Élections anticipées en Ontario : Doug Ford face à un choix tactique
TORONTO – Une alternance politique fédérale quasi inéluctable au printemps conjuguée à des sondages très favorables à la Ford Nation renforcent l’hypothèse d’élections anticipées en Ontario. Extrêmement prudent dans ses déclarations, le premier ministre Doug Ford considère trois options : convoquer des élections avant le scrutin fédéral dès le retour en chambre fin février, attendre l’automne, ou se risquer à aller au terme de son mandat en 2026. Son appel cette semaine à la « stabilité » (et chaque jour qui passe) l’éloigne de l’option 1 et le rapproche d’un scénario post-élections fédérales.
« Il n’a jamais été aussi important que le Canada démontre stabilité, force et unité », s’est fendu lundi, dans un communiqué, Doug Ford en réaction à la démission du premier ministre du Canada, Justin Trudeau. Un peu plus tard, il esquivait – encore une fois – la question récurrente des journalistes en conférence de presse, sur sa tentation de provoquer des élections provinciales anticipées : « Je suis concentré à 100 % sur les tarifs » (américains).
Avec un parlement prorogé jusqu’en mars, des élections fédérales devraient intervenir, sauf revirement extraordinaire, autour du mois de mai et consacrer l’arrivée au pouvoir des conservateurs de Pierre Poilièvre que tous les sondages donnent gagnant.
Aux manettes en Ontario depuis 2018, les progressistes-conservateurs ont donc tout intérêt à prendre de vitesse cet agenda fédéral en déclenchant eux aussi un scrutin anticipé, bien avant la fin du mandat actuel prévu en juin 2026. Pourquoi? Car rarement dans l’histoire canadienne les partis au pouvoir ont été du même bord politique au même moment au fédéral et au provincial.
Instabilité fédérale et popularité au beau fixe
Cependant, la démission de Trudeau « ralentit les intentions de Doug Ford de lancer une campagne électorale trop tôt », croit la politologue Stéphanie Chouinard, à rebours des spéculations depuis l’été dernier sur une dissolution de l’Assemblée législative ontarienne dès mars de cette année.
« Étant donné qu’on a un échéancier qui vient soudainement clarifier de façon plus nette au fédéral, peut-être que M. Ford va remettre ses intentions à plus tard en 2025, une fois le scrutin fédéral passé », anticipe la professeure du Collège militaire royal, excluant deux élections en même temps.
Le premier ministre sortant ne devra toutefois pas trop tarder dans l’année s’il ne veut pas qu’une politique de rigueur budgétaire fédérale porte ombrage à sa cote de popularité, ni que l’opposition gagne en assurance. Les plus récents sondages le créditent d’une confortable avance sur ses opposants : 42 % selon Abacus Data (26 % aux libéraux, 22 % au NPD), 40 % selon Angus Reid (25 % au NPD, 23 % aux libéraux).
Il faut dire qu’il a mis toutes les chances de son côté en multipliant les annonces qui touchent au portefeuille des Ontariens : bières dans les dépanneurs, chèque de 200 $ à chaque Ontarien, prolongement du gel de la taxe sur les carburants… Il a aussi esquissé de futures actions dans les transports – une corde sensible pour les électeurs – comme le démarrage du chantier de l’autoroute 413 et la promesse d’un gigantesque tunnel sous la 401 pour désengorger Toronto.
La menace Trump, une occasion d’incarner un leadership
Celui qui préside le Conseil de la fédération s’est en outre trouvé un nouveau combat : tenir tête frontalement à Donald Trump et se positionner en protecteur de l’économie canadienne face à la menace de tarifs dévastateurs sur les exportations canadiennes que fait planner le président américain élu. Le premier ministre a suggéré de couper l’approvisionnement en électricité aux États-Unis et, à la boutade trumpiste de faire du Canada un 51e État des États-Unis, il a proposé d’acquérir l’Alaska et le Minnesota, appelant à un peu de sérieux dans les médias des deux côtés de la frontière.
« Face à la menace de Trump, M. Ford se présente comme Capitaine Canada, car personne ne semble le faire au niveau fédéral. C’est un rôle qui lui va assez bien, qui rehausse sa crédibilité », observe le politologue Ian Roberge, professeur à l’École de politiques publiques et d’administration de l’Université York qui y décèle un positionnement préélectoral, plutôt en vue d’une échéance à l’automne également.
« Ce sera une période de retour à la stabilité fédérale, imagine-t-il avant de nuancer, prudent : beaucoup de choses peuvent changer en six à huit mois. »
Au cours des derniers mois, plusieurs cadres du parti au pouvoir ont confirmé qu’ils se représenteraient à l’image des ministres Kusendova, Dunlop, Parsa et Sarkaria. En réponse, les partis d’opposition ont multiplié les nominations de candidats en prévision d’un déclenchement hâtif de campagne, préférant relancer les appels aux dons plutôt que de s’engager dans de coûteux congrès.
Ces derniers sont néanmoins encore très loin d’inquiéter le pouvoir en place. « Tous les coureurs sont prêts à quitter les starting-blocks sans savoir quand le coup de feu retentira, pas même l’arbitre », ironise un stratège progressiste-conservateur, affirmant que toutes les options sont sur la table.
« Marit Stiles (NPD) n’est pas beaucoup connue, tandis que Bonnie Crombie essaye de reconstruire le Parti libéral, mais plus vite les progressistes-conservateurs iront en élections, moins elle aura le temps de le faire », recontextualise pour sa part M. Roberge.
Enquête de la GRC, la grande inconnue
Les vents sont ainsi très favorables à Doug Ford, en position de force pour solliciter un troisième mandat et conforté par des victoires rassurantes dans plusieurs élections partielles (Milton, Lambton-Kent-Middlesex et Baie de Quinte).
Mais la brise ne sera peut-être pas éternelle pour le premier ministre qui manœuvre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête : les conclusions de l’enquête de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur la ceinture de verdure pourraient entamer la confiance d’électeurs pas nécessairement ravis et compréhensifs de retourner aux urnes avant l’heure.
Attendre juin 2026 apparait enfin comme le choix le plus hasardeux. « Doug Ford voudra que les Ontariens aient encore à l’esprit les fameux chèques envoyés, une manoeuvre politique bien connue, une tentative d’acheter des votes », argumente Mme Chouinard.
Ce serait prendre le risque que s’installe une certaine usure du pouvoir après huit ans, complète M. Roberge. « Cette fatigue-là va se ressentir au bout d’un moment. Ford est assez populaire mais certains dossiers clés qui n’avancent finalement que très lentement comme la crise du logement pourraient venir creuser un peu plus ce sentiment dans l’opinion. »