La ville de Saskatoon ne compte pas de quartier historiquement francophone. Photo: Rachel Crustin

SASKATOON – Si certains francophones se considèrent Fransaskois dès leur arrivée en Saskatchewan, d’autres, nés dans cette province, refusent l’étiquette. ONFR a profité d’un passage à Saskatoon pour interroger différentes personnes sur ce qui les pousse à adopter le terme ou non.

Selon l’Assemblée communautaire fransaskoise, un Fransaskois est « quelqu’un qui s’identifie à la communauté francophone de la Saskatchewan, que ce soit par naissance, par mariage, par adoption, ou simplement par identification. »

Il y a par contre un écart entre la définition formelle et celle sous-entendue, comme le rappelle le professeur de philosophie et ex-professeur en études francophones et interculturelles à l’Université de Regina, Jérôme Melançon. « La manière dont les gens l’utilisent (…) renvoie à une identité ethnique et pas seulement linguistique ».

L’Association jeunesse fransaskoise (AJF) a joué un grand rôle dans la popularisation du néologisme, dans les années 1970, dans le but de se défaire du terme Canadien-Français.

De plus en plus hétéroclite

En Saskatchewan, quelques villages francophones en milieu rural sont habités par les mêmes familles depuis des générations. Mais il y a moins de cohésion dans les villes, qui ne comptent pas de quartiers francophones.

Auparavant, l’immigration francophone était peu nombreuse et provenait surtout d’Europe. C’est seulement depuis une vingtaine d’années que les parcours se diversifient.

L’église de St-Denis est emblématique de ce hameau francophone près de Saskatoon. Photo : Rachel Crustin

« Il y a toujours ce jeu entre l’identité plus traditionnelle, liée à la religion, à la langue et à la descendance, et la volonté d’être plus ouverts et de répondre au fait que la francophonie est beaucoup moins homogène qu’elle ne l’a été par le passé », explique Jérôme Melançon.

Les gens croisés par ONFR ont été nombreux à mentionner cette nouvelle diversité comme un aspect crucial de la fransaskoisie actuelle. L’autrice-compositrice-interprète et réalisatrice Alexis Normand croit que les conversations sur la francophonie s’accompagnent de thèmes importants.

« Oui, on parle d’ouverture, d’exogamie, de sécurité linguistique. Mais quand on parle d’une communauté francophone plus ouverte, on va éventuellement parler d’antiracisme et de colonisation », affirme-t-elle.

Accueillis tout de suite

Séduit par un kiosque du Conseil économique de Saskatchewan à Paris, Samblo Marseille est arrivé à Saskatoon en mars 2024. Il a facilement trouvé la communauté francophone, grâce à de bons services d’intégration et à l’Église Saints-Martyrs-Canadiens de Saskatoon, qui reste un point de rassemblement pour la Fransaskoisie. Il se dit « totalement » Fransaskois.

« Quand je suis arrivé ici, tout de suite, les premières personnes que j’ai croisées me disaient bonjour. J’étais vraiment surpris par l’accueil des gens. »

Sylvie Clairefond, à gauche, et Samblo Marseille, à droite, viennent tous deux de France et ont choisi de s’établir en Saskatchewan. Photo : Rachel Crustin / ONFR

Selon Jérôme Melançon, les premières rencontres dans une communauté sont déterminantes, en plus de la volonté de s’impliquer ou de vivre de façon plus individuelle. « La relation de chaque personne à (…) l’identité commune peut varier pour des raisons qui ne sont pas nécessairement sociologiques, mais qui dépendent des parcours personnels. »

La Française Sylvie Clairefond a aussi été surprise à son arrivée, il y a trois ans. « Je ne m’attendais pas à avoir une vie sociale totalement en français, et c’est ce que j’ai aujourd’hui. »

Le musicien Michel Lalonde a vécu de nombreuses années en Saskatchewan, à partir de 1990. « Je me suis senti chez moi dès le début. C’est une communauté très inclusive. »

Pas complètement

Pourtant, on trouve en Saskatchewan des francophones qui ne désirent pas porter l’étiquette fransaskoise. C’est le cas du réalisateur Simon Garez, né en Saskatchewan de parents français.

