Toufah Jallow ira à la rencontre du public à l'Alliance française de Toronto, ce vendredi 8 mars, pour la Journée internationale des droits des femmes, lors d’une discussion sur les violences faites aux femmes et une séance de dédicaces, en partenariat avec l'association Oasis centre des Femmes, le Consulat général et l’Ambassade de France au Canada. Gracieuseté

TORONTO – La militante féministe gambienne Toufah Jallow partage au micro d’ONFR son parcours poignant de survivante et de pionnière, en tant que première femme de Gambie à dénoncer publiquement son viol par le président Yayha Jammeh. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, ce vendredi 8 mars, elle rencontrera le public à l’Alliance française de Toronto (AFT) pour parler de son combat contre les violences faites aux femmes et dédicacera des exemplaires de son livre La femme qui inspira un #MeToo africain.

En 2019, Toufah Jallow devient la première femme de Gambie à briser la loi du silence sur son viol par le dictateur Yayha Jammeh, alors au pouvoir. Son geste déclenche un mouvement de libération de la parole des femmes sans précédent en Afrique de l’Ouest.

Deux ans plus tard, elle co-écrit avec la journaliste Kim Pattaway le livre Toufah Jallow, la femme qui inspira un #MeToo africain, traduit aux éditions Des femmes en septembre 2023. Elle dirige également la Toufah Foundation, soutenant les victimes de violences sexuelles et sexistes entre Toronto et la Gambie.

Mais pour en arriver là, du chemin, il lui aura fallu en parcourir, et des montagnes, en gravir.

« J’ai rencontré cet homme, la personne la plus puissante du pays, lors d’un concours de beauté que j’ai remporté en 2014 », raconte-t-elle lors d’une rencontre avec ONFR.

« J’avais toujours vécu dans un contexte de dictature à la fois sociale, culturelle, religieuse et politique. C’était la norme. Une société extrêmement conservatrice qui réprime les femmes, qui ne peuvent pas s’exprimer, être libres de porter ce qu’elles veulent, ou se faire entendre. Ces concepts étant intériorisés dès le plus jeune âge. »

« Après mon agression sexuelle, début 2015, je ne savais pas comment réagir. Je n’avais pas le langage du ‘’viol’’, n’ayant jamais entendu ce terme, et n’ayant jamais eu aucune sorte de sensibilisation à la sexualité, notion taboue à l’exception du concept de ‘’virginité’’. »

« Mais je ressentais quelque chose en moi de l’ordre du dégoût profond et le sentiment n’a pas besoin de langage. Je savais que je ne pouvais pas subir ça une fois de plus. Cela avait déjà brisé chaque partie de moi et enlevé tout sentiment de pouvoir et d’espoir. »

« Je pensais toutefois pouvoir vivre avec ça dans le silence, mais quand j’ai reçu un appel d’un officiel, le président voulant me revoir, je savais ce que cela signifiait. Je savais que je devais m’enfuir. En juin, j’étais hors du pays. »

C’est alors pour elle, qui n’a jamais quitté le cocon familial, l’exil, seule, à l’âge de 19 ans.

« J’ai pris des taxis, des bateaux, j’ai traversé des rivières jusqu’à Dakar au Sénégal, où je suis devenue réfugiée et, en août, le Canada m’a accueillie à son tour. C’est comme ça que je me suis échappée physiquement, mais j’ai été mentalement piégée pendant très longtemps ».

Couverture de son livre en français aux édition Des femmes, publié en septembre 2023. Gracieuseté

Libérer la parole

Toufah Jallow reçoit en 2022 le Prix franco-allemand des droits de l’Homme et de l’État de droit. Elle explique que l’idée même de partager son histoire au monde ne germera qu’après avoir entrepris une thérapie, mais aussi des recherches pour comprendre s’il existait d’autres victimes dans son pays natal.

Contrairement aux données prolifiques sur d’autres pays, elle se heurte à l’absence totale d’archives pour la Gambie.

« J’ai commencé à me questionner : et si moi, je parlais? Non seulement pour que les autres femmes aient enfin une histoire à laquelle s’identifier, mais aussi pour ma propre santé mentale, pour redevenir moi-même », confie-t-elle, malgré de longues nuits blanches à imaginer les conséquences néfastes possibles, notamment pour sa famille.

« Avec les organisations Human Rights Watch et Trial International, l’idée était de raconter mon histoire de manière anonyme, parce que c’était la seule façon pour elles de garantir ma sécurité ».

