, c’est parce que le gouvernement a dû réagir très vite. Il a décidé d’annuler celui de 2015, en août, juste avant la rentrée scolaire. Ça a été de l’improvisation. D’un point de vue de politique publique, ça ne fait pas de sens qu’il y ait autant de différences entre les deux versions », affirme la chercheuse Sarah Flicker de l’Université York, spécialisée en santé sexuelle.
Les différences constatées viennent amplifier la confusion actuelle entourant le programme d’éducation sexuelle, affirme Lauren Bialystok, chercheuse à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario (OISE) de l’Université de Toronto.
« C’est alarmant et un problème. Je ne sais pas comment on est arrivé à ces différences en français et en anglais. Mais avec le chaos créé par le gouvernement, les gens sont déjà mélangés sur ce qui se trouve dans le programme. Ça amplifie la confusion. Les professeurs sont mélangés », dit celle qui a collaboré à l’élaboration du programme d’éducation sexuelle de 2015.
Des différences parfois normales
Ce n’est pas rare de voir des différences dans les programmes scolaires des anglophones et des francophones dans certaines sphères d’études. Par exemple, en histoire, les francophones passent plus de temps à parler des pans de l’histoire de l’Ontario français. Mais dans le cas de l’éducation sexuelle, les différences observées par #ONfr étonnent plusieurs intervenants.
Stéphane Lévesque de l’Université d’Ottawa est spécialiste du développement des programmes éducatifs ontariens. « Il y a un principe d’arrimage. Lors d’une révision d’un programme, un comité francophone et un comité anglophone voient le jour. Parfois, un des comités recommande qu’on insiste sur certaines questions dans une langue. Mais en bout de ligne, les compétences recherchées sont les mêmes et les comités se parlent », dit-il.
Dans le cas de l’éducation sexuelle, la formation s’inscrit dans le cadre du programme d’éducation physique et de santé, qui comporte certaines composantes francophones. Par exemple, les élèves apprennent à s’affirmer sur le plan identitaire, notamment en découvrant certains athlètes franco-ontariens.
M. Lévesque explique le cas des cours d’histoire. « L’ancien programme d’histoire, par exemple, avait de grandes différences. En français, on parlait de l’Ontario français, alors que celui en anglais parlait des relations entre francophones et anglophones. Finalement, en anglais, bizarrement, ça a tourné que le programme parlait davantage de souveraineté et des Québécois, en plus d’ignorer le Règlement 17 », rapporte-t-il, ajoutant que cet écart a ensuite été corrigé.
Louis Kdouh, président sortant de Parents partenaires en éducation, ne croit pas nécessairement que les différences linguistiques de 1998 sont un problème. Mais il dénonce l’abolition de celui de 2015.
« Nos salles de classes doivent refléter l’équité et la diversité, en plus d’être un milieu accueillant. On est pas satisfait du retour de cet ancien programme. Je trouve ça fou, les enseignants sont menottés », lance-t-il.
Dans le contexte actuel, il exige du gouvernement Ford qu’il mène un symposium sur le programme d’éducation sexuelle, ce qui permettrait à tous de partager leurs connaissances et propositions.
« Ça permettrait aussi aux enseignants anglophones et francophones d’échanger leurs bonnes méthodes pour boucher les trous, s’il y en a », dit-il.
Le gouvernement répond, sans répondre
Pourquoi de telles différences entre les programmes en français et en anglais? Est-ce une erreur de traduction? Est-ce que cela s’explique de manière rationnelle? #ONfr a posé toutes ces questions au gouvernement pour tenter de comprendre. Les réponses envoyées par le ministère de l’Éducation ne font qu’alimenter le flou.
« Nous avons fait campagne en promettant de donner une voix aux parents quand vient le temps de parler de l’éducation de leurs enfants. Nous sommes en train de réaliser notre promesse. Notre gouvernement pour les gens mène une consultation sans précédent auprès des parents pour le curriculum scolaire et nous invitons les gens à y participer », a fait savoir Kayla Iafelice, une porte-parole de la ministre de l’Éducation, Lisa Thompson. « Comme ce dossier est devant les tribunaux, il ne serait pas approprié de fournir davantage de commentaires », a-t-elle poursuivi dans un courriel, évitant de répondre à toutes les questions relatives à notre demande.