Dans son parcours scolaire, il n’a eu accès à une école francophone que pendant un an. Les longs trajets d’autobus vers Zénon Park l’ont contraint à revenir à son école locale de Nipawin, en programme d’immersion. « Mes frères, ma sœur et moi parlions mieux français que tous les autres élèves. (…) Il y avait l’accent anglophone, qu’on a un peu pris puisqu’on en était entourés. Ensuite, il y avait l’accent fransaskois, qui était différent. Et il y avait nous, les Franco-Canadiens… nous ne savions pas trop comment nous nommer. »

Simon Garez est l’un des rares à réaliser des films en français en Saskatchewan. Photo : Rachel Crustin

La suppression du programme d’immersion l’a forcé à poursuivre en anglais, dès la neuvième année. Les livres francophones ont même été retirés de la bibliothèque. « C’était inacceptable, mais j’étais tellement jeune que je ne le réalisais pas », affirme celui qui se dit aujourd’hui frustré de cet événement et de son manque de couverture médiatique.

Pour s’identifier, il privilégie le terme Français-Canadien, car « je sais que de dire Canadien-Français, ça a un contexte historique qui ne s’applique pas vraiment à moi. »

Grand ambassadeur de la Fransaskoisie, le rappeur Shawn Jobin reconnaît quand même que cette identité relève d’un choix.

« Je prends souvent l’exemple de mon épouse, qui est Belge. Elle a fait le choix de venir en Saskatchewan, elle a contribué à la communauté fransaskoise, mais (…) elle dit : je suis Belgo-Canadienne. (…) Et c’est important, ça aussi, de dire qu’on n’est pas obligés de s’identifier à ça. »

Un apéro franco à la microbrasserie 9 Mile Legacy de Saskatoon, en juillet 2024. Photo : Rachel Crustin

Arrivée en Saskatchewan dans l’enfance, l’artiste originaire de l’Alberta Sylvie Walker a aussi longtemps refusé le terme. « Ce sont des choses qui changent avec l’âge, l’expérience, les gens que tu croises. »

Issue d’une famille exogame et assimilée, Alexis Normand parle de son combat contre le sentiment de l’imposteur dans son documentaire Assez French.  

« Ma version de la francophonie est bilingue. J’essaie le plus possible d’agrandir l’espace que la francophonie occupe dans mon quotidien. (…) Mais veut, veut pas, j’habite Saskatoon. Veut, veut pas, il y a beaucoup de gens dans ma famille qui ne peuvent pas s’exprimer en français. J’ai réalisé qu’il y a plus qu’une version de ce à quoi peut ressembler la francophonie. »

Nouvelles générations

Jérôme Melançon explique que la façon dont les jeunes expriment leur identité évolue. « La question d’appartenance ne va plus de soi. (…) Les gens de 30 ans et moins n’ont pas la même relation à la communauté. Les manières de se lier, de communiquer et de se rassembler ne sont pas les mêmes. »

Certains revendiquent le droit d’être francophones sans militer activement. C’est le cas de la musicienne Émilie Lebel (éemi). « Je travaille en français. Mes amis sont francophones. Ce n’est pas qu’on fait le choix de se parler en français. On se regroupe, on est amis, on s’amuse en français. (…) Mais on n’est pas dans la face des gens. »

Des organismes comme le Conseil culturel fransaskois ou l’AJF jouent encore un rôle déterminant. Sylvie Walker affirme : « S’il n’y avait pas l’AJF, je ne pense pas que j’aimerais participer à la communauté. Quand tu es jeune, ce n’est pas cool d’être francophone. »

Shawn Jobin estime qu’il est primordial d’inspirer la jeunesse. Avec l’AJF, il programme le festival Franco-Fièvre. « On leur monte une expérience intense, avec un gros spectacle de festival en français, pour leur montrer que la musique qu’ils consomment en anglais se fait aussi en français, ici, au Canada. »

L’activité de la disco silencieuse avec Shawn Jobin a été populaire auprès des jeunes lors du Festival fransaskois. Photo : Rachel Crustin

Comme Shawn Jobin, l’artiste Anique Granger se considère toujours fransaskoise, même si elle vit au Québec. « Je pense que pour être Fransaskois, il faut que tu veuilles être Fransaskois. Ce n’est que ça. Que tu parles français, que tu sois en Saskatchewan ou que tu viennes de la Saskatchewan. Il y a des francophiles et des nouveaux arrivants. Je pense qu’il y a vraiment un esprit d’accueil et d’inclusivité. »

Anique Granger et Sylvie Walker ont réalisé un balado sur la Construction langagière, identitaire et culturelle (CLIC), un élément du cursus scolaire fransaskois. La série DéCLIC décortique les éléments qui construisent l’identité.

« On est tous des êtres hybrides, avec plusieurs facettes, explique Sylvie Walker. Je dirais que le fil conducteur de la Fransaskoisie est la fierté de la langue. Et un peu l’esprit de résistance. »