Étudiants internationaux : l’Ontario, un terrain de chasse glissant pour la France
TORONTO – La France lance une campagne de séduction auprès des étudiants étrangers. Objectif : remplir ses universités et rayonner à l’international. Les étudiants franco-ontariens, justement en manque d’offre de formation supérieure en français, se montrent paradoxalement plutôt désintéressés. Explications.
Quatrième pays d’accueil dans le monde et première destination non anglophone, la France est un gros joueur universitaire sur le plan international. L’Hexagone a reçu 343 000 étudiants internationaux en 2019, un chiffre dû essentiellement aux flux européens.
Avec Bienvenue en France-Campus France, une stratégie d’attractivité menée à l’échelle mondiale, les équipes du consulat général de France à Toronto espèrent bousculer le taux de mobilité canadien, un des plus faibles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et susciter l’intérêt en Ontario et au Manitoba.
« On est en progression : on est passé d’environ 750 visas étudiants à 850 », recense Peggy Harvey, chargée de mission pour les échanges universitaires. La coordonnatrice de la campagne avoue faire face à un « effet culturel » : « Les étudiants ontariens n’osent pas faire le premier pas vers l’étranger. »
« Partir dans un autre pays, sur un autre continent, loin de sa famille, est un peu stressant pour un étudiant qui va préférer aller dans une université près de chez lui », confirme Karelle Sikapi, présidente de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO). « Pour beaucoup, aller à Ottawa représente déjà un défi, alors imaginez prendre un billet d’avion pour la France. »
Elle invoque aussi le coût que cela représente. « Il y a bien des bourses pour nous aider mais elles sont beaucoup axées sur le leadership et les étudiants n’ont pas le temps de s’engager, car ils travaillent à côté. »
Le coût, c’est aussi ce que pointe Marie-Pierre Héroux, coprésidente du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO).
« C’est pas comme au Québec où ils ont une entente et des frais moins élevés. Ça ne vaut pas vraiment la peine de partir de la maison. Il n’y a pas vraiment de lien avec la France. Et puis, on manque d’information sur les opportunités. »
Iniquité entre Ontariens et Québécois
Une entente entre la France et le Québec permet en effet aux étudiants québécois de s’acquitter des mêmes droits que n’importe quel étudiant français ou issu de l’Union européenne, soit 270 $ pour une année de baccalauréat. C’est 16 fois moins cher que les droits demandés à un Ontarien.
C’est cette iniquité que regrettent de nombreux étudiants canadiens hors Québec.
« La question québécoise avec la France n’est pas duplicable avec d’autres pays dans le monde », estime Tudor Alexis, consul général de France à Toronto. « On pourrait tendre vers ça si le gouvernement ontarien veut en discuter, mais ce n’est pas à moi de me prononcer. »
Et d’encourager les étudiants à enrichir leur horizon : « On peut partir de rien en France et réaliser plus que son rêve. Moi-même, je suis venu de l’étranger à 20 ans en tant qu’étudiant international. Aujourd’hui je représente la France en Ontario. »
Le coût, une fausse bonne raison
Avec ou sans entente bilatérale, les droits d’inscription demeurent néanmoins bien inférieurs à ceux de l’Ontario. Une année de baccalauréat coûte, par exemple, 6 000 $ à l’Université Laurentienne, 5 430 $ à l’Université de Hearst et tombe à 4 030 $ dans l’ensemble des universités françaises.
En France, le conseil constitutionnel a par ailleurs rendu une décision sans précédent sur le principe de gratuité de l’enseignement supérieur, donnant raison aux opposants à la hausse des coûts pour les étudiants extra-communautaires.
Le terrain semble donc plutôt propice aux candidats à l’aventure étrangère en France, d’autant qu’en Ontario, aux frais universitaires s’ajoutent des difficultés récurrentes de logement abordable qui poussent la majorité des jeunes à travailler d’arrache-pied pour financer leurs études.
Le manque d’offre de cours en français pourrait aussi être de nature à inciter les étudiants franco-ontariens à faire le saut outre-atlantique. Pourtant, là aussi, le défi étranger ne soulève pas les foules.
« C’est plutôt psychologique que budgétaire », en déduit Mme Harvey. « On essaye de rentrer dans les classes pour parler aux étudiants et on va miser sur les conseillers d’orientation pour mieux expliquer les opportunités. »
« 75 % de la mobilité se fait dans le cadre d’échanges universitaires », rappelle-t-elle pour dédramatiser la barrière administrative et financière.
Les étudiants s’acquittent des frais domestiques de leur université ontarienne qui les guide dans leur démarche à l’étranger. C’est tout l’intérêt des partenariats entre universités. Des freins persistent toutefois, surtout à destination de la France.
« On a beaucoup de partenariats comme ça », remarque Lionel Simeon, responsable du Centre pour l’expérience internationale, à l’Université de Toronto, « mais on a du mal à envoyer nos étudiants à l’étranger. Et quand ils y vont, c’est plutôt pour se diriger vers de grands noms, des universités et des écoles dans le haut des classements internationaux, en Angleterre ou à Singapour. Pour les bonnes universités françaises dans les villes inconnues, les accords ne fonctionnent pas si derrière, ça ne suit pas avec un professeur impliqué. »
Jouer la carte du double diplôme
« Ceux qui sont câblés cosmopolites vont y aller, mais ça reste un pourcentage minime », convient Dominique Scheffel-Dunand, coprincipale par intérim du Collège Glendon, à Toronto. « Les autres, il faut les aider à y aller par les doubles diplômes. »
Et de poursuivre : « Ça permet de comprendre les deux premières années ce qu’est la culture académique d’une institution post-secondaire, que ce soit un collège ou une université. Ensuite, ils peuvent aller étudier dans d’autres cultures et, s’ils sont dans un environnement ouvert et bilingue, ils apprivoiseront le milieu. »
Mme Scheffel-Dunand y voit l’opportunité de mieux gérer l’inconfort, voire l’insécurité linguistique, auxquels pourraient faire face certains étudiants jugés sur leur niveau de langue ou leurs différences culturelles.
Tout en tirant profit d’une ouverture sur le monde que permettent les protocoles d’entente entre universités, les étudiants ontariens sont formés dans le système canadien, dont l’approche vers la recherche, la compréhension des savoirs et des connaissances reste, selon elle, inégalable.
L’argent, nerf de la guerre
Pour Olivier Birot, professeur agrégé à l’Université York, dans la recherche universitaire, les échanges naissent avant tout d’une collaboration entre professeurs. Ces collaborations restent trop ponctuelles et n’ouvrent pas la porte à des exodes massifs d’étudiants, faute de financement suffisant.
« Malgré toutes les bonnes intentions du monde, le nerf de la guerre reste l’argent. Les offres de financement sont intéressantes mais ce n’est pas avec une vingtaine de financements par an, dans le style du fonds France-Canada pour la recherche, qu’on va changer de façon drastique les statistiques d’échange. »
« À cela, il faut ajouter les changements d’ordre administratif. Avant, une simple lettre d’invitation suffisait. Maintenant, il faut une demande de visa. La correspondance des diplômes et la reconnaissance des crédits entre le système français et le système canadien est aussi différente. »
Ces éléments ne sont pas de nature à ouvrir les vannes des échanges internationaux d’étudiants. « Il faut des professeurs-chercheurs motivés et un soutien financier. »