Politique

Élections fédérales : le niveau de français de Mark Carney sera-t-il un obstacle?

Le chef libéral Mark Carney prononce son discours de victoire lors de l'annonce de la direction du Parti libéral à Ottawa, le dimanche 9 mars 2025. Crédit image: LA PRESSE CANADIENNE/Adrian Wyld

Le niveau de français, parfois rudimentaire et chancelant, démontré par le chef libéral Mark Carney, pourrait-il avoir un impact dans cette campagne électorale, lui qui part légèrement comme le favori? Normalement oui, mais pas dans cette campagne, selon trois politologues que nous avons sondés. Elles croient qu’il pourrait avoir un laissez-passer en raison du contexte économique avec les États-Unis.

« Tout le monde va orienter sa campagne par rapport à ce qui va se passer aux États-Unis », prédit Mireille Lalancette, experte en communication politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

« À cette étape-ci, ce n’est pas la question du français qui va être au cœur, mais celle de Donald Trump (…) La question du français est reléguée au second plan », ajoute-t-elle.

Idem pour la politologue Stéphanie Chouinard, qui croit que le climat de guerre tarifaire avec les États-Unis laisse très peu de place à la critique.

« On s’attarderait probablement plus (en temps normal) à des éléments comme la qualité de son français, mais j’ai l’impression que dans le contexte actuel, il pourrait avoir un petit passe-droit », analyse la professeure du Collège militaire royal du Canada.

Le chef conservateur Pierre Poilievre tire de l’arrière, selon la firme Léger dans un récent sondage, avec 39 % des intentions de votre contre 42 % pour Mark Carney. Photo : Chambre des Communes

Depuis son entrée sur la scène politique, il est parfois arrivé que certaines affirmations dans la langue de Molière de l’ancien banquier nuisent à la compréhension de son propos. Par exemple, lors du débat en français à la course à la chefferie, il avait affirmé en français que « nous sommes d’accord avec Hamas » avant d’être reprises par l’ex-ministre Chrystia Freeland pour admettre qu’il voulait dire « sur le Hamas ».

La semaine dernière, en conférence de presse au Nunavut, il a répondu à une question concernant ses avoirs financiers placés dans une fiducie en parlant plutôt de resserrement budgétaire et d’augmenter la productivité du Canada, forçant le journaliste à répéter sa question en anglais.

La politologue Geneviève Tellier est aussi d’avis que « les électeurs vont se dire qu’il vient d’arriver en politique et qu’on comprend qu’il n’a pas eu l’occasion de parler français », mais émet toutefois une limite.

« Ça va lui nuire s’il n’arrive pas à faire passer son message. Pendant le débat des chefs, parfois, on l’écoutait en français et on ne comprenait pas ce qu’il voulait dire. Si ça arrive souvent, les gens vont dire, je ne le comprends pas », avertit la professeure de l’Université d’Ottawa.

« C’est un service de traduction ici comme premier ministre », a même lancé en plaisantant le chef libéral dimanche en conférence de presse, alors qu’il était appelé à traduire ses réponses offertes aux questions en anglais. Il s’agit d’un exercice qui risque de se répéter au cours des 36 prochains jours pour le leader libéral, qui en est à ses premiers coups de patin dans l’arène politique.

Cela ne veut donc pas dire que le français de ce dernier ne jouera pas un rôle, prévient Mireille Lalancette, mais elle rappelle qu’il y a souvent eu une alternance entre francophone et anglophone à la tête du Parti libéral, sans qu’il y ait nécessairement d’impact.

« Même Justin Trudeau avait un français qui était accompagné de l’anglais avec des anglicismes et des tournures de phrases en anglais », rappelle la professeure en communication sociale.

Trump et l’Ontario : l’ombre sur le français

Pour les Ontariens qui sortent tout juste d’une campagne provinciale, ne soyez pas surpris que la campagne fédérale soit une copier-papier, avance Geneviève Tellier.

Elle prévoit que la question de l’urne sera « Qui est la meilleure personne pour affronter Donald Trump? », la même avancée par Doug Ford il y a un mois.

Les trois expertes entrevoient toutefois que le plus grand défi en termes de langue de Molière pour le politicien libéral sera dans les deux débats des chefs prévus en français. Il doit s’assurer qu’il ne se fasse pas « manger tout rond », caractérise Stéphanie Chouinard.

La politologue Stéphanie Chouinard
La politologue Stéphanie Chouinard. Source : Capture d’écran

« Tant qu’il est capable de se faire comprendre, si son français n’est pas parfait, ce n’est pas grave, poursuit la politologue du Collège militaire royal. Si sa capacité est mauvaise à tel point qu’il n’est pas capable de faire passer ses idées ou s’il fait de grosses gaffes pendant un débat des chefs en français, à ce moment-là, ça va poser problème. »

Mark Carney affrontera trois chefs qui ont l’habitude de débattre à la Chambre des communes et de répondre presque quotidiennement à des questions en français dans le cadre de leurs tâches de chefs, depuis plusieurs années. Il faudra aussi surveiller comment la troupe de Pierre Poilievre « utilisera la carte linguistique en campagne alors que d’habitude, c’est plutôt retourné sur les conservateurs », note Mme Chouinard.

La course aux sièges dans le Grand Toronto devrait aussi fortement influencer ce 45e scrutin général et l’allure du prochain Parlement.

« Si on se dit que les élections vont se gagner en Ontario, ce n’est pas la question du français qui va être la principale question », relève Mme Tellier.