Entente sur les garderies à 10 $ : les parents franco-ontariens s’impatientent
Alors que la majorité des provinces et territoires ont déjà signé l’entente avec le gouvernement fédéral concernant son programme national de garderies à 10 $ par jour qui assurerait, en théorie, un accès universel à l’ensemble des familles canadiennes à l’horizon 2026, l’exécutif ontarien tergiverse toujours. Une situation que nombre de parents ont hâte de voir se débloquer, car l’impact économique et social, voire démographique sur leur vie est insondablement lourd.
Ce n’est un secret pour personne, les garderies de l’Ontario sont les plus onéreuses du Canada, et de loin.
En effet, à en croire un récent rapport du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) intitulé Tirer la sonnette d’alarme : répercussions de la COVID-19 sur le secteur précaire des services de garde à l’enfance au Canada, entre 2019 et 2020, les frais de garde ont bondi de 15 à 21 % dans des villes comme Brampton, Windsor et Mississauga. Cependant, la championne nationale toutes catégories est bel et bien Toronto qui reste la cité la moins abordable du pays en la matière.
Toujours selon le CCPA qui, chaque année depuis 2014, sonde les garderies et les centres de la petite enfance situés dans les villes canadiennes, les frais de garde mensuels médians pour les enfants d’âge préscolaire avoisinent les 1 250 $ à Toronto et 1 866 $ pour les nourrissons. On est donc loin des 181 $ (8,5 $ par jour) appliqués dans les villes québécoises telles que Montréal ou encore Gatineau. D’ailleurs, c’est à l’aune de ses avancées réalisées depuis plus de 20 ans dans ce domaine que le Québec a eu droit à une « entente asymétrique » avec Ottawa au sujet du nouveau programme fédéral relatif à des garderies à 10 $ par jour.
En tout, ce sont 30 milliards de dollars que le gouvernement Trudeau compte allonger entre 2021 et 2026 dans le but d’aider les provinces à créer des places de garderie et à en réduire les frais à un prix moyen de 10 $ quotidiennement. Sept autres provinces et territoires ont déjà signé l’entente avec le fédéral, mais pas l’Ontario qui représente, à lui seul, plus du tiers de la population canadienne.
Ceci écrit, d’après l’équipe de Justin Trudeau, les négociations vont bon train en coulisse entre Ottawa et le ministre provincial de l’Éducation, Stephen Lecce.
Les parents ontariens sur des charbons ardents
Pour des raisons évidentes, les parents ontariens sont donc à l’affût d’une éventuelle signature entre le cabinet Ford et Ottawa. « Si on peut payer 10 $ par jour au lieu de 68 qu’on paie actuellement pour notre enfant inscrit au préscolaire, ô que oui! je suis favorable à cette entente et je l’attends avec impatience. C’est presque un salaire par enfant qui va à la garderie », déplore Jenifer Matern, une jeune maman francophone vivant à Toronto.
Les mêmes comparaisons reviennent sur les lèvres d’Hailey Coleman : « Les prix des garderies à Toronto équivalent une autre hypothèque maison par enfant. J’espère que cette entente va être bientôt signée parce ce service n’est pas accessible à tout le monde à cause de ces prix exorbitants. Pensez aux mamans ou aux papas célibataires, ça doit être tellement difficile pour eux », alerte la jeune mère.
Pour rappel, il existe quelque 350 garderies francophones en Ontario. Ces établissements sont considérés comme autant de portes d’entrée au système d’éducation de langue française aux yeux des acteurs francophones, à l’image de Martine St-Onge, directrice générale de l’AFÉSEO (Association francophone à l’éducation des services à l’enfance de l’Ontario).
« Clairement qu’on souhaite que le gouvernement de l’Ontario signe pour adopter cette mesure. Le secteur est actuellement tellement étiré que s’il n’y a pas d’argent injecté, les prix vont faire un bond impressionnant dans un avenir proche, ce qui revient à dire qu’encore moins de parents auront accès aux services de garderie », s’alarme la directrice.
Conséquences économiques et démographiques
Qui dit « moins de parents qui auront accès aux services de garderie » dit moins de personnes sur le marché du travail. En effet, si l’Ontario affiche les prix les plus chers du pays s’agissant des frais préscolaires, la province enregistre également le taux d’activité des femmes d’âge moyen le plus bas du Canada avec 81,5 %, contrairement au Québec qui arbore le taux le plus élevé avec 86,7 %.
Or, « Si l’Ontario devait réduire le coût moyen des services de garde afin de le rapprocher de la moyenne nationale, il serait possible de combler presque entièrement l’écart entre le taux d’activité des femmes de l’Ontario et la moyenne nationale », peut-on lire sur une étude du Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario.
Le même rapport publié à l’automne 2019 parle d’une hausse de 2 à 4 % du nombre de femmes sur le marché du travail pour chaque 10 % de réduction du coût des services de garde.
Si comparaison n’est pas raison, cette corrélation entre l’activité des femmes et l’accès aux services de garderie semble se confirmer sur le terrain, comme nous l’explique Ibtissam Issaad, jeune maman installée depuis deux ans en Ontario.
« J’étais une nouvelle arrivante au Canada et à ma grande surprise tout le monde me pressait de m’inscrire sur les listes d’attente des crèches, alors que j’étais encore enceinte! La deuxième surprise a été les tarifs hors de prix des garderies, spécialement quand on est un nouvel arrivant, à la recherche de travail et que nos ressources financières sont limitées. »
« Cette histoire de frais de garderie élevés m’empêche à 100 % d’avoir un deuxième enfant » – Stephanie Giguere
Toutefois, au-delà de ce manque à gagner économique pour la province, il existe une incidence qui est moins visible de prime abord, celle qui touche à la démographie.
« J’ai un enfant de deux ans et demi. Cette histoire de frais de garderie élevés m’empêche à 100 % d’avoir un deuxième enfant, parce que financièrement ça deviendrait intenable », regrette Stephanie Giguere, une maman francophone d’Iroquois Falls au nord de l’Ontario.
D’autres témoignages abondent dans ce sens, à l’instar de celui de Jennifer Matern.
« Je paie actuellement 1 500 $ environ par mois pour mon fils de deux ans et demi et ça va durer encore pendant deux années, jusqu’à ce qu’il puisse intégrer l’école. C’est clair que je vais penser à deux fois avant d’avoir un deuxième enfant. »
Enfin, si l’actuel système ontarien peut aboutir à des déficits économiques et démographiques conséquents, il est surtout un retardateur en matière d’égalité des genres, car ce n’est plus à prouver, l’un des indicateurs mondiaux les plus performants de légalité des sexes est la parité dans le monde professionnel.