Élargissement de la Loi 101 : un risque pour les francophones, selon les Anglo-Québécois
OTTAWA – L’appui de trois partis fédéraux à un élargissement de l’application de la Charte de la langue française aux entreprises de juridiction fédérale au Québec inquiète le Quebec Community Groups Network (QCGN). L’organisme anglo-québécois met en garde les francophones contre le risque de donner des idées aux autres provinces.
Les résultats d’un rapport publié par l’Office québécois de la langue française (OQLF) en août, faisant état d’une exigence importante des entreprises québécoises de connaissance de l’anglais à l’embauche, ont fait réagir dans la Belle province.
Ils ont convaincu le gouvernement de François Legault d’accélérer la révision de la Charte de la langue française, la fameuse Loi 101, confiée au ministre responsable de la Langue française et ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette.
Parmi les idées énoncées, l’élargissement de l’application de la Loi 101 aux entreprises privées à charte fédérale présentes au Québec, comme les banques, les entreprises ferroviaires et maritimes ou le secteur des télécoms, inquiète les Anglo-Québécois.
« Cela ne donnerait rien à personne, d’autant que ces entreprises desservent déjà les gens en français au Québec. Et ça risque de nuire à la capacité des employés de travailler en anglais. Ça va enlever des droits aux anglophones », dénonce le président de QCGN, Geoffrey Chambers qui explique que certains aspects actuels de la Loi 101 « trop contraignants » le dérangent.
L’avocat spécialiste des droits linguistiques, Gabriel Poliquin, précise.
« Si on étend la Loi 101 à ces entreprises, cela veut dire que le français y primerait. Cela pourrait poser des problèmes dans des régions québécoises qui sont très anglophones, à l’Ouest de la province, par exemple. »
Plutôt renforcer la Loi sur les langues officielles
Le bureau du ministre Jolin-Barrette réplique que « tous les travailleurs ont le droit de travailler en français au Québec ».
« Il s’agit d’un droit fondamental. Le français est la langue normale du travail au Québec. Les Québécois doivent pouvoir gagner leur vie en français et le fait qu’ils travaillent dans une entreprise de juridiction fédérale ne devrait rien y changer. Les lois québécoises doivent s’appliquer partout au Québec, incluant dans les entreprises de juridiction fédérale », explique-t-on dans un échange de courriels avec ONFR+.
Mais QCGN prône plutôt une approche fédérale par un renforcement de la Loi sur les langues officielles.
« Pourquoi ne pas étendre plutôt la Loi sur les langues officielles à ces entreprises de juridiction fédérale? Ça permettrait d’y être servi en anglais et en français partout à travers le Canada. Nous pensons que ce serait une solution gagnant-gagnant. »
Une solution qui viendrait toutefois avec son lot de problèmes, souligne M. Poliquin.
« Que se passerait-il si un employé d’une région très anglophone du Québec se faisait transférer dans une région très francophone? Il faudrait que l’entreprise puisse lui permettre de travailler en anglais et d’avoir une supervision bilingue. C’est une solution qui ne peut fonctionner que si elle est localisée. »
Pour autant M. Poliquin, qui représente un fonctionnaire fédéral québécois qui estime que son droit de travailler en français a été bafoué, reconnaît que des améliorations peuvent être apportées à la Loi sur les langues officielles en matière de langue de travail.
« Il faudrait apporter plus de clarté dans l’énoncé de la Loi quand elle parle de milieu propice à l’usage du français et de l’anglais. »
La communauté francophone silencieuse
QCGN alerte les francophones en contexte minoritaire que le projet du gouvernement québécois pourrait conduire les autres provinces à s’en inspirer pour prioriser l’anglais sur leur territoire.
Malgré cette mise en garde, la communauté francophone préfère rester silencieuse. Jointe par ONFR+, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada a décliné nos demandes d’entrevue expliquant attendre de voir le projet de M. Jolin-Barrette avant d’éventuellement commenter.
Même son de cloche du côté de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), malgré une entente de collaboration signée en 2019 avec QCGN.
Un risque réel… en théorie
S’il estime que le risque soulevé par QCGN pour les francophones est réel, M. Poliquin le juge théorique, d’autant qu’une telle mesure pourrait se retrouver devant les tribunaux.
« Si le Québec le fait et que la cour lui donne raison, rien n’empêcherait une autre province de dire que sur son territoire, les institutions fédérales doivent fonctionner en anglais. Mais je ne pense vraiment pas qu’il y aurait d’appétit pour ça. Ce serait vu comme une attaque de front contre les francophones et il n’y aurait aucune utilité politique. »
En revanche, la possibilité d’étendre la Loi 101 aux institutions fédérales au Québec semble susciter plus d’intérêt chez les partis politiques fédéraux. Le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique (NPD) ont déjà appuyé l’idée et récemment, le nouveau chef du Parti conservateur du Canada (PCC), Erin O’Toole, a lui aussi ouvert la porte.
« Personnellement, je pense que les grandes institutions fédérales devraient respecter les clauses sur la langue française au Québec. Pourquoi les banques et les aéroports n’auraient-ils pas à le faire? Je crois que c’est une question de respect, et je comprends que la protection de la langue, de la culture et de l’identité est une priorité », a-t-il indiqué à l’issue de sa rencontre avec le premier ministre François Legault, lundi.
Son équipe précise que lorsque le projet de loi de Québec sera proposé, « il sera analysé sérieusement ».
Les libéraux très prudents
De son côté, le gouvernement libéral fait preuve de beaucoup de prudence dans le dossier.
Insistant qu’elle a, toute sa vie, été là « pour défendre et promouvoir la langue française », la ministre des Langues officielles, Mélanie Joly s’est dit « très ouverte à avoir des conversations avec Québec pour voir quel sera leur projet de loi » tout en précisant vouloir se concentrer sur la pandémie. Une rhétorique qui est aussi celle du premier ministre Justin Trudeau.
Le plan du gouvernement québécois devrait être présenté dans les prochaines semaines.