Français et langues officielles : quel bilan peut-on tirer du règne de Justin Trudeau?
OTTAWA – En annonçant sa démission lundi, Justin Trudeau laisse derrière neuf années remplies en politiques publiques, notamment en matière de français comme la modernisation de la Loi sur les langues officielles ou encore des nominations controversées. On a demandé à trois experts en francophonie canadienne de faire un bilan des années Trudeau en matière de langues officielles.
Malgré le long processus qui a mené à sa modernisation, la réforme de la Loi sur les langues officielles vient au haut de la liste des réalisations de Justin Trudeau, soutiennent nos experts.
« C’est clairement un héritage important du gouvernement. C’est une loi qui a innové dans la reconnaissance du caractère minoritaire du français en Amérique du Nord et en intégrant le principe d’égalité réelle », note la titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques à l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal.
« Lorsqu’on va se rappeler du mandat de M. Trudeau dans dix ou vingt ans, c’est sûr qu’on va noter qu’il a réussi à moderniser la Loi sur les langues officielles, ça reste un de ses legs », soutient le professeur de l’Université Simon-Fraser et spécialiste des politiques linguistiques canadiennes, Rémi Léger.
Parmi les moins bons coups, on note les nominations du premier ministre dans les dernières années à des postes clés ne parlant pas français, soulignent les spécialistes de la francophonie minoritaire.
« Ce qui a frappé la symbolique, ce sont les nominations du premier ministre, analyse la professeure en sciences politiques du Collège militaire royal de Kingston, Stéphanie Chouinard.
« La nomination de la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick Brenda Murphy a fait couler beaucoup d’encre, tout comme la nomination de Mary Simon faisant fi des enjeux du bilinguisme et des langues officielles », donne-t-elle en exemple, avec des plaintes records au Commissariat aux langues officielles.
« Ça en dit long sur la place qu’occupaient les langues officielles et le français dans l’esprit de M. Trudeau. Pour lui, le Canada devait désormais prioriser la réconciliation avec les peuples autochtones et la question du français était secondaire », émet comme observation Rémi Léger.
Les réinvestissements dans les langues officielles sous son gouvernement entrent dans les sections des bons coups, note Stéphanie Chouinard. Elle cite les bonifications aux plans d’action pour les langues officielles sous son règne ou encore le financement de l’Université de l’Ontario français.
« Durant l’ère Trudeau, la réalité des langues officielles n’a pas été remise en question et le premier ministre dans ses délégations à l’étranger a toujours fait attention de présenter le français et l’anglais à l’égalité. C’est quelque chose qui ne marque pas à moins d’un scandale », illustre encore la chercheuse sur la francophonie canadienne.
Pour Linda Cardinal, les exemples du manque de respect du français à la Commission Rouleau, la Commission sur l’ingérence étrangère ou encore la fin de l’étiquetage bilingue en pleine pandémie de la COVID-19, démontre toutefois que l’état du français dans la fonction publique fédérale au cours des dernières années n’a pas connu d’améliorations sous ce gouvernement libéral.
Si elle qualifie le dossier du français, notamment grâce à la réforme de la Loi sur les langues officielles, de succès pendant les neuf années du premier ministre, c’est plus en raison du travail de ses ministres, car « sur le terrain, on n’a jamais senti que M. Trudeau était le grand défenseur des langues officielles », analyse Linda Cardinal.
« On n’a jamais senti que M. Trudeau était le grand défenseur de la francophonie au Canada, parce qu’il avait une relation compliquée avec le Québec. En milieu minoritaire, il a toujours vu le français comme une langue identitaire et non comme une langue officielle (…). Je ne pense pas que c’était le point fort de M. Trudeau », résume la professeure de l’Université d’Ottawa.
« Cela a été un succès malgré lui-même, abonde Rémi Léger. Il s’est fait amener sur le terrain des langues officielles malgré lui. C’est un terrain qui ne l’intéressait clairement pas et qu’il voulait éviter à tout prix à son arrivée en 2015. Il s’est fait tirer dans le carré de sable des langues officielles et il a été forcé de prendre des décisions comme la modernisation de la Loi sur les langues officielles. »
Pour la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), le mandat de M. Trudeau aura eu « beaucoup plus de positifs que de négatifs. »
« Ce n’était pas parfait, mais quand on regardera dans plusieurs années, je pense que le premier ministre Trudeau sortira comme une des personnes qui aura fait beaucoup pour la francophonie canadienne », affirme sa présidente Liane Roy.