Mélanie Ménard est aujourd'hui mère de famille de deux enfants. Mais avant ça, elle s'occupait de ceux des autres, en tant qu'éducatrice dans une garderie francophone. Aujourd'hui, hors du système, ONFR s'est intéressé aux raisons de son départ. Photo : Canva

EMBRUN – Mélanie Ménard a grandi à Ottawa. Aujourd’hui mère de deux enfants, elle s’est toujours intéressée à la petite enfance. C’était donc une évidence pour la jeune femme d’en faire son métier. Aussitôt le secondaire terminé, Mélanie Ménard ira apprendre les rouages de ce beau métier au collègue La Cité. Mais après plusieurs années dans le domaine de la petite enfance, elle quittera son travail d’éducatrice, épuisée et dégoutée. Aujourd’hui témoin de l’effondrement du système, elle n’y retournera plus.

« J’ai toujours eu une passion pour les enfants et le développement de l’enfant, alors aussitôt que j’ai gradué, je suis rentrée dans le domaine », dit celle qui admet avoir su très tôt qu’elle ferait un métier de passion.

Pourtant, en 2019, tout s’arrête pour la jeune femme.

« Ça faisait un petit bout que ça n’allait plus. Puis, avec ma première grossesse, je crois que ça a été le déclencheur : je suis partie et je n’y suis jamais retournée. »

Aujourd’hui, Mélanie Ménard observe la situation se détériorer et ne peut s’empêcher de penser que cela aurait pu être évité.

« La petite enfance sonne l’alarme depuis très longtemps, et c’est pour cette raison que j’ai décidé de quitter le système », avoue-t-elle.

« Les conditions de travail sont quand même assez difficiles pour une éducatrice, sans parler des bas salaires. »

D’ailleurs, la question salariale a influencé sa décision. Selon la jeune mère, il était impossible de mettre son enfant en garderie avec le faible salaire qu’elle tirait de son emploi d’éducatrice.

« On est tellement fatiguées! C’est une fatigue mentale, physique, émotionnelle »

« Mon salaire ne couvrait même pas les frais de garderies et, pendant mon congé de maternité, le centre éducatif dans lequel je travaillais s’est fait acheter par un groupe qui a abaissé les salaires. Je gagnais 47 000 $ par année et les nouvelles grilles salariales faisaient passer mon salaire à 35 000 $. Je pense que c’était anormal, mais donc, j’étais mieux de rester à la maison. »

Des conditions de travail qui n’en valent pas la peine

Ayant passé huit années en garderie, Mélanie Ménard confie avoir constaté un énorme manque de soutien pour les enfants à besoins spéciaux. « C’est vraiment difficile de gérer ton groupe quand tu as un enfant qui a des besoins spéciaux et que tu essaies de t’occuper de sept autres enfants en même temps. »

D’après elle, « on n’arrive pas à offrir du soutien à ces enfants qui en ont tant besoin. C’est impossible de se couper en trois pendant notre journée. Je prenais même mes pauses de dîner pour préparer des activités pour les enfants ».

Mélanie Ménard a été éducatrice de la petite enfance pendant huit ans. Photo : Gracieuseté

Mélanie Ménard se souvient des difficultés de recrutement. Déjà, avant la pandémie, « on prenait ce qui passait parce qu’on n’avait pas le choix. Il faut que tu bouches un trou. Ce n’est pas nécessairement des gens qui sont qualifiés ou qui sont là pour des bonnes raisons ».

Pour certaines éducatrices de la petite enfance, les éducatrices issues de l’immigration francophone venues en renfort ont sauvé certaines garderies de la fermeture. Cependant, pour Mélanie Ménard, si cette main-d’oeuvre est indispensable à la pérennité des garderies, le nombre important de personnel débutant ou non qualifié complexifie le travail des éducatrices expérimentées.

« Parfois, c’était vraiment difficile. Il faut qu’on travaille ensemble mais, en parallèle, quand les gens ne savent pas ce qu’ils font, c’est une surcharge aussi pour les autres. »

« Il y avait tellement de gens qui partaient, même au niveau de la direction. »

Toutes ces circonstances ont finalement poussé Mme Ménard à bout. Après presque une décennie à s’occuper des enfants, elle a pris conscience du manque de valorisation que son emploi lui procurait.

Elle en témoigne : « Il y avait tellement de gens qui partaient, même au niveau de la direction. Il n’y avait pas d’appui, ni de valorisation, il n’y avait rien. J’ai été dans la même garderie pendant huit ans et lorsque j’ai quitté, je n’ai eu aucun remerciement. »

Le système a abandonné les éducatrices de la petite enfance

« Le système change constamment, sans même nous offrir de l’appui ou de la formation. »

« Je ne regrette pas, avise-t-elle. J’ai eu des bons moments, c’est sûr. Voir un enfant se développer et pouvoir l’aider à vraiment s’épanouir et devenir une petite personne, c’est quelque chose qui me tient à cœur et qui va toujours rester avec moi. »

Mais elle prévient : « Si tu veux entrer dans le domaine de l’éducation, que ce soit dans la petite enfance ou en enseignement, il faut que tu aies ça dans le cœur. »

Pour l’ancienne éducatrice, son départ était lié aux conditions de travail et au faible salaire qu’offrait sa garderie à Ottawa. Photo : Canva

Quand elle retourne dans ses souvenirs, Mme Ménard se rappelle son état de fatigue. « Honnêtement, on était tellement fatiguées! C’est une fatigue mentale, physique, émotionnelle. »

« On arrivait chez nous complètement épuisées, et on n’avait même pas assez d’argent pour prendre soin de nous-mêmes par la suite », raconte celle qui a déjà fait des arrêts de travail pour épuisement total.

« Je la comprends, la pénurie, malheureusement… comment vivre quand tu n’es pas heureux dans ce que tu fais et que ton travail en souffre? »

Le revers de la médaille pour Mme Ménard, c’est l’impact sur la santé mentale. « Après avoir donné toute son énergie et tant d’amour à tous ces enfants, c’est difficile de rentrer chez soi et d’en donner pareil. »

Les salaires de la petite enfance sont une épine dans ce métier honorable, estime-t-elle. « C’est vraiment décourageant. Je n’y retournerai plus. »

À deux reprises, l’éducatrice s’est arrêtée pour épuisement total. Photo : Canva

Pour Mélanie Ménard, les éducatrices de la petite enfance sont en charge du futur de ces enfants. D’ailleurs, elle explique que les garderies sont le début de vie d’un enfant. Les femmes et les quelques hommes qui font ce métier sont là pour les préparer à l’école, « pour les préparer à la vie ».

« Toutes les petites choses qu’ils commencent à faire au début de leur vie, apprendre à manger, apprendre à marcher, apprendre à aller aux toilettes par eux-mêmes, apprendre à lacer leurs souliers, etc. Qu’on le veuille ou non, c’est nous qui apprenons ces choses-là aux enfants. Les enfants passent parfois plus de temps en garderie qu’avec leurs parents. »