Faut-il plus de pouvoirs pour le commissaire aux langues officielles?

L'ancien commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser. Crédit image: Archives #ONfr

OTTAWA – Dans un billet paru récemment sur le blogue de l’Observatoire national en matière de droits linguistiques, Laurence Prud’homme et Jérome Tremblay lançaient des pistes de solution pour améliorer l’impact du commissaire aux langues officielles du Canada en lui donnant plus de pouvoirs. Mais les avis divergent chez les intervenants questionnés par #ONfr.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« Nous nous sommes interrogés quand la question de la succession de Graham Fraser s’est posée. Après dix ans, nous voulions faire son bilan. Si M. Fraser a bien ciblé les enjeux et les problématiques, il faut reconnaître qu’il a été confronté à un problème systémique. Comment se fait-il qu’au fil des années, par exemple, tous les commissaires n’aient pas été en mesure d’obliger Air Canada à respecter ses obligations en matière de langues officielles? », s’interroge M. Tremblay.

Avec sa collègue étudiante chercheuse, Laurence Prud’homme, le coordonnateur aux affaires externes de l’Observatoire propose deux solutions pour régler ce problème : donner davantage de pouvoirs coercitifs au commissaire et la création d’un tribunal administratif des droits linguistiques.

« Actuellement, le commissaire doit se fier au bon vouloir des institutions et du parlement. Si le parlement n’agit pas, ses recommandations et ses rapports restent sans effet. Ce serait une évolution logique de lui donner plus de pouvoirs. Le commissaire a obtenu la possibilité d’intervenir devant les tribunaux, il est peut-être temps d’aller plus loin. »

Selon M. Tremblay, la possibilité pour le commissaire de distribuer des amendes pourrait dissuader les institutions qui ne respectent pas la Loi sur les langues officielles (LLO).

La présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Sylviane Lanthier, rappelle que l’organisme porte-parole des francophones à l’extérieur du Québec appuie depuis longtemps cette idée.

« Ça prend une carotte et un bâton et actuellement, on manque un peu de bâton. Cela nuit à la crédibilité du commissaire de répéter année après année les mêmes recommandations sans que cela ne soit suivi par des actions. »

Réserves

Cette proposition pourrait séduire celles et ceux qui se désolent de voir les mêmes problèmes revenir rapport après rapport. Mais le stagiaire postdoctoral à la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa, Martin Normand, se montre réservé.

« La question de l’augmentation des pouvoirs du commissaire s’est posée dès les premiers rapports du commissaire Keith Spicer, au début des années 70. Mais il faut faire attention de ne pas ouvrir une boîte de Pandore. Si le commissaire pouvait sanctionner, il se retrouverait juge et partie puisqu’il peut déjà intervenir devant les tribunaux. »

M. Normand suggère plutôt pour que cette possibilité soit ajoutée directement dans la LLO et que la décision de poser des sanctions ne dépende pas directement du commissaire.

Professeur de sciences politiques à l’Université de l’Alberta, Frédéric Boily, se montre lui aussi dubitatif.

« Le commissaire dispose d’un pouvoir de persuasion que M. Fraser n’a peut-être pas poussé assez loin. Mais il faut reconnaître aussi que le contexte, avec un gouvernement conservateur, ne se prêtait pas à ça. Lui donner un pouvoir de sanction poserait toutefois un problème car ça reste une personne qui n’est pas élue et ça pourrait être mal interprété par le public. »

Pour le politologue, la situation précaire du français et la promotion de la dualité linguistique ne saurait être améliorée uniquement par la seule force des sanctions.

Au cours de son mandat, le commissaire Fraser s’est toujours montré réticent à toute possibilité de sanctions envers les contrevenants à la LLO.

« Il avait un point valable car son rôle est aussi de faire la promotion de la dualité linguistique. Sanctionner n’est pas idéal quand on veut aussi promouvoir », juge M. Normand.

M. Tremblay reconnaît ce risque, mais maintient la pertinence de sa solution.

« Avoir le pouvoir de mettre de sanctionner ne veut pas dire s’en servir systématiquement. Ça pourrait être un dernier recours quand une institution n’agit pas. »

D’autres priorités

Reste que si tous les intervenants interrogés par #ONfr ne sont pas nécessairement d’accord avec les propositions de l’Observatoire national en matière de droits linguistiques, ils reconnaissent que des changements sont nécessaires.

« Une des inquiétudes porte sur le budget du commissariat aux langues officielles. Désormais, il doit externaliser les enquêtes faute de ressources. Je pense que cette question est plus importante que celle de ses pouvoirs », pense notamment M. Normand.

Gelé depuis dix ans, le budget du commissariat aux langues officielles a été affecté par la hausse du nombre de plaintes et par la croissance progressive des salaires, ce qu’avait souligné le commissaire Fraser devant le comité permanent des langues officielles en mai dernier.

Pour la FCFA, il est surtout temps d’avoir une institution centrale qui ait le pouvoir de mettre en œuvre la LLO, ce qu’approuvent MM. Normand et Boily.

« Quand on lit ses rapports, on voit les bons et les mauvais élèves en matière de langues officielles. Comment les discipliner? Peut-être que ça prendrait un bras administratif plus musclé », suggère le politologue de l’Université de l’Alberta.

La personnalité du nouveau commissaire jouera un rôle essentiel dans le changement de dynamique, selon les deux politologues.

« Peut-être faudrait-il un profil plus affirmé, quelqu’un qui s’approprie tous les pouvoirs et qui en réclament davantage. Après sept ans, on sentait M. Fraser confortable dans son rôle de promotion, mais moins dans son rôle de chien de garde. Disons que c’était un chien de garde qui ne mordait pas fort. Il y a besoin de sang frais! Le nouveau commissaire devra faire mieux comprendre son rôle car il y a encore beaucoup de mythes qui circulent concernant la Loi sur les langues officielles », analyse M. Normand.

Un avis que partage M.Boily.

« M. Fraser était plus en retrait. Il essayait de trouver un équilibre entre la critique et la promotion. Peut-être faudrait-il quelqu’un de plus présent et vocal. »

Peu importe les changements apportés, le moment se prête à la réflexion, selon M. Tremblay.

« Le changement de commissaire offre une bonne opportunité de repenser son rôle et ses pouvoirs. »