« Le processus pour prouver les faits a été lourd, se souvient-elle. J’ai dû montrer les cicatrices sur mon corps, décrire chaque détail, expédier les vêtements que je portais, etc. Il a fallu qu’il se passe tellement de choses pour qu’elles (les organisations) puissent me soutenir. Et au final, ça m’a fait réfléchir. Après tout ça, je désirais aller jusqu’au bout et incarner mon histoire en mon nom. »

Un acte de bravoure certain, mais qu’elle relativise avec humilité. Ne pas parler en son nom revenait pour Toufah Jallow à repartir à la case départ, de nouveau emprisonnée par le silence. Sa toute première conférence de presse est alors organisée au Sénégal, précédent une première couverture médiatique d’envergure, dont un article dans le New York Times.

« La réponse a été incroyable de la part de la communauté gambienne. Les gens n’arrivaient pas à y croire et on a été submergés d’invitations à intervenir publiquement. Tant de femmes voulaient dire leurs vérités. J’ai découvert que je n’étais qu’un cas parmi une longue série d’abus contre les femmes par des hommes de pouvoir. »

« En bref, on est passé d’une approche anonyme hors d’Afrique, à une conférence de presse près de la frontière, pour finalement parler publiquement en plein milieu du pays, dans la plus grande ville, manifestant avec d’autres survivants, partisans et alliés », résume-t-elle avec amusement.

Elle relate aussi avoir été accusée à maintes reprises de mentir, d’être coupable d’avoir « fait quelque chose » pour que ça arrive. Les accusations classiques contre les femmes, d’un continent à un autre, selon elle.

Ce qui était nouveau, c’était la réaction des femmes et leur volonté de s’ouvrir à moi.
— Toufah Jallow

Plus tard, à Dakar, elle rencontrera l’ambassadeur du Canada qui la mettra en contact avec une maison d’édition à Toronto pour écrire un livre racontant son histoire et son combat, avec la collaboration d’une journaliste. « Nous avons réalisé l’écriture pendant la pandémie », se remémore-t-elle.

Manifestation contre la violence sexuelle en Gambie, menée par Toufah Jallow, en bas au centre. Crédit image : Toufah foundation

Discussion à l’Alliance française, à la rencontre du public torontois

Combattre les violences sexuelles est un travail du quotidien pour Toufah Jallow, à travers sa fondation gambienne Toufah foundation, qui aide les femmes victimes de violences sexuelles, menant notamment aux premières poursuites judiciaires contre des agresseurs.

« Tant que nous continuons à en parler, il y aura des améliorations et des changements. Lorsqu’il est question des droits des femmes dans toutes nos sociétés, il y a ce thème constant : faire un pas en avant puis reculer. Un effet boomerang, qu’il s’agisse des droits reproductifs ou encore des agressions sexuelles. C’est pourquoi il est si important d’aller de l’avant et d’être radical quant à notre position, car il faudra un gros push pour combattre le patriarcat systémique », conclut celle-ci.

La discussion de ce vendredi 8 mars, de 18 h 20 à 20 h, est organisée par l’AFT, en partenariat avec l’association francophone Oasis centre des Femmes et le Consulat général et l’Ambassade de France au Canada. L’événement réunira sur la scène du théâtre Spadina Toufah Jallow et Nawel Bentobbal, consultante d’Oasis Centre des Femmes.

Oasis, qui offre un accompagnement aux femmes du Grand Toronto et Halton-Peel touchées par la violence, travaille depuis quelques années avec l’AFT sur des évènements de sensibilisation à la violence faite aux femmes sous l’angle des arts.

« En tant que CALACS (Centre d’Aide et de Lutte contre les Agressions à Caractère Sexuel), nous avons trouvé important de nous associer à cet évènement pour pousser notre message de lutte et d’éducation publique sur ce fléau, en cette Journée internationale des droits des femmes. Toufah, en tant que survivante, qui raconte son expérience et son parcours, est une belle opportunité de démontrer le courage des victimes. Quelles belles leçons à tirer de son livre », nous exprime la directrice générale Dada Gasirabo.

« Au moment où la France est le premier pays au monde à inscrire l’IVG dans sa Constitution et à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, il était naturel que le service de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade et le consulat général de France, en partenariat avec l’AFT, donnent la parole à une femme remarquable, militante de la cause des femmes et écrivaine, lauréate du prix franco-allemand des droits de l’homme pour son combat contre la violence faite aux femmes, Fatou Toufah Jallow », déclare quant à lui l’attaché de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade, Hadrien Laroche.