Fété Ngira-Batware Kimpiobi, le combat francophone de la région du Niagara

Fété Ngira-Batware Kimpiobi, directrice générale de l’organisme Solidarité pour les femmes et familles immigrantes francophones du Niagara (Sofifran). Crédit image: Rozenn Nicolle

[LA RENCONTRE D’ONFR]

WELLAND – Fété Ngira-Batware Kimpiobi vit dans la ville de Welland, dans la région du Niagara, depuis 2005. Elle a travaillé, depuis, à dynamiser la communauté immigrante francophone en aidant à l’intégration des nouveaux arrivants. Ayant quitté son Congo natal à cause des combats, elle est venue en mener un autre au Canada. 

ROZENN NICOLLE
rnicolle@tfo.org | @Rozenn_TFO

« Vous avez créé l’organisme Solidarité pour les femmes et familles immigrantes francophones du Niagara (Sofifran) il y a maintenant 11 ans, et vous en êtes, depuis sa création, la directrice générale. Qu’est-ce qui a inspiré sa création en 2007?

Je suis arrivée en 2005 dans la région, et je vous assure, vous pouviez circuler à Welland, on ne voyait pas un seul noir! Il n’y avait pratiquement pas de gens de couleur. C’est depuis très peu que les immigrants ont découvert la ville de Welland, et les familles qui venaient ici, souvent, étaient francophones. À leur arrivée, ces femmes immigrantes, ces mères de famille étaient très isolées. À Welland, les services s’améliorent, mais dans le temps, il n’y avait pas de transport en soirée ou en fin de semaine, c’était très difficile. Il n’y avait pas non plus de communication.

À un moment donné, les femmes se sont mises ensemble, des femmes de plusieurs coins, et là on s’est dit : il faut absolument créer quelque chose pour se retrouver, pour nous entraider aussi. C’est comme ça que le projet est parti.

Quels sont les défis que rencontrent les femmes et familles que vous aidez?

Au début, c’était l’ignorance des services qui existaient. On a un centre de santé qui offre énormément de services, il y a le CERF [Centre d’emploi et de ressources francophones] Niagara qui s’occupe de l’emploi, nous avons l’ABC communautaire qui s’occupe de l’alphabétisation. Ce sont des services qui existaient, mais qui n’avaient pas cette portée et cette visibilité qu’ils ont aujourd’hui. Chacun vivait dans son coin, il y avait ceux sur place qui voulaient aider les immigrants, mais qui ne savaient pas par où commencer. Il manquait une présence, une représentation et donc, on a beaucoup joué le rôle de courroie de transmission entre les communautés et les services existants.

Aujourd’hui, parfois, on est approché pour des questions qui peuvent exiger une approche culturelle assez particulière, on nous contacte pour demander la meilleure façon d’aborder sans heurter. On n’est pas tous issus de la même culture et une bonne intention peut être mal perçue si elle n’est pas bien exprimée, c’est très important et j’apprécie beaucoup ce souci qu’ont les organismes ici de vouloir tenir compte de cet aspect-là.

Est-ce que le combat pour la francophonie est plus dur dans une petite région que dans une grande ville, selon vous?

Il aurait fallu que je puisse vivre à Toronto pour savoir. Mais c’est certain que quand on est dans une petite région comme la nôtre, les défis sont beaucoup plus grands. D’abord, très souvent, il faut dire les choses telles qu’elles sont, on est des laissés pour compte. Quand il y a des programmes ou des décisions qui sont prises, on privilégie d’abord les grandes villes. Très souvent, toutes proportions gardées, dans nos régions, on ne reçoit que des miettes par rapport à tout ce qu’il se fait, on a parfois l’impression que la répartition n’est pas toujours très égale.

Nous sommes obligés aussi de prouver qu’on existe, qu’on a des besoins et que ces besoins-là sont légitimes. Maintenant, l’avantage des petites régions, c’est que tout le monde connaît un peu tout le monde et donc, il est plus facile d’entrer en contact avec les autorités et on peut porter beaucoup plus facilement les messages, les problèmes et les défis. Ça ne veut pas dire qu’on a toujours des réponses, mais les actions menées portent beaucoup plus facilement que dans une grande ville où vous êtes noyés et où vous êtes un numéro parmi tant d’autres.

Aujourd’hui, après douze ans, que reste-t-il à faire?

Tout reste à faire! On ne peut pas dire que c’est achevé. Les immigrants continuent à entrer, et le travail d’informer, d’encourager, le travail social, ça reste. Nous sommes dans une région où l’emploi est extrêmement difficile, et nous travaillons en partenariat avec des organismes de Toronto, comme La Passerelle IDE, qui a un programme d’aide à l’entrepreneuriat et qui est venue faire une présentation ici, et ça a vraiment boosté et stimulé les femmes ici.

