Emplois en journalisme : postes vacants, aucun candidat

TORONTO – Les médias francophones en situation minoritaire peinent à convaincre les finissants en journalisme à venir travailler chez eux. La formation en journalisme en français est aussi déficiente dans plusieurs régions du pays, observent plusieurs acteurs de la presse francophone. Et bien souvent la rétention des rares recrues s’avère quasi-impossible.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

Deux postes de journalistes disponibles. Payés entre 17 et 20 $ heure. Aucun candidat. La radio et le journal francophone de Hearst sont incapables de combler les deux postes de journalistes vacants depuis des mois. Il en va de même pour deux postes d’animateurs radio.

« Quand vient le temps de s’éloigner, de venir dans le Nord de l’Ontario, les jeunes sont réticents. Et ceux qui viennent repartent rapidement vers des plus gros centres après avoir accumulé un peu d’expérience », constate Steve McInnis, directeur général des médias de l’Épinette noire. « On a recruté d’Haïti et d’Afrique dans les dernières années, ça a été concluant, mais ils ont poursuivi leur chemin », ajoute-t-il.

« Si vous lisez ça et que vous voulez travaillez, je vous engage demain matin! », lance-t-il. « Avant, nous avions plus de facilité. Il y avait toujours quelqu’un pour prendre la relève. Ce n’est plus le cas », ajoute-t-il. Steve McInnis se résigne pour l’instant à former de zéro des chercheurs d’emplois de Hearst, qui n’ont aucune formation en journalisme.

À l’image de la situation dans les autres médias en situation minoritaire, Radio-Canada Ontario peine à recruter des talents dans certaines de ses stations. « Quand on essaie de recruter à Sudbury ou à Windsor, c’est plus difficile. Et c’est moins de la moitié des gens qui viennent s’établir dans ces deux villes qui y restent », observe Pierre Ouellette, directeur de Radio-Canada Ontario.

« Je voudrais qu’un Terre-Neuvien prenne la tête du journal, mais c’est difficile à trouver », confie Jacinthe Tremblay, directrice du journal Le Gaboteur à Terre-Neuve et originaire du Québec. « Si quelqu’un veut venir travailler à Terre-Neuve en français comme journaliste, on va l’accueillir à bras ouverts, on a besoin d’une relève », souligne-t-elle.

Fait surprenant, même L’Acadie Nouvelle, le seul quotidien francophone en Atlantique, a également de la difficulté à recruter.

Francis Sonier, directeur et éditeur de l’Acadie Nouvelle. Archives #ONfr

« On a eu des postes vacants pendant 18 mois l’an dernier. C’était des postes de pupitre, maintenant on en a un autre et on revit la même difficulté. L’Université de Moncton ne produit pas des journalistes à la pelle, on essaye dans d’autres marchés, mais ce n’est pas évident », observe Francis Sonier, directeur et éditeur de L’Acadie Nouvelle.

Où sont les journalistes franco-ontariens?

Dans les salles de nouvelles francophones de l’Ontario, les journalistes franco-ontariens sont proportionnellement peu représentés. La plupart sont bien souvent du Québec et de la France. Pierre Ouellette est conscient de la problématique. « Ça me préoccupe toujours. Ce n’est pas vrai qu’il n’y a pas du tout de Franco-Ontariens à Radio-Canada ou à TFO. Il y en a dans nos équipes, mais c’est vrai que le recrutement est extrêmement difficile. Il y a peu de programmes et de finissants », observe le directeur de Radio-Canada Ontario

Capables très souvent de travailler aussi en anglais, des journalistes franco-ontariens se tournent souvent vers les médias anglophones. « Et parfois, ils sont gênés de leur français. Ils ont peur de s’exprimer, encore moins travailler dans les médias. C’est ce qu’on a nommé l’insécurité linguistique, qui est un problème assez important. Ça ne nous aide pas non plus », note-t-il.

François Bergeron, rédacteur en chef du journal L’Express de Toronto, constate une baisse d’intérêt pour les cours de journalisme. « Je vois qu’il y a moins d’étudiants dans les programmes en Ontario. Je suis professeur et je vois que certaines années, j’en ai cinq, d’autres fois deux, parfois pas du tout », souligne-t-il. La Cité collégiale à Toronto n’avait aucun étudiant en première année inscrit à son programme de journalisme.

« Les nouvelles en journalisme sont déprimantes. Quand on entend toutes les coupures, peut-être que des jeunes se disent que c’est pas un bon domaine », lance-t-il.

Des milliers de dollars en bourses dorment à la banque

La révélation en dit énormément : 250 000 $ en bourses à l’intention des jeunes franco-ontariens qui étudient en journalisme dorment présentement dans un compte de banque.

« Depuis quatre ou cinq ans, on est incapable de donner un montant, car personne ne fait de demande à la Bourse des communicateurs. C’est triste. Il y en a de l’argent! », révèle Linda Lauzon, directrice de l’Association de la presse francophone (APF).

Le programme offre des bourses à tout étudiant inscrit à La Cité qui réside depuis au moins un an en Ontario, qui étudie en journalisme et qui accepte de faire un stage dans un journal francophone de leur réseau.

« Mais les journaux francophones en situation minoritaire, ça semble moins sexy que la télévision et la radio. Il faut penser à des façons d’amener du monde dans nos journaux et travailler mieux avec les autres médias, tout le monde gagne », soutient avec réalisme Mme Lauzon.

Elle se réjouit des sommes présentes dans le dernier plan des langues officielles pour des stages au sein des médias en situation minoritaire. « Ça va nous permettre d’aller chercher des jeunes et de leur permettre de travailler dans nos journaux avec des salaires avantageux », croit-elle.