
Fin du programme de production télévisuelle à La Cité : choc et inquiétude pour la relève francophone

Parmi les neufs programmes annulés par le Collège La Cité, figure le programme de production télévisuelle, l’un des piliers de l’établissement depuis sa fondation. Une décision qui suscite incompréhension chez les enseignants touchés, mais aussi une vive inquiétude pour la relève médiatique francophone en Ontario.
« C’est un choc, un choc complet. Le programme était en excellente santé », lance Alexandre De Courville Nicol, coordonnateur et professeur du programme depuis 17 ans. Selon lui, les inscriptions étaient même à la hausse, presque contingentées.
« On avait une viabilité financière, des partenariats solides avec une cinquantaine d’employeurs en Ontario. Et pourtant, le programme est fermé. Aucune explication claire ne nous a été donnée », déplore Alexandre De Courville Nicol.
Créé en 1989, le programme, qui fait partie de neuf autres programmes supprimés, offrait une formation appliquée rare au Canada français, structurée autour de trois volets : vidéo, télévisuel et cinématographique. Il permettait aux étudiants d’explorer divers métiers de l’image, du montage au scénario, en passant par la régie, la captation sonore ou la réalisation.
« Ce n’était pas juste une formation technique. C’était une porte d’entrée pour des carrières francophones dans les médias », insiste Alexandre.

Le collège avait pourtant investi, en 2024, près d’un demi-million de dollars pour moderniser les installations, équiper les régies et adapter l’enseignement aux réalités du terrain. Moins d’un an plus tard, la direction a annoncé la fermeture du programme. Ce paradoxe alimente d’autant plus la frustration du personnel enseignant.
« C’est incompréhensible. On ne peut pas dire que c’est une question de pertinence ou de ressources », martèle-t-il, ajoutant les professeurs permanents perdront leur poste, ainsi que les contractuels. « C’est près de 100 ans d’expertise qui disparaissent avec le programme », s’indigne-t-il.
Pour David Moreau, ingénieur du son et professeur contractuel depuis cinq ans à La Cité, c’est une double perte : professionnelle et communautaire.
« C’était un revenu quand même pas négligeable. C’était une journée de travail garantie pendant 14 semaines. Pour un pigiste, c’est une petite sécurité dans un métier qui ne l’est pas du tout », témoigne-t-il, ajoutant qu’il s’attend à être rappelé pour permettre aux étudiants en cours de terminer leur programme, « mais que ce sera sûrement la dernière fois ».
Au-delà de la dimension économique, c’est le sort des étudiants et de la francophonie ontarienne qui le préoccupe.
« Chaque année, on formait entre 25 et 30 jeunes. La plupart trouvaient des stages et un emploi dans les médias : à Radio-Canada, dans des boîtes de prod, au gouvernement, dans le sport… »
Selon lui, le programme avait su s’adapter aux évolutions de l’industrie : boîtiers hybrides, podcasts, compétences en son, formats cinématographiques. « On leur donnait les outils pour se débrouiller dans un milieu où on doit souvent tout faire soi-même. »
Une relève menacée
Avec cette suppression, c’est tout un écosystème qui vacille. « À Ottawa, il ne reste que le collège algonquin, en anglais. Et encore, certains de leurs programmes ont aussi été coupés. Pour les jeunes francophones, il faudra aller à Montréal. Sinon, ils devront se former seuls… mais dans ce milieu, un diplôme reconnu fait toute la différence », alerte David Moreau.
« On leur donnait un cadre pour faire des erreurs, pour apprendre. Deux années précieuses. Et on leur retire ça », assure-t-il.
Pour Alexandre De Courville Nicol, c’est surtout la francophonie qui paie le prix fort. « On a besoin de créateurs, de professionnels formés, de contenu de qualité. Et là, on ferme une voie d’accès essentielle. »
Le silence de la direction
Malgré plusieurs tentatives, les membres du personnel concernés n’ont reçu de justification claire de la part de la direction du Collège La Cité. « Ce que je peux dire, c’est que c’était un excellent programme, pertinent, vivant, apprécié. Et il va disparaître. Et personne, pour l’instant, ne peut nous expliquer pourquoi. »
Interrogée sur les raisons de cette décision, de son côté la direction du Collège La Cité a répondu que tant que le processus n’est pas terminé, le Collège ne peut commenter davantage. « Nous serons en mesure de commenter le dossier quand les démarches seront terminées », a écrit à ONFR l’équipe des communications et des relations publiques.
La même source avait auparavant affirmé que ces décisions sont le fruit « d’un processus de gestion de viabilité financière proactif mis en place il y a déjà plusieurs années ».
« Le système collégial ontarien traverse une période d’incertitude financière qui a poussé La Cité à effectuer une analyse plus approfondie de ses opérations et de sa carte des programmes. À la suite de cette analyse, La Cité a pris la décision de ralentir certains investissements à long terme et d’adopter une posture encore plus prudente en matière de gestion financière », avait expliqué la direction.
En effet, un recul du nombre d’inscriptions de plus de 10 % est anticipé lors de la prochaine rentrée. Dans ce contexte, le Collège la Cité avait adopté en avril un budget équilibré de 155 millions de dollars pour l’année 2025-2026. Aussi La Cité avait terminé la précédente année financière avec un excédent de près de 27,3 millions de dollars, les revenus étant de l’ordre de 170,6 millions alors que les dépenses s’étaient élevées à un peu plus de 143 millions.