Fin de l’Université de l’Ontario français : « Une vision à courte vue », dénonce son recteur
TORONTO – Doug Ford a porté un coup fatal au projet de l’Université de l’Ontario français. Son recteur, Normand Labrie, absorbe le choc. Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement, des employés pourraient perdre leur emploi à la suite de cette décision, qui témoigne d’une vision à court terme et bien peu économique, selon lui.
ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg
« En prenant cette décision, on refuse d’aller de l’avant avec une dynamo intellectuelle, de formation et de réflexion pour l’avenir et nos prochaines générations. C’est très décevant », affirme sans détour Normand Labrie, avec une voix tremblotante qui témoigne du choc des dernières heures.
Celui qui a été nommé pour diriger les destinées de la future institution d’enseignement affirme que le projet était déjà bien avancé. « L’Université existe. Une loi a été créée et elle est toujours en vigueur. Mais le financement est annulé. On doit fermer nos dossiers », se désole-t-il.
Jeudi, le ministre des Finances, Vic Fedeli, affirmait que la mise à jour économique allait permettre de faire des économies sans aucune mise à pied. C’est faux, selon Normand Labrie. « On ne peut pas garder le personnel en place sans argent », lance-t-il. « Sans financement, des gens risquent de perdre leur emploi. Une dizaine d’employés travaillaient au projet. On en a encore un peu de fonds. On va essayer de travailler avec le gouvernement pour la transition, on espère sauver les postes », a-t-il dit néanmoins.
La décision est d’autant plus surprenante, selon lui, que plusieurs volets du projet ont été réalisés. « Les programmes ont été développés et sont en attente d’approbation, les règlements académiques ont été faits », souligne-t-il.
Une décision économique qui ne fait pas de sens
Alors que le gouvernement Ford affirme qu’il souhaite poser des gestes pour stimuler l’économique, Normand Labrie affirme que son projet universitaire avait le potentiel de répondre à cette demande.
« L’Université de l’Ontario français était pour les francophones. Mais pas pour les assister en tant que minorité en survivance! Plutôt pour préparer la main d’œuvre de demain, pour qu’elle contribue à l’économie et qu’elle soit bien formée pour le marché du travail. Oui, on compromet à un certain niveau l’avenir économique de l’Ontario », lance-t-il.
Il poursuit en affirmant ne pas comprendre la logique à court terme du gouvernement. « C’est une vision à courte vue pour faire quelques économies, mais on met un frein à un processus de réflexion pour l’avenir. Je ne comprends pas cette logique, quand on a à cœur le développement économique de l’Ontario. L’économie est en transformation, on doit se préparer, investir dans une université de pointe qui est numérique », dit-il.
En aucun moment, les représentants du Ministère de la Formation et des Collèges et Universités ou celui des Affaires francophones n’ont donné d’indices sur la fin possible du projet, assure Normand Labrie. « On a fourni beaucoup d’informations sur l’Université pour que le gouvernement soit bien au fait de la qualité du projet. On a fait tout ce qui était dans nos moyens », affirme-t-il. Et jamais, ces ministères n’ont fourni d’explications sur les raisons de cette décision, s’attriste-t-il.
Dyane Adam a reçu l’appel fatidique
Dyane Adam a multiplié les rôles depuis quelques années pour permettre de faire avancer le dossier de l’éducation post secondaire en français dans le Centre-Sud-Ouest de l’Ontario. Au moment où Vic Fedeli se levait en chambre pour son énoncé économique, son téléphone a sonné. « Marie-Lison Fugère et George Zegaraz étaient au bout de la ligne. Ce sont les sous-ministres à l’enseignement supérieur et l’Office des affaires francophones. Ils m’ont annoncé que le gouvernement n’allait pas de l’avant avec le projet et que des mesures seraient prises pour fermer nos opérations », raconte celle qui est présidente du Conseil de planification de l’Université de l’Ontario français.
« La décision a été prise dans les derniers jours », laisse-t-elle tomber. Dyane Adam affirme que le projet n’a pas à mourir. « Qu’on le mette en veilleuse, c’est une chose. Mais il faut s’assurer de le préserver. Oui, le projet prendra plus de temps pour voir le jour, mais il faut qu’il voit le jour quand même », dit-elle. « On a une population francophone qui se compare à l’Acadie dans cette région de l’Ontario et il manque de cours en français. Cette décision aura des conséquences, insiste-t-elle.
Selon elle, il n’est pas acceptable qu’un gouvernement joue avec un projet aussi fondateur pour une communauté minoritaire. « On parle pas d’un jeu politique, ça dépasse les humeurs du moment. Comment on peut conserver des institutions vivantes et s’émanciper si on est toujours à la merci d’impératifs économiques ou d’intérêts politiques? », se questionne-t-elle.
La suite des choses
Certains sur les réseaux sociaux se sont demandé si le gouvernement fédéral pourrait financer le projet à la place du provincial. Théoriquement, ce n’est pas possible, car ce n’est pas dans les compétences fédérales que de mener un tel projet. « Le fédéral aurait cependant pu contribuer financièrement à hauteur de 50% et ainsi diminuer de moitié la facture provinciale, mais c’est la responsabilité de la province. Il ne revient pas à l’Université d’aller cogner à la porte du fédéral », insiste-t-il.
Le Conseil des gouverneurs de l’Université se rencontrera la semaine prochaine pour déterminer les prochaines étapes. « Cela permettra de faire l’état des lieux et comment envisager la suite des choses », affirme M. Labrie.
Et il confirme que l’avocat Ronald Caza, célèbre pour le combat qu’il a mené pour la survie de l’Hôpital Montfort, participe à la réflexion juridique pour trouver une solution pour sauver le projet universitaire francophone. « C’est une démarche de la part de la présidente du conseil de gouvernance, Dyane Adam. Essentiellement, on doit comprendre les dimensions juridiques de la question avant de choisir les voies à prendre. Il faut connaître les tenants et aboutissants sur le plan juridique », souligne-t-il.