Il y a des femmes entrepreneures qui produisent des articles pour le moment à petite échelle, mais qui arrivent à placer ça et qui ont juste besoin de recevoir le coup de pouce nécessaire pour aller de l’avant. Ça a créé beaucoup d’espoir et j’espère qu’on va continuer. On a eu également un projet pour l’éducation financière des femmes immigrantes et ça, c’est extrêmement important pour celles qui veulent aller en affaires.

Qu’est-ce qu’il manque comme outils ici pour améliorer tout ça?

En tant qu’organisme vivant non pas de subventions régulières, mais de projets, c’est très limitatif. On est contraint de se concentrer parfois sur un projet. Et cette limitation nous restreint également en termes d’espace, il nous faudrait un espace permanent suffisamment grand qui nous permette de faire des activités permanentes, de recevoir les femmes, mais d’encadrer aussi les enfants. Et c’est un espace qui fait défaut aujourd’hui, à la fois pour les immigrants francophones, mais aussi anglophones.

Vous figurez également dans le conseil des gouverneurs de l’Université de l’Ontario français. Pourquoi c’était important de vous investir aussi dans l’éducation et notamment cet établissement qui sera à Toronto?

Elle sera à Toronto, mais cette université, elle sera nourrie par qui? Par les étudiants qui vont venir des régions, et donc, il est absolument important qu’au niveau des régions on puisse assurer le suivi, de manière à ce que les élèves, les parents et la communauté d’une manière générale, soient informés des avancées qui sont réalisées.

Dans notre région, il y a treize écoles francophones, deux secondaires et onze élémentaires. Tous ces élèves sont des étudiants potentiels de l’Université de l’Ontario français. C’est un projet qui a impliqué tout le monde, donc c’est important de ne pas dire que ça va se passer à Toronto. Les élèves qui ne veulent pas partir trop loin du nid familial, les parents qui veulent avoir leurs enfants non loin d’eux, auront désormais cette possibilité-là. Pour la communauté immigrante, c’est une très bonne nouvelle.

Les familles immigrantes du Niagara sont souvent des familles nombreuses qui préfèrent élever leurs enfants loin des grands centres urbains, loin de la violence. Mais ensuite, tout le monde déménage quand l’aîné doit aller à l’université, par exemple à Ottawa. C’est un fait courant ici. Avec une université de langue française à Toronto, cela va changer. Donc, c’est important de s’impliquer à ce niveau-là pour faire en sorte que les enfants et les parents sachent qu’ils ont cette option-là.

Aujourd’hui, la communauté francophone de Welland et de la région du Niagara est-elle grandissante?

Dans la région, la population francophone canadienne est vieillissante, mais il y a quand même une certaine relève. Il y a treize écoles francophones, donc ça veut dire qu’il y a des jeunes aussi, mais malheureusement, ayant travaillé dans un centre pour aînés, le discours, c’est que souvent les jeunes s’en vont. On assiste à un exode. Mais l’immigration vient en sus renforcer cette communauté.

Est-ce l’immigration qui est la clef du développement de la francophonie dans les régions en Ontario?

Absolument! La preuve, il y a des programmes du gouvernement pour l’attraction des immigrants francophones vers, par exemple, notre région ici. On veut atteindre les 5 % [d’immigration francophone par année] pour renforcer la population francophone existante, et pour cela, on a des organismes, comme le CERF, qui déploient des efforts pour attirer les immigrants, mais aussi offrir des possibilités d’emplois. La francophonie dans les régions, surtout les régions aussi reculées et repliées comme la région du Niagara, ne peut être renforcée que par l’attraction des immigrants francophones.

Que manque-t-il pour atteindre ces 5 % alors?

Le premier problème, c’est l’emploi. Le conseil qu’on donne, même si vous arrivez au Canada bardé de diplômes, c’est de faire une formation dans le domaine professionnel choisi. Il faut absolument faire un complément de formation, parce que ça permet de se mettre à jour et de connaître le système ici. Et il faut que cet effort soit fait par les immigrants.

Vous avez reçu la médaille de l’Ordre de la Pléiade de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF). Qu’est-ce que ça représente pour vous?

En tant qu’immigrante, c’est un objet de fierté, mais au-delà, ça démontre aux immigrants qu’il est possible d’arriver n’importe quand dans ce pays, de participer, d’apporter sa contribution et que le pays reconnaisse la valeur de ce que l’on apporte. Nous sommes dans un pays qui reconnaît le travail, la participation et la contribution de chacun. »


LES DATES-CLÉS DE FÉTÉ NGIRA-BATWARE KIMPIOBI

1950 : Naissance à Yasa, en République Démocratique du Congo

1996 : Obtention d’une Licence en relations internationales à l’Université Libre de Kinshasa

1999 : Arrivée au Canada

2005 : Départ du Québec pour s’installer à Welland

2013 : Réception du Prix de la réussite du réseau de soutien à l’immigration francophone

2018 : Réception de l’Ordre de la Pléiade de l’Assemblée parlementaire de la francophonie